Cette chronique a peut-être quelques lecteurs assidus. Ils doivent se souvenir alors qu'à deux ou trois reprises, elle a formulé une hypothèse : toutes les agitations américaines autour de la question palestinienne préparaient une agression d'envergure contre un pays de la région. Par trois fois, l'opération s'est répétée. Sous la présidence des deux Bush et celle de Bill Clinton. Il se trouve que pour la période de Bill Clinton, aucune guerre n'a été déclenchée. Mais il avait la gestion de l'embargo imposé à l'Irak et un œil sur l'Iran pour lequel déjà des cercles états-uniens préparaient des plans d'attaque. L'examen des logiques sous-jacentes de ces trois opérations de «règlement de la question palestinienne» permet de dévoiler des invariants. Des mécanismes toujours identiques pour faire passer une fiction pour une réalité politique. Il s'agit littéralement de «scénarios» pour la paix dans lesquels des acteurs invariables vont jouer invariablement les mêmes rôles pour la même conclusion pratique : la date butoir de création de l'Etat palestinien a été diluée dans les méandres d'un «processus de paix». Invariablement l'Egypte et la Jordanie complètent le décor. Sur le plan politique et celui des rapports de force, leur rôle de simples figurants ne fait aucun doute. Sur le plan de la suggestion et de la fabrication du sens, en revanche, leur présence restera utile, voire indispensable au bon fonctionnement du scénario. Ces deux Etats sont à la fois la preuve d'une propagande subconsciente qu'Israël affronte ou continue d'affronter un environnement arabe hostile. Mais ce n'est pas la seule fonction. Ces deux pays ont signé des accords de paix avec Israël. De ce fait, ils ont admis et accepté que la question palestinienne est une question séparée ; qu'elle n'est plus une question arabe. Pan-nationale mais une question nationale spécifique, celle d'un peuple particulier, le peuple palestinien. Dès lors, peu importe que ce peuple soit arabe. Cela devient un caractère accidentel, pas essentiel. Mais contre cette logique, ils participent à toutes les séquences du scénario, les secrètes et les publiques. Et cela laisse durablement l'impression que la question palestinienne reste un problème entre Israël et les Arabes. Les Etats et les gouvernements de l'Egypte et de la Jordanie continuent à faire croire que nous avons affaire à une question ethnique ou religieuse et non à une question coloniale, celle de la spoliation de la terre palestinienne par un Etat colonial mis au monde par une coalition internationale et soutenu jusqu'à aujourd'hui par cette coalition. Il faut ajouter à ces deux premières fonctions la suggestion subliminale que l'urgence dans le règlement de cette question est régionale. Que n'ont dit les régimes égyptien et jordanien sur Saddam Hussein. Mot pour mot, l'Egypte le redit pour l'Iran. Il s'agit de nous faire croire que plane sur les Arabes un danger infiniment plus grave que l'agression permanente d'Israël sur les Palestiniens et sur le Liban : celle de Saddam hier, celle de l'Iran aujourd'hui. Et deux Etats confirment le message sous-jacent : l'Amérique et l'Europe s'activent autour de la question palestinienne mais des menaces autrement plus sérieuses planent sur la paix. Les Arabes ou les masses arabes ou la rue arabe sont ainsi invités à un peu de patience. Les opinions européennes peuvent, elles aussi, se rassurer : des gens sérieux s'occupent du problème. Quelle belle pirouette ! Dans cette configuration de thérapie, le fauteur de troubles paye toujours le prix fort. Mais qui peut être le fauteur de troubles dans cette configuration ? L'impatient, l'activiste, celui qui ne veut pas attendre. Bref, celui qui n'a pas compris qu'il existe un ordre des priorités et des menaces. C'est le Palestinien qui n'en peut plus et qui passe à l'acte. Spontané et colérique le plus souvent dans les conditions actuelles. Car, dans la configuration actuelle, Israël n'apparaît jamais comme coupable. Quand il bombarde Ghaza, il vise des tunnels. Vous connaissez plus impersonnels que des tunnels ? Pas des hommes et des femmes. Non, des tunnels. Pis, ce sont des tunnels de contrebande, quelque chose de forcément louche. Des tunnels de contrebande ne peuvent être des SAS de respiration, des fenêtres pour des prisonniers. Et quand enfin Israël tue, il s'agit d'activistes. Quelle invention que ce mot ! En Algérie, il désignait en 1961 et début 1962, les tueurs de l'OAS. Un activiste, c'est un agité. Quelqu'un qui n'agit plus dans le cadre d'une visée politique, réfléchie et raisonnée. Mais qui agit pour agir, un forcené de l'action et donc fondamentalement quelqu'un qui ne peut discuter, raisonner, négocier ou dialoguer. Il devient un être sorti de la politique pour entrer dans le fanatisme. Activiste est le nom laïc du fanatique.Pour le meurtre, la spoliation et l'injustice, cela ne marche pas toujours. Grâce aux militants des causes justes, la nature raciste, hégémonique et coloniale de l'Etat d'Israël est de plus en plus, et de mieux en mieux, comprise. Les actions de soutien aux Palestiniens, les flottilles de la liberté, les manifestations régulières en font foi. La conscience est plus difficile quant aux manœuvres dilatoires. Pour preuve, dans certains médias de gauche français (il faut chercher pour les autres langues), sincèrement attachés aux droits des Palestiniens, le mot d'ordre central est «la paix en Palestine». C'est exactement le terme israélien pour désigner l'objectif à atteindre : la paix. La paix entre qui et qui et quelle est cette situation de guerre qui exige une action urgente pour la paix ? Prenons un exemple pour être plus clair. Pendant notre guerre de libération, différentes forces politiques françaises nous ont apporté un soutien. La plus conséquente fut celle organisée dans les réseaux Jeanson. Les autres se sont classées entre les sympathisants actifs de l'indépendance et celles qui militaient pour la paix. Or, le mot d'ordre de «la paix en Algérie» ne correspondait à aucune solution politique. Le problème algérien ne pouvait se résoudre que par l'indépendance et la naissance ou la renaissance d'un Etat algérien. Elle nous aurait mené où la paix sans la solution d'un Etat national ? A un processus qui, s'il ne débouchait pas sur cet Etat, aurait maintenu le statu quo, laissé en situation les causes proches ou lointaines qui ont provoqué la guerre. La plus grande entourloupe, la plus grande ruse politique, idéologique, philosophique de la question palestinienne est de la présenter sous l'angle de la question de la paix alors qu'elle est seulement et fondamentalement la question d'un Etat palestinien souverain et viable. Car parler de processus de paix revient à faire croire aux opinions et aux militants un peu distraits sur les questions philosophiques qu'Israël subit une guerre. Non pas qu'il est en état de guerre permanente contre ses voisins, non pas qu'il est un état de guerre, fait pour la guerre permanente, car son sentiment de risquer une menace tient au mode violent de sa naissance – violent et vicieux. Et au mode de sa permanence également violent et vicieux.Les Etats-Unis et l'Europe ignorent à ce point que le problème est la création de l'Etat palestinien et qu'Israël disposent d'une armée surpuissante et soutenue de toutes les manières possibles et imaginables par les Etats-Unis et l'Europe jusqu'à son budget militaire qui est l'affaire des Etats-Unis et de l'Europe et en Europe, particulièrement de l'Allemagne. Par aucune de ses ressources propres, Israël n'est en mesure de maintenir ce niveau de mobilisation militaire, ce niveau de dépenses militaires ni ce niveau de recherche en armements. C'est le seul au monde dont les besoins de recherche propres – sur le plan militaire – sont financés par une autre puissance : les Etats-Unis. Et c'est le seul Etat au monde qui dicte aux Etats-Unis et à l'Europe leurs limites en matière de vente d'armes aux autres pays. Israël est intervenu ouvertement dans la vente de navires de guerre à l'Algérie quand il a manifesté son «inquiétude» sur les menaces de la marine de guerre algérienne sur les bateaux israéliens qui viendraient à naviguer vers le détroit de Gibraltar. Il a réussi à bloquer l'exécution du contrat de vente de missiles S300 entre la Russie et l'Iran bien avant les toutes dernières sanctions de l'ONU qui ont légitimé les futurs plans d'agression contre l'Iran. Ni laa Chine, de plus en plus proche d'Israël, ni la Russie devenue une destination ordinaire du gouvernement israélien ne peuvent jouer l'étonnement devant les sanctions supplémentaires -européennes et américaines- hors du cadre de l'ONU. Au contraire, les Etats-Unis ont toute latitude de les presser de se conformer à la résolution qu'ils ont votée. Les réunions qui ont débuté hier aux Etats-Unis feront dans la série télévisée. Les Israéliens savent très bien qu'ils doivent payer ce prix du simulacre de négociation s'ils veulent voir les Etats-Unis agresser l'Iran. Sans perdre le nord. Car si Netanyahu a parlé de négociations sans conditions, il n'a pas oublié de poser les siennes. Il les a appelées principes. Et le premier des principes, c'est la reconnaissance du caractère juif de l'Etat israélien. C'est-à-dire la reconnaissance par les Palestiniens qu'ils ne peuvent prétendre à une citoyenneté israélienne dans le futur. Non seulement, ils n'auront pas leur Etat, mais ils auront accepté le nettoyage ethnique : la Palestine est la terre des Juifs et Israël est l'Etat des Juifs. Le pays des Arabes est en Jordanie, plus ce qu'il restera de la Cisjordanie. Nous savons au moins que l'agression de l'Iran est fixée dans moins d'un an. Le prix Nobel de la paix prépare la guerre atomique. A moins que la mobilisation des peuples arrête la main de ces fous criminels. M. B.