Recep Tayyip Erdogan a été accueilli par une salve d'applaudissements ce dimanche à Istanbul. Le Premier ministre turc a de quoi savourer sa victoire. Le référendum sur la révision de la Constitution a été très largement adopté par les électeurs de son pays. Les conservateurs musulmans de l'AKP, parti auquel il appartient, avaient ardemment défendu ce texte et mené campagne dans tout le pays pendant plusieurs mois. Les Turcs ont donné dimanche une incontestable victoire à leur gouvernement, en votant largement oui à une révision constitutionnelle qui limite le pouvoir de la hiérarchie judiciaire et de l'armée, les deux bastions de la laïcité turque instaurée par la constitution de Mustapha Kamel Atatürk en avril 1924. L'AKP a les mains libres Quelque 49,5 millions d'électeurs étaient invités à se rendre aux urnes. «Environ 58% des électeurs» ont approuvé la révision soumise à référendum, a annoncé à Istanbul le Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, au pouvoir depuis huit ans. D'après les médias, le «oui» l'a emporté par 58% des voix contre 42% et le taux de participation s'est élevé à 77% des quelque 50 millions d'électeurs inscrits. Les élections législatives doivent avoir lieu au plus tard en juillet 2011. Le référendum portait sur un ensemble de 26 points très divers, parmi lesquels une réorganisation de l'appareil judiciaire, bastion du camp laïque, principal opposant à l'AKP arrivé au pouvoir en 2002.Indéniablement, ce vote est un succès sans ambages pour son parti, l'AKP. Un bon résultat surtout si l'on ne perd pas de vue que la date des législatives est prévue pour l'été prochain. «Le vainqueur, aujourd'hui, c'est la démocratie turque», a lancé le Premier ministre dimanche soir. Il a réaffirmé que cette victoire de la «Constitution du peuple» contre celle des «militaires», constituait ainsi un atout dans la candidature de la Turquie à l'Union européenne. La révision limite les prérogatives de la justice militaire et modifie, au profit du pouvoir, la structure de la Cour constitutionnelle et du Conseil supérieur de la magistrature (HSYK) qui nomme juges et procureurs. Les appréhensions des laïcs et des nationalistes Côté opposition, on appréhende les retombées de cette victoire. Laïcs et nationalistes craignent que cette réforme ne menace l'indépendance de la justice et ne remette en cause la séparation des pouvoirs. Un acquis qui remonte aux réformes introduites par Atatürk il y a un siècle de cela. Le principal parti pro-kurde de Turquie avait appelé au boycott, estimant que cette réforme ne renforce pas les droits des 15 millions de Kurdes.L'AKP grand vainqueur de ce référendum, a promis, quant à lui, de s'y employer rapidement, pour remplacer la loi fondamentale de 1982 adoptée à l'époque par les militaires putschistes.Pour de nombreux Turcs, la Turquie efface par ce vote la honte du coup d'Etat du 12 septembre 1980. L'opposition laïque, conduite par le CHP, voit dans les réformes constitutionnelles une tentative de prise de contrôle des tribunaux par l'AKP, qui possède une forte majorité parlementaire et s'est assuré une solide base politique ces dernières années.Les changements de nature à affecter la composition de la Cour constitutionnelle et celle du Conseil supérieur de la magistrature inquiètent tout particulièrement l'opposition. Toujours dans le domaine de la justice, il deviendra plus facile désormais de traduire des membres de l'armée, autre grand pilier de la laïcité turque, devant des tribunaux civils. L'AKP, qui nie toute intention de réduire le champ de la laïcité en Turquie, se présente comme un homologue des partis chrétiens-démocrates conservateurs de l'Union européenne. Aux législatives de 2007, il avait obtenu 47% des voix. Bruxelles salue mais…. Le parti au pouvoir tire notamment sa popularité de sa volonté d'ancrer la Turquie dans l'UE et de la période de croissance sans précédent qu'il a pilotée. La forte récession de l'an dernier a été compensée par une robuste reprise. La victoire des «réformateurs» a rassuré les marchés financiers. La Bourse a pris 2% et la livre turque s'est appréciée contre le dollar. Beaucoup de commentateurs jugent cependant que la ligne de fracture entre partisans de l'AKP et militants du camp laïc risque de se creuser encore davantage après ce référendum. On craint que le parti au pouvoir n'accorde moins d'attention à l'opposition. Celle-ci sera, alors, dans l'obligation de recourir à des tactiques plus dures dans l'espoir de miner le gouvernement. La Commission européenne n'a pas manqué de saluer l'issue du référendum qui «constitue un pas dans la bonne direction», «dans les efforts de la Turquie pour remplir les critères nécessaires pour son adhésion» à l'UE. Ce qui ne l'empêche pas d'émettre certaines réserves. L'impact de cette révision sur le terrain «dépendra de sa mise en œuvre. Toute une série de lois d'application seront nécessaires et nous suivrons leur préparation très attentivement», avertit Bruxelles. La Commission dit partager «le point de vue de beaucoup de Turcs pour qui le vote d'aujourd'hui a besoin d'être suivi d'autres réformes nécessaires pour s'attaquer aux priorités qui subsistent dans le domaine des droits fondamentaux, comme la liberté d'expression et la liberté de religion». Une chose est sûre : maintenant que le référendum est passé, le gouvernement turc va pouvoir se consacrer à d'autres problèmes intérieurs pressants comme l'insurrection kurde et les tensions entre le sommet de l'Etat et l'état-major de l'armée, liées aux accusations de complot anti-gouvernemental portées contre certains officiers. L'AKP nie toute intention de réduire le champ de la laïcité en Turquie, se présente comme un homologue des partis chrétiens-démocrates conservateurs de l'Union européenne. Conforté par sa nette victoire, l'AKP a, plus que jamais, les mains libres. Toutefois ses espoirs d'arracher l'aval de Bruxelles pour intégrer l'UE le pousseront, certainement, à respecter les droits fondamentaux dont la liberté d'expression et la liberté du culte. G. H. Dates importantes dans l'histoire de la laïcité en Turquie - L'abolition du califat en mars 1924 - Les réformes dans l'éducation nationale en mars 1924 : l'enseignement est arraché à la religion. Toutes les écoles religieuses sont abolies ou laïcisées et seront ensuite rattachées au ministère de l'Education nationale. Les programmes et les méthodes pédagogiques s'inspirent des systèmes en usage en Europe. - Les réformes vestimentaires en décembre 1925 et l'adoption du code civil suisse, du code commercial allemand, du code pénal italien, du calendrier grégorien et des unités du système international. Etudes d'histoire et création de l'Institut national d'histoire - Instauration des droits de la femme turque en 1926. Les femmes ont acquis des droits identiques à ceux des hommes. La polygamie est interdite, de même que la répudiation prononcée par le mari. Bien plus, pour abroger l'inégalité des sexes, on lui accorde des droits politiques : elle peut voter et se présenter comme candidate aux élections et on lui permet de se soustraire à des traditions surannées. - Changement de l'alphabet en novembre 1928 : l'alphabet arabe convenant mal à l'utilisation du turc. Retour à la langue d'origine. L'ottoman était un mélange des langues arabe, persane et turque, de plus, non parlé au sein du peuple. - Le 16 septembre 1932, l'Institut national des études de la langue turque est créé. - Adoption des noms patronymiques en novembre 1934.