Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a confirmé qu'il soumettrait à référendum la réforme de la Constitution, adopté par la majorité simple islamiste du Parlement et qui va réduire le pouvoir de la hiérarchie judiciaire et de l'armée. Son parti, l'AKP ne dispose pas de la majorité des deux tiers requise pour que la réforme soit automatiquement et définitivement adoptée, l'exécutif devra soumettre l'ensemble à référendum. Officiellement, il s'agit de mettre le pays aux normes européennes de démocratie. Mais personne n'est dupe, Erdogan veut casser les chaînes de l'armée. D'ailleurs, la révision de la Loi fondamentale intervient au moment où la Turquie traverse une crise provoquée par un présumé complot militaire visant le gouvernement islamique. Cependant, l'armée n'a plus les mains aussi libres qu'elle ne les avait il y a cinq années. Le processus d'entrée de la Turquie au sein de l'UE, même s'il demeure incertain, a affaibli les militaires et leur système kémaliste et les islamistes, de leur côté, se sont totalement recyclés en inventant un islam politique qui s'inspire de la démocratie chrétienne, en acceptant des pans entiers de laïcité, notamment pour ce qui est de la place de la religion dans la cité. C'est pourquoi l'opposition a fini par accepter un certain nombre d'amendements présentés par l'AKP, notamment deux des deux des trois amendements-clés. Le Parlement a accepté de modifier la composition du Conseil supérieur de la magistrature (HSYK), cet organisme qui nomme les juges et procureurs, et prend des mesures disciplinaires. C'est d'autant plus significatif que le HSYK s'est souvent opposé à l'AKP. Un autre amendement adopté par le Parlement accroît de 11 à 17 le nombre des juges de la Cour constitutionnelle et donne au Parlement le pouvoir de nommer certains d'entre eux. Mais l'opposition a rejeté l'amendement qui aurait rendu plus difficile le processus d'interdiction d'un parti politique, la Cour constitutionnelle a failli interdire l'AKP, en 2008, pour violation des principes laïques de la République. D'autres amendements limitent la juridiction des tribunaux militaires et autorisent les tribunaux civils à juger des militaires, en temps de paix, pour des tentatives de coup d'Etat ou des crimes liés à la sécurité nationale. De même, le chef de l'armée et ses quatre adjoints pourraient, dans certains cas, être jugés par la Cour suprême. La Constitution turque a été amendée plusieurs fois pour permettre à Ankara de satisfaire aux conditions nécessaires à l'ouverture des négociations avec l'Union européenne, mais pas au point de mettre la suprématie de l'armée. Une révision constitutionnelle a été l'un des premiers objectifs du gouvernement AKP après sa large victoire aux législatives de 2007. Mais ensuite, après la rédaction d'une première mouture, le projet s'était enlisé, victime des conflits déclenchés par des débats sur la laïcité qu'il avait provoqués. Mais pour autant Erdogan ne s'est pas avoué vaincu d'autant qui a fait élire comme président de la République un des siens, son ex-ministre des AE qui avait inauguré son mandat avec un bras de fer avec l'armée, son épouse ayant refusé d'enlever son foulard. L'AKP, au pouvoir depuis 2002, ne dispose pas au Parlement de la majorité nécessaire pour adopter à lui seul une révision de la loi fondamentale et pourrait pour cette raison soumettre son projet à un référendum populaire. Le plus important amendement que le gouvernement islamo-démocrate veut introduire, c'est celui rendant la dissolution des partis politiques plus difficile. L'AKP qui avait échappé de justesse en 2008 à une interdiction pour activités anti-laïques, sait qu'il n'est pas à l'abri d'un coup de l'armée.