Photo : Riad De notre correspondant à Tizi Ouzou Lakhdar Siad D'une tradition artisanale économique millénaire unique dans le monde à une grandiose fête ou foire populaire puis à un minuscule salon dans l'ombre, la célébration, la perpétuation forcée du bijou émaillé de la localité montagneuse d'Ath Yenni ont des allures de fin de cycle. Un déclin déguisé en rites pour la survivance dans une région de Kabylie en proie à de dangereux maux et à de graves problèmes qui menacent de disparition tous ses référents identitaires. Les raisons de ce déclin sont multiples. Pourtant les solutions sont à la portée de n'importe quel responsable doué d'un peu de volonté d'apporter un autre sursis à vie ce travail artistique extraordinaire des ciseleurs d'argent. Quand il y a quelques années, le gouvernement avait promulgué un décret d'exonération des artisans bijoutiers de l'impôt forfaitaire unique et fixant à 5 000 DA par an le nouvel impôt, beaucoup de bijoutiers avaient cru à un début sérieux de prise en charge de leurs doléances par les pouvoirs publics. Mais les artisans bijoutiers ont vite déchanté en réalisant après coup que par exemple, il leur était exigé un contrat de location de trois ans fermes pour se faire délivrer une carte fiscale et qu'ils sont répertoriés dans la catégorie «commerçants» dans la classification officielle, logés à la même enseigne que beaucoup d'intervenants dans la spéculation et les transactions douteuses et l'import-import.«C'est miraculeux si des artisans continuent encore à travailler l'argent dans ces conditions lamentables, dans le dénuement ; au lieu de nous soutenir en considérant au moins le bijoutier comme étant un artisan rare dans le pays et dans le monde, le ministère nous met sur un pied d'égalité avec les gros commerçants corrompus de la République algérienne avec un arsenal juridique contraignant et des restrictions sur le marché de l'argent et surtout du corail», nous déclare Rachid A., artisan bijoutier (aheddad, en kabyle) de père en fils depuis plusieurs générations. Actuellement, selon lui, le kilo d'argent dépasse 70 000 DA -il reviendrait un peu moins cher au niveau de l'Agence nationale pour la distribution et la transformation de l'or (AGENOR) - et le corail, «si jamais vous avez de la chance de vous en procurer de la bonne qualité et en deuxième main au marché noir», coûterait environ 30 000 DA. L'informel a pris des parts importantes dans la commercialisation de la matière première des artisans bijoutiers. «Le corail est introuvable sur le marché légal depuis que l'AGENOR ne s'occupe plus de sa distribution suite à l'interdiction par les autorités de sa pêche dans les eaux algériennes alors que la fermeture de son siège de Tizi Ouzou a ouvert grande la voie au marché parallèle de l'achat et de la vente de l'argent qui est devenu hors de prix quand il est disponible sur Alger avec un quota insignifiant ne dépassant pas 1 à 2 kg maximum», regrette-t-il.Cette situation déjà critique a connu cette année des mutations encore plus défavorables pour les concernés qui sont des centaines à tenir à ce métier comme à leur vie malgré les nombreux signaux de découragement venus du côté de l'administration. Les prix sont considérés exorbitants et les attentes des artisans de la concrétisation des «promesses d'aides et du plan de relance de l'activité artisanale» sont tombées à l'eau. Une association du domaine a tiré la sonnette d'alarme dans une lettre adressée au ministre de tutelle au printemps dernier. Lettre morte, pouvons-nous affirmer aujourd'hui. Devant ce statu quo, ce travail d'orfèvrerie ancestral des artisans est en voie de régression, voire de disparition totale. Pour s'en convaincre, il suffit de voir le déclin que connaît la fête annuelle qui lui est réservée à Ath Yenni ces dernières saisons. Seule ressource économique de dizaines de familles plus ou moins démunies, la bijouterie émaillée de Kabylie se perd. Seuls agents économiques de la localité d'Ath Yenni, qui a tant besoin de développement local, les bijoutiers ont été anéantis par les responsables à tous les niveaux qui n'accordent pas la moindre attention ni intérêt à leur situation et leurs doléances. Recours à la débrouillardise à la mode ambiante dans les sphères économiques en attendant des solutions durables dans un cadre fait par les bijoutiers et travaillant pour leurs intérêts et des responsables à la hauteur de leurs sacrifices et attentes. Samy El Djazairi, l'autre rossignol des monts du Djurdjura, ne chanterait peut-être pas de la même façon Ay aheddad n'Ath Yenni s'il était encore vivant.