Nuisant fortement à l'économie nationale, les marchés informels continuent à dicter leur loi devant des autorités qui sont incapables d'appliquer leur propre loi. Le diktat de ces marchés devient visiblement plus pesant dans des conjonctures particulières liées au volume de consommation des populations comme c'est le cas présentement à l'orée du mois sacré de Ramadhan. Décriés par les pouvoirs publics, montrés du doigt par les commerçants légaux, dans la ligne de mire des contrôleurs par moments, les commerçants parallèles continuent d'exercer leur activité en toute quiétude. Ni les mesures gouvernementales annoncées à longueur d'année, ni les communiqués du ministère du Commerce ou encore les appels de l'Union des commerçants pour «un mois de miséricorde» ne semblent pouvoir changer la donne et atténuer la souffrance des Algériens. A Alger, les marchés informels dont les vendeurs ne possèdent pas de registre du commerce attirent davantage de clients en quête de fruits et légumes à moindre coût, le pouvoir d'achat des ménages étant très faible. Au marché dit de Clausel, situé à la rue Khelifa Boukhalfa, un marché informel est né à l'entrée du marché légal. Le voisinage donne l'air de ne déranger personne. Les consommateurs s'y rendent en masse et la marchandise arrive de manière régulière. Situé au cœur d'un quartier à forte population, le marché enregistre le passage de milliers d'acheteurs et on remarque que ce sont les vendeurs de l'informel qui attirent plus que ceux du commerce légal. «Moi, je viens ici pour faire mes courses parce que c'est tout près de ma maison. C'est surtout parce que les vendeurs ici ne pratiquent pas des prix excessifs comme cela se passe ailleurs», lâche un vieux du quartier. Est-il vrai que les prix sont moins élevés chez les «sans papiers» ? La question se pose pour le commerçant qui exerce dans la légalité. «Franchement, je ne suis pas contre le fait que des jeunes gagnent leur vie ici de façon illicite. Mais l'Etat doit faire quelque chose pour eux. Soit il les place ailleurs, soit il les régularise et ils payent ce que nous payons en termes de location et de fiscalité», répond Nacer, un jeune vendeur de fruits. La question de la légalité ou non de l'activité prend un autre sens chez les vendeurs en possession d'un registre du commerce. L'informel a aussi ses courtisans qu'on retrouve dans les acteurs du marché légal. Ces derniers ne cachent pas, en effet, l'intérêt qu'ils accordent à l'activité informelle, à l'image de Sid Ali, âgé d'une quarantaine d'années dont un tiers passé dans le commerce des légumes. Il dit qu'au rythme où vont les choses, c'est plutôt le commerce informel qui a de l'avenir dans notre pays. «Cela me fait de la peine de le constater et de le dire, mais c'est une réalité», lâche Sid Ali. Notre interlocuteur révèle que beaucoup de commerçants réfléchissent sérieusement à abandonner la légalité pour s'investir dans le circuit parallèle. Ce qui est nettement visible au marché dit Meissonnier où un vendeur de pain à ciel ouvert installe ses cageots à quelques mètres d'une boulangerie. L'observateur restera certainement sans voix en constatant des clients chez le «trabendiste» du pain et non chez le vieux boulanger qui fabrique et sert pourtant cet aliment essentiel dans la propreté. De quoi se poser la question sur les motifs qui conduisent les citoyens à s'approvisionner auprès de ces marchands informels. Un vieux des lieux témoigne que «certains vendeurs ambulants achètent la marchandise qu'ils exposeront par la suite à la vente auprès des commerçants légaux». On conclut dès lors que le marché fonctionne mieux en marge des règles. D'où, d'ailleurs, la complexité de son éradication au-delà, bien entendu, de l'absence de volonté chez les autorités. L'évolution de la question est apparemment déroutante. Confronté à l'expansion de l'informel qu'il n'a pu ni légaliser ni contrôler, l'Etat est à présent devant un marché de l'informel qui intéresse même ceux qui activent sous un registre du commerce. A. Y.