Photo : A. Lemili De notre envoyé spécial à Guelma A. Lemili En franchissant le grand portail de l'unité de production comme celui de l'entrée du siège de l'entreprise, le visiteur de l'entreprise publique économique des cycles, motocycles et applications (Cycma) est très vite renseigné sur le triste état d'un fleuron parmi tant d'autres de l'industrie algérienne des années glorieuses.Si l'unité et son immense parking désormais vide et le reste des autres espaces déserts titilleraient sans doute les nostalgiques de l'Etat-providence, la direction générale et ses voies d'accès, qui ont dû également connaître une effervescence quotidienne en leur temps, sont aujourd'hui plongées dans une obscurité voulue pour cause d'économie de l'électricité, mais aussi parce que l'installation n'a plus besoin d'éclairer beaucoup de monde dans la mesure où ne sont demeurées en activité que douze personnes sur une centaine.D'ailleurs, un peu comme à l'unité où un premier plan social paradoxalement engagé déjà en 1993, autrement dit bien avant les décrets présidentiels qui ont suivi l'année d'après, et un deuxième ont ramené les effectifs de 1 600 travailleurs à 215. C'est dire les conséquences du déclin d'une industrie nationale sur laquelle étaient fondés tous les espoirs et, par voie de conséquence, un déclin qui a littéralement laminé l'ensemble de l'économie du pays dès la fin des années 1980 et la presque totalité des années 1990. Cycma, endettée aujourd'hui à hauteur de 300 milliards de dinars, n'enregistre en raison du plan de charge disponible qu'un chiffre d'affaires de 78 milliards après qu'il eut culminé à 315 au cours des années fastes. La dette est répartie entre la banque (2 800 milliards), la CNAS (320 milliards) et les services du fisc (150 milliards). Mais pour mieux comprendre la situation de Cycma, il est nécessaire de faire sa genèse. Société par actions, elle est l'émanation d'une restructuration de la Société nationale de constructions mécaniques (Sonacome) et c'est dans l'optique de cette restructuration que la mission qui lui était alors dévolue consistait en la production, la distribution et le développement des deux-roues et de ses dérivés. Enfin, pour matérialiser ce choix, la direction générale a été installée à Guelma au même titre que l'unité de production et ont été répartis sur l'ensemble du territoire cinq points de vente dotés de grandes surfaces couvertes et de vitrines pour l'exposition des produits (AlgerOran-ConstantineChlef et Ouargla). Etablie sur plus de 138 000 m⊃2;, dont 4 000 bâtis, Cycma a été réalisée par les Allemands de l'Ouest à l'époque et réceptionnée définitivement au cours de l'année 1978 pour la création de 650 postes d'emploi à son démarrage. Selon les capacités installées, l'unité était appelée à produire des cyclomoteurs, des bicyclettes, des moteurs stationnaires et, pour l'ensemble, 15% des pièces de rechange. De telles capacités n'ont pas limité la direction du complexe dans son choix dans la mesure où, quatre années plus tard, de nouveaux produits ont été développés et réalisés par les ingénieurs et les techniciens nationaux, comme le cyclomoteur avec amortisseur et réservoir rapporté, les cycles enfants 16'' et 20'' ainsi que BMX 16'' et 20'', les cycle cross et VTT, la voiturette à moteur pour handicapés, le fauteuil roulant et le chariot (diable) pour la manutention. Une embellie entamée par l'ouverture du marché national à l'importation L'augmentation des effectifs suivra cette évolution pour atteindre 1 600 travailleurs (1986) répartis en équipes pour certaines installations. Les pics de production atteindront pour les cyclomoteurs 45 000, cycles tous types confondus; 80 000, moteurs stationnaires; 5 000 et 20% de pièces de rechange. Tout cela obtenu grâce à un parc de production doté de 480 machines et installations annexes que rejoindront en 1990 six machines à commande numérique et un four de traitement thermique.Une embellie épisodique, en fait, et qui sera rapidement entamée par l'ouverture du marché national aux produits d'importation sans pour autant qu'une partie fasse l'objet d'une quelconque forme de protection, d'une part, et une érosion rampante du pouvoir d'achat des couches moyennes et/ou catégories sociales précises plus enclines à l'acquisition du type d'équipement évoqué. Du coup, Cycma est rapidement classée parmi les entreprises non viables et donc peu susceptibles d'être soutenues ou de bénéficier d'une opération de sauvetage parce que tout bonnement non éligible à une telle solution.En raison de difficultés tous azimuts au début des années 90, la production allait donc gravement décliner, pour cause notamment de la raréfaction des devises étrangères et donc de la difficulté d'approvisionnement au moment même où les produits d'importation allaient installer une concurrence déloyale même si les cyclomoteurs, cycles et autres deux- rones sortant de l'unité de fabrication de Guelma étaient en réalité frappés d'obsolescence. Le plan social engagé à partir de cette mue de l'entreprise réduisait, de fait, le chiffre d'affaires face à un marché pourtant porteur et prometteur pour les deux-roues dans un pays comptant près de 35 millions d'âmes, dont 70% de jeunes. Des données qui justifient amplement les prévisions de 80 000 cyclomoteurs et de 120 000 cycles en matière de demande où, sans exagération et quel que soit l'angle d'attaque du marché, Cycma prétendrait au moins à 50% pour le cyclomoteur, 20% pour le cycle avec, bien entendu, une amélioration de la qualité du produit ciblé. Pour M. Rachid Bensalim, le directeur général, «cela coulerait de source sachant la nécessité d'améliorer la production en adaptant les produits par un rajeunissement et l'élargissement des gammes par rapport aux techniques et technologies imposées par la mondialisation, seuls garants d'une rentabilité effective des investissements et d'une implantation dans le marché local et, pourquoi pas, l'exportation. Le tout en asseyant cette mue par un accord de partenariat avec des tierces parties sous forme de la filialisation, de participation au capital ou managériale». Notre interlocuteur ajoutant : «Des objectifs qui s'articuleraient autour d'une mise à niveau de la qualité et des procédés de fabrication, du développement de produits compétitifs, de la réhabilitation et de la modernisation de l'outil de production, de l'apport d'un know-how, de l'accès au marché extérieur et tout cela ne pourrait passer forcément que par l'amélioration de la position de l'entreprise sur le marché algérien, lequel, est-il besoin de le rappeler, est maîtrisable grâce au réseau déjà implanté dont dispose notre entreprise, à une main-d'œuvre qualifiée et à moindre coût, à une matière première disponible localement (Arcelor, Mital Steel et Anabib). Notre problématique se situe au niveau de l'endettement de l'entreprise majoritairement constitué par des dettes à court terme, de l'obsolescence des produits actuellement usinés et, plus particulièrement, de la perte d'un marché au profil assez particulier en ce sens qu'il s'agit d'une clientèle institutionnelle, en l'occurrence les ministères de l'Intérieur (APC et daïra), des Ressources en eau (ADE), de l'Agriculture (Conservation des forêts), des Télécommunications (Algérie Poste et Algérie Télécom), du Travail (ONAAPH) et, enfin, de la Solidarité nationale (DAS)». Il est vrai, et la preuve nous en a été donnée par le DG de Cycma à travers un calcul simpliste, que, si seulement chaque commune et chaque daïra du pays achetait un cyclomoteur par année, un geste aussi ordinaire permettrait de relancer l'activité et aiderait à redynamiser financièrement l'entreprise. Que dire alors si les DAS pour les handicapés, la Poste pour les facteurs, les services de la Sûreté urbaine pour leurs agents, etc. faisaient de même !Malheureusement, c'est une tout autre vision que ne risqueront pas d'avoir ceux qui laissent s'en aller à vau-l'eau un véritable bijou d'une industrie qu'enviaient à l'Algérie tous ses voisins immédiats de l'autre côté des frontières.