«J'ai enseigné l'histoire à l'université algérienne et j'ai toujours cru que Ferhat Abbas avait eu la nationalité française. C'est ce que l'on m'a toujours appris. En 1979, j'ai retrouvé une fiche de police française sur laquelle j'ai lu que Ferhat Abbas a toujours eu la nationalité algérienne. Beaucoup de questions m'avaient alors trituré l'esprit ! Imaginez l'état de celui qui découvre qu'il a enseigné des choses inexactes en pensant qu'elles étaient justes !»Cette confession, qui peut en cacher d'autres, émane d'un historien, Mohamed El Korso. Il s'est exprimé ainsi lors de l'hommage rendu au premier président de la République algérienne Ferhat Abbas. L'affirmation est d'une extrême gravité. Mais disons-le tout de suite, il ne s'agit pas de remettre en cause l'honnêteté de cet historien et l'intégrité de l'homme. Seul le contenu de la déclaration suscite de l'indignation. De l'indignation, comme celle que vient d'exprimer cette citation, parce que cela fait des décennies que le cours de l'histoire de ce pays a été dévoyé par ceux qui détenaient les clés du pouvoir. Tellement dévoyé qu'on a osé douter de la nationalité d'un géant, d'un grand homme comme Ferhat Abbas. Ceci n'est pourtant pas nouveau. Ferhat Abbas a été arrêté, emprisonné et mis en résidence surveillée au soir de sa vie, lui qui a été aux avant-postes du combat pour l'indépendance. L'homme, comme beaucoup d'autres, a été mis en marge de l'histoire officielle. Il a non seulement été effacé des manuels scolaires, mais le pouvoir de l'époque l'avait mis au banc des accusés, comme on traiterait n'importe quel repris de justice. Il faut juste rappeler -même si le fait est connu de tous - le «tort» de Ferhat Abbas : il n'était pas d'accord avec le régime conduit par Ben Bella et Boumediene. Il pensait, comme beaucoup de démocrates, qu'après la fin de la longue nuit coloniale, les Algériens allaient pouvoir jouir des bienfaits du soleil levant avec l'avènement de l'indépendance. Ce n'était pas le cas, malgré la multitude d'avis divergents sur le sujet.Comme Ferhat Abbas, des dizaines d'hommes et de femmes parmi ceux qui ont contribué à la libération de ce pays ont été excommuniés. Certains ont été assassinés, comme Abane Ramdane, Mohamed Khider, Mohamed Chabani et Krim Belkacem. D'autres ont subi la prison et les pires humiliations. «J'ai été torturé là où les Français torturaient les moudjahidine», devait écrire Ahmed-Taleb Ibrahimi dans ses mémoires. Ces derniers sont «coupables» aux yeux de leurs bourreaux, d'avoir exprimé une autre façon de gérer le pays, leur pays. Le point commun entre ces hommes et ces femmes est que leur parcours, leur combat et leurs convictions ne sont pas connus des jeunes générations. On a empêché - et on continue de le faire - les enfants de l'Algérie indépendante de connaître le combat de leurs aïeuls. C'est dans ce registre, à titre d'exemple, qu'une émission de télévision a affirmé que «Abane Ramdane est tombé au champ d'honneur», alors que certains de ceux qui ont participé à son assassinat ont avoué leur crime ! C'est de la pure hérésie !A-t-on peur d'enseigner les vrais faits de l'histoire aux enfants de l'Algérie ? C'est peut-être cela le fond du problème. Mais au moment où l'on demande à la France de reconnaître les crimes qu'elle a commis en Algérie, il est temps pour nous aussi de connaître notre histoire. Même avec ses épisodes les plus sombres. A. B.