Mohamed Corso, chercheur en histoire, est revenu hier au Forum d'El Moudjahid sur la falsification des faits et réalités historiques qui ont entouré la vie et le parcours de Ferhat Abbas, notamment en ce qui concerne sa fameuse déclaration «La France, c'est moi», en 1936. «L'histoire enseignée dans le système éducatif et universitaire fait état de la détention de la nationalité française par Ferhat Abbas. C'est une donnée que nous avons apprise dans les écoles et enseignée pendant plusieurs années. En 1979, j'ai consulté la fiche de police française où je découvre que Ferhat Abbas n'a jamais demandé la nationalité française. A partir de là, j'ai compris qu'il y avait une mauvaise interprétation de cette déclaration qui constitue une phase importante dans l'histoire, mais qui est devenue aussi une référence, une autorité historique et méthodologique dans l'écriture de l'histoire», a affirmé Mohamed Corso, lors de son intervention à la rencontre commémorant le 25e anniversaire du décès de Ferhat Abbas. Il s'est interrogé sur les motivations d'une telle modification des faits qui ne peuvent avoir pour objectif que «la marginalisation» de l'homme. «L'interprétation de la phrase a eu un impact sur l'écriture de l'histoire et de la Révolution algérienne», a-t-il souligné. «On ne peut comprendre la déclaration de Abbas qu'en situant les circonstances et les rapports de force au sein du FLN entre 1954 et 1962», a-t-il ajouté. Comme conséquence de cette grave dérive, le chercheur évoque le désintérêt des élèves des classes de terminale au cours d'histoire, ainsi que la déstabilisation des étudiants universitaires de la filière dans la mesure où chaque enseignant est devenu une école en la matière. «Cela est dû au fait que sur le plan méthodologique, il n'y avait aucun repère.» Il responsabilise l'enseignant, l'étudiant et l'université «qui a lâché le pouvoir de l'autorité de la connaissance», dira-t-il. Le conférencier revient sur les relations entre Ferhat Abbas et l'imam Ibn Badis, qui étaient marquées par une «polémique des idées», sans que cela n'ait un impact sur la relation entre les deux hommes et surtout sur l'adhésion des chercheurs et militants à la démarche de Ferhat Abbas. «L'homme mérite le respect et la considération même si on ne partage pas son opinion politique car il a été le premier président du GPRA, du Parlement et le porte-parole de la Révolution algérienne», a-t-il fait remarquer. Pour lui, la rencontre organisée sur Ferhat Abbas et son parcours politique constituent une étape importante dans la construction de l'histoire. Ferhat Abbas, le visionnaire Leila Benmansour Ouameur a évoqué, quant à elle, la réflexion profonde qu'avait Ferhat Abbas sur les jeunes et sur l'éducation. Alors qu'il n'avait que 23 ans, le premier président du GPRA a interpellé l'armée française dans son appel de 1941 sur la nécessité de former, d'instruire les indigènes en leur inculquant les valeurs morales et en développant leur esprit de la critique. «L'homme voyait juste. Les problèmes qu'il évoquait dans les années 1940 sont d'actualité aujourd'hui. C'était l'époque où il pensait à l'Algérie de demain basée sur l'instruction et le savoir», a-t-elle précisé. Ferhat Abbas a mené une lutte pour convaincre les familles d'accepter une tierce personne qui contribue à l'éducation de leurs enfants. Il enchaîna ensuite avec une deuxième bataille permettant aux filles d'accéder au savoir. Ferhat Abbas a alerté sur l'abandon de l'enseignement des sciences exactes, facteur important pour le renouveau. Il a toujours appelé au travail qui constitue, pour lui, la seule richesse authentique. «S'il était encore vivant, il se réjouira de voir des milliers de jeunes Algériens prendre le chemin de l'université, mais il sera malheureux de voir d'autres quitter leur pays à bord de fragiles barques», a-t-elle indiqué. Mme Leila Benmansour Ouameur a demandé à l'Etat de corriger l'histoire par une déclaration officielle et de donner le nom de Ferhat Abbas à un édifice prestigieux dans la capitale. C'est une question qui me tient à cœur», a-t-elle souligné.