Dix-sept années durant, Peter était opérateur machiniste dans une usine de textile sud-africaine. Ce travail, certes mal rémunéré, lui permettait cependant de prendre soin de sa famille. Contraint au chômage (par la faute des importations étrangères, moins chères), il vit depuis, une descente aux enfers ; ceux de la pauvreté et de la détresse, explique Claire Ichou, une chercheuse à l'université du KwaZulu-Natal, qui l'a rencontré. «Peter explique en des termes très douloureux comment il a perdu sa dignité. Il dit que sa femme ne le respecte plus, que ses enfants ont faim», écrit la chercheuse. Aux yeux de Peter, poursuit-elle, «un homme sans emploi n'est pas un homme et il n'y peut rien. Il n'a plus de statut». Alors que la course vers les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) entame sa dernière ligne droite, nombre de dirigeants africains et d'experts de l'ONU tentent d'attirer l'attention sur les fondations économiques d'un progrès durable. Pour sortir les plus démunis de la pauvreté, disent-ils, il faudra consentir plus d'investissements dans la production agricole et industrielle, créer plus d'emplois et mettre en place des politiques favorisant la croissance économique. Le président du Malawi, Bingu wa Mutharika, également président en exercice de l'Union africaine (UA), a exhorté l'ONU à «examiner le côté de l'offre [du développement] pour améliorer l'accès des citoyens ordinaires, notamment les femmes et les enfants, aux services prévus au titre des OMD. La réalisation de la plupart des OMD exige davantage d'écoles, d'hôpitaux, d'infrastructures rurales, de sites de forage, de barrages et de puits, d'enseignants qualifiés, de médecins, d'infirmières, d'ingénieurs agronomes, de scientifiques… Penchons-nous sur les objectifs du millénaire pour le développement du côté de l'offre si nous voulons les atteindre».Le Premier ministre tanzanien, Mizengo K. Peter Pinda, a estimé que la création d'emplois et de débouchés dans les zones rurales était indispensable aux progrès accomplis par son pays dans la réalisation des OMD. Donald Kaberuka, président de la Banque africaine de développement, a été le plus applaudi lorsqu'il a fait remarquer qu'à l'époque où les donateurs ont lancé leurs premiers programmes d'aide en Afrique, «ils nous ont apporté du poisson, mais on leur a dit qu'on en avait déjà. Ils sont revenus pour nous apprendre à pêcher, mais on leur a dit qu'on savait déjà comment s'y prendre». Ce dont l'Afrique a besoin aujourd'hui, a-t-il lancé sourire en coin, ce sont des partenaires qui «nous aident à monter une industrie de la pêche» qui encourage les activités de traitement et de conditionnement, favorise la création d'emplois stables et améliore la compétitivité africaine sur le marché mondial. «Prendre le contrôle» La création d'emplois et le développement économique revêtent plus d'importance que jamais à la suite de la crise économique mondiale. Ces deux enjeux sont décisifs en raison de l'incapacité des donateurs traditionnels de l'Afrique à honorer leurs engagements de doubler leur aide au développement au continent. Le président Kagamé du Rwanda a déclaré lors du sommet que «les OMD doivent demeurer La priorité de la communauté internationale». Il a néanmoins souligné qu'il appartenait à l'Afrique de tracer sa propre voie. «Le débat sur les OMD a souvent été dominé par quelques voix, celles des organisations non-gouvernementales par exemple, notamment des pays développés. Malgré leurs bonnes intentions, leur approche est souvent conditionnée par le paternalisme plutôt que l'esprit de partenariat, par la démarche caritative plutôt que l'autosuffisance, par des promesses non tenues plutôt que des changements véritables», a-t-il indiqué.«Or, a poursuivi Paul Kagame, nous ne pouvons plus nous en remettre à la bonne volonté d'autres nations. Nous n'en avons pas besoin et telle n'est pas notre intention. Nous devons assumer notre rôle de dirigeants, prendre pleine possession de la question du développement de nos pays et faire ce que nos citoyens attendent de nous».Supachai Panitchpakdi, secrétaire général de la conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), a attiré l'attention sur le fait que l'élargissement des services sociaux, bien que nécessaire, ne pouvait pas perdurer sans une base économique solide. La priorité accordée aux services sociaux et l'accroissement des inégalités exigent, a-t-il noté, que l'on «replace les OMD dans un cadre de développement plus vaste, qui met l'accent sur l'investissement, en particulier dans la capacité de production, la distribution équitable des ressources, la marge d'action et la création d'emplois viables comme principaux facteurs de réduction de la pauvreté». M. Panitchpakdi a conclu en affirmant que «l'une des raisons pour lesquelles nous risquons de manquer plusieurs OMD est que le modèle économique qui les étaye ne prend pas en compte le type de valeurs qui sous-tendent une ‘‘économie suffisante'' offrant des conditions de vie satisfaisantes pour tous. Pour s'aligner sur la vision exprimée en 2000 et atteindre ainsi les OMD, que ce soit en 2015 ou plus tard, nous devons retrouver le courage et l'ambition de modifier notre mode de développement économique». M. F. In Afrique Renouveau, magazine de l'ONU