Dimanche prochain,-à moins d'un ultime retournement de situation- aura lieu le referendum sur l'autodétermination du Sud-Soudan. Le risque de voir se «partitionner» le plus grand pays d'Afrique est grand. Une situation déplorable que le pouvoir en place à Khartoum a encouragé involontairement. L'histoire retiendra que les gouvernants soudanais ont hérité d'une géographie qu'ils n'ont pas réussi à transformer en nation. Indubitablement, l'avenir du Soudan est en ballottage. Les Sud-Soudanais seront appelés à se prononcer sur l'avenir de leur région et, de ce fait, sur le futur du Soudan dans sa forme actuelle. Les observateurs de la question soudanaise sont quasiment unanimes : une véritable tendance est favorable à la sécession. Une majorité d'électeurs devraient choisir la partition avec le Nord. Le désamour serait consommé entre le Nord et le Sud. Depuis l'indépendance, les deux parties se sont toujours regardées en chiens de faïence quand ils ne se livraient pas à une guerre fratricide aux stigmates indélébiles. Sur le terrain, la situation est telle que le scénario le plus probable n'est-pas difficile à deviner. L'éventualité de la scission est la plus probable. Mais comment en est on arrivé là ? Comment ce pays indépendant depuis 1956 s'est-il retrouvé embourbé dans une logique de désintégration aussi forte ? Pourquoi ce géant, jadis grenier de l'Afrique, se voit-il poussé à la croisée des chemins pour faire un choix crucial. L'organisation d'un référendum d'autodétermination du Sud est le résultat de l'accord inter-soudanais du 9 janvier 2005. Le paraphe est signé à Nairobi, au Kenya, par le gouvernement de Khartoum et l'Armée populaire de libération du Soudan (APLS). Cet accord de paix globale a mis fin à plus de deux décennies de destructions et de guerre civile entre le Nord, musulman, et le Sud, en majorité peuplé de chrétiens et d'animistes. L'accord en question prévoit un partage du pouvoir. D'ailleurs, le Sud a, depuis cette date, un gouvernement semi-autonome et jouit de certaines des ressources naturelles. Le choix du référendum qui s'annonce ballottera entre deux voies : sécession ou maintien de l'unité. Cependant, cette dernière, la plus improbable, aura incontestablement son lot d'effets, dont la redéfinition des règles du jeu. C'est dans cette optique que le président Omar El Béchir a décidé récemment d'abandonner intégralement les rentrées du pétrole aux villes du Sud. Sans succès. La décision est jugée purement populiste par les opposants au régime de Khartoum. Selon les observateurs, les Sud-Soudanais vont se prononcer en faveur de la partition du plus grand pays d'Afrique. Après l'accord de paix de 2005, le leader sudiste John Garang s'était pris à rêver d'un «Nouveau Soudan». Le rêve est rompu avec sa mort, en juillet 2005. Le nouveau leader du Mouvement populaire de libération du Soudan (MPLS), Salva Kiir est dans la même veine. Il n'a jamais caché ses velléités indépendantistes et sa méfiance envers le Nord. Pourtant, pour que la sécession soit entérinée, une majorité simple de la population doit se prononcer en sa faveur. La règle veut que le taux de participation soit de 60 %. Ainsi, près de 3 millions de personnes - sur environ 6 ou 7 millions de Sudistes, selon les estimations - se sont inscrites sur les listes électorales. Le référendum va-t-il avoir lieu le jour programmé ? De nombreuses difficultés logistiques ont laissé penser que le scrutin pourrait être reporté. Une éventualité souhaitée par le Nord qui ne se considère pas encore prêt aux «choix terribles» des sudistes. Le Sud, au contraire, met en garde contre toute tentative de faire défaillir le processus en cours. Sous la pression des pays occidentaux, notamment de Washington, Khartoum, pour échapper à davantage d'ingérence, devrait faire en sorte que le scrutin ait lieu à la date attendue. Les autorités soudanaises pourraient néanmoins s'arranger pour que le taux de participation n'atteigne pas la barre fatidique des 60 %. Une situation de statu quo qui pourrait conduire le Sud à déclarer son indépendance de façon unilatérale, avec toutes les conséquences incalculables qui en découleraient. Si, pour beaucoup d'observateurs, l'avenir du Soudan dans sa configuration actuelle est scellé, c'est surtout l'après-référendum qui fait question. En juin 2010, les deux parties (Khartoum et MPLS) ont mis en place quatre groupes de travail pour entamer les négociations concernant l'après-référendum. Citoyenneté, sécurité, ressources naturelles, économiques et financières et traités internationaux sont les sujets majeurs. L'accord de paix globale expire le 9 juillet 2011. Il restera six mois pour s'organiser après le scrutin. Qu'en sortira-t-il ? Plusieurs analystes estiment que ce référendum pourrait mettre à mal le sacro-saint principe de l'intangibilité des frontières héritées de colonisation. Le précédent soudanais pourrait encourager fortement le morcellement de l'Afrique où les zones de tension sont loin d'être rares. Le pétrole, autre sujet de discorde, hantera les urnes durant le referendum. Les trois-quarts de la manne pétrolière du Soudan, estimée à plus de six milliards de barils, se trouvent dans le sud du pays. Le cheminement de l'or noir passe par le Nord. Ainsi, si le pétrole a été l'un des éléments déterminants de la guerre civile pendant 20 ans, les deux régions sont condamnées à coopérer. L'accord de 2005 prévoit un partage équitable des ressources. Reste la zone d'Abyei, objet de fixation pour les différents protagonistes. La région est située sur la ligne de partage entre le Nord et le Sud. Un référendum spécifique d'autodétermination est prévu. Mais les discussions étant dans l'impasse, le vote aura le plus grand mal à se dérouler. Enfin, une question restera pour longtemps en suspens. L'indépendance du Sud est-elle viable ? Si le Sud dispose de ressources, il n'a, en revanche, aucune structure étatique et le pouvoir est monopolisé par les anciens soldats du Mouvement populaire de libération du Soudan (MPLS). Dans cette région, 90 % de la population est analphabète et vit avec moins d'un dollar par jour. Conséquence probable au Nord : l'unité autour du Parti du congrès national (PCN) au pouvoir, qui serait considéré comme responsable de l'échec en cas de partition, pourrait en pâtir. Et si l'indépendance du Sud-Soudan était le principal objectif politique des Américains en Afrique depuis vingt ans ? C'est en tout cas la thèse développée par Pierre Péan dans son dernier livre, Carnages, les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique. A l'appui de cette hypothèse sur l'obsession soudanaise de Washington, Péan met en lumière un homme de l'ombre, Roger Winter, un Américain qui dirige des ONG en Afrique depuis 20 ans. Ce personnage sombre jouerait un rôle non négligeable pour pousser vers l'éclatement du Soudan. Les accusations de génocide portées contre ce pays seraient une stratégie menée par Israël et les Etats-Unis pour affaiblir un Etat africain et musulman pouvant faire contrepoids à leur propre influence sur le continent. M. B.