Photo : Riad De notre envoyée spéciale à Ath Yenni Mekioussa Chekir Des processions de personnes, des familles ou des amis pour la plupart, arpentent dans les deux sens le trajet reliant les villages de Taourirt Mimoun et d'Aït Larbaa dans la commune des Ath Yenni (Tizi Ouzou). La foule est si dense et la circulation automobile si… qu'on se croirait en ville. Comme en ville, de jeunes adolescents s'improvisent en gardiens de parking et exigent des automobilistes pas moins de 50 DA comme «frais» de stationnement. De la musique kabyle, du raï ou du rap fusent à grands décibels des puissantes baffles placées à l'entrée du lieu qui accueille l'événement qui fait sortir de sa torpeur estivale cette localité des hauteurs de la Kabylie, réputée essentiellement pour son savoir-faire dans l'artisanat de l'argent. Pour la huitième année consécutive, presque toujours à la même période, le CEM Larbi Meziani de Taourirt Mimoun a abrité du 24 juillet au 1er août la fête du bijou qui met à l'honneur cet héritage ancestral d'une région qui ne manque pas d'autres atouts, comme celui de se targuer de compter parmi ses enfants des noms parmi les plus illustres de la littérature algérienne, à savoir Mouloud Mammeri et Mohamed Arkoun. Pour ne citer que ceux-là. Il faut dire que, depuis que l'idée de consacrer une fête au bijou d'Ath Yenni, à l'instar d'autres localités du pays qui célèbrent leur plus important patrimoine, cette commune a gagné en notoriété : l'événement souvent médiatisé quelques jours avant son lancement ne manquant pas de susciter la curiosité de ceux qui veulent découvrir l'intérêt panoramique de cette partie de la Kabylie en même temps acquérir les produits qui font sa fierté et sa particularité. Aussi est-il agréable de découvrir que la foule qui se déverse sans cesse sur les lieux de l'exposition une semaine durant est composée autant des habitants des Ath Yenni, de ceux qui en sont natifs mais habitant les cités urbaines et qui s'y rendent en vacances, et de ceux qui arrivent d'un peu partout des villages avoisinants ou des villes lointaines. La loi du marché… Mais ceux qui ont fait le déplacement dans l'espoir de se faire plaisir par l'achat d'un collier ou d'un bracelet aux légendaires corail et émail kabyles vont vite déchanter. En effet, devant la hausse des prix et la rareté de ces matières premières, beaucoup ont dû se contenter de faire le tour des stands dépités par la loi du marché. Les exposants ne trouvant eux-mêmes pas leur compte devant l'inaccessibilité de ces produits qui constituent, pour beaucoup d'entre eux, leur gagne-pain. Outre le corail et l'émail, ces derniers ont dû faire face à une flambée vertigineuse du prix de la matière de base, l'argent, cédé cet été à plus de 50 000 DA le kilo. Devant cette situation, les «affaires» n'étaient pas tellement au rendez-vous aussi bien pour les uns que pour les autres. Les artisans exposants s'en sortent en consentant d'importantes réductions pour éviter de se retrouver avec des stocks d'invendus. Comme à chaque édition, ces derniers lancent un appel aux autorités compétentes en vue de trouver une solution qui arrangerait tout le monde et qui sauverait, du coup, la pérennité d'un patrimoine culturel sans égal. Au lieu de cela, chaque année les tarifs galopent en même temps que s'érode un peu plus le pouvoir d‘achat des citoyens en raison de la hausse des produits de première nécessité notamment. La fête du bijou qui s'est achevée il y a quelques semaines ne l'aura ainsi pas été réellement pour une bonne partie des visiteurs et des exposants en raison de cette réalité contraignante. Qu'à cela ne tienne, la beauté du panorama qu'offre cette commune, nichée dans le creux du somptueux Djurdjura, est telle qu'elle peut être une compensation pour tous ceux qui ont quitté bredouilles le lieu de l'exposition. Une immersion visuelle dans ces lieux vaut, en effet, à elle seule le détour. Et ce n'est pas les quelques touristes étrangers, des Français et des Chinois essentiellement, qui diront le contraire, eux qui ont osé le déplacement en dépit des appréhensions qui peuvent encore subsister dans l'esprit de certains quant à la situation sécuritaire qui prévaut dans la région. Quelques jours avant le début de la fête, les villageois des Ath Yenni ont été témoins des ratissages des services de sécurité qui avaient visé le tristement célèbre périmètre de Takhoukht, avec ses denses forêts. Cette opération avait été précédée d'informations relatives à des incursions des groupes terroristes encore en activité dans la région et qui avaient dressé un faux barrage à Aïn El Hammam, à environ 30 km des Ath Yenni. Aussi la présence des hélicoptères jusqu'à la veille du lancement de la fête du bijou était-elle de nature à rassurer les habitants et autres visiteurs étrangers. Pour d'autres, cette présence sonne comme un rappel quant à l'existence d'éléments du GSPC encore actifs dans la région. Cela, même si la région des Ath Yenni n'est heureusement plus inquiétée comme par le passé par quelques incursions terroristes. Maintenir la tradition L'expérience aidant, le comité communal des fêtes maîtrise de mieux en mieux le côté organisationnel de l'événement. Son président, qui n'est autre que le président de l'APC de Beni Yenni, Mohamed Arab Boumaza, affiche son satisfecit que cette édition n'ait pas été émaillée par des incidents majeurs. Pour cela, ce dernier considère donc l'édition passée comme un succès. D'autant plus, nous explique t-il, qu'il ne s'attendait réellement pas à la réédition de la fête cet été en raison des priorités qui se sont accumulées sur les bureaux des nouveaux élus locaux. Mais compte tenu de l'importance de ce rendez-vous, notamment pour les bijoutiers artisans qui la considèrent comme une rare aubaine d'écouler leurs produits, le comité communal des fêtes s'est décidé à l'organiser. Le plus important étant de maintenir une activité inscrite désormais dans les traditions de la commune. Abordant le bilan de cette manifestation, ce dernier regrette néanmoins qu'à chaque édition ressurgisse le même problème, celui du financement qui n'est souvent résolu que quelques jours avant le coup d'envoi. Pour cette édition, informe notre interlocuteur, le ministère de la PME a déboursé la bagatelle de 1 million de dinars alors que l'APW de Tizi Ouzou et l'Office national du tourisme (ONT) ont contribué chacun à hauteur du cinquième de cette somme. D'autres sponsors ont également répondu présents pour garantir, chacun dans son domaine, le maintien de cette manifestation, à savoir : Naftal, Air Algérie, l'Entreprise touristique de Kabylie (ETK), la BDL, Cevital, Hamoud Boualem, Lactel et Lalla Khedidja. Une première pour cette édition : une tombola a été organisée avec le concours de Hyundai, dont une Atos a été remportée par un adolescent du village d'Aït Lahcen, âgé de 13 ans. Le premier responsable de la commune des Ath Yenni regrette que celle-ci ne dispose pas des infrastructures nécessaires pour héberger les personnes qui auraient aimé joindre l'utile à l'agréable et passer une nuit ou plus pour mieux apprécier leur séjour et faire la découverte de la région. Le foncier, les dettes et les projets Ceci nous renvoie à l'une des premières contraintes auxquelles fait face l'APC de Beni Yenni, celui du foncier. En raison de cela, explique le maire, elle se trouve empêchée d'envisager des projets au profit des secteurs du logement, du tourisme, de la santé… La commune ne dispose plus d'assiettes foncières, assure M. Boumaza qui se plaint d'avoir les «mains liées» et qui dit attendre la circulaire d'application du décret inhérent à la question pour pouvoir démarrer des projets. Car, ce ne sont pas les chantiers qui manquent dans cette commune qui s'étend sur 342,5 km2 et qui compte sept villages : le chef-lieu de la commune, Taourirt Mimoun, Aït Lahcen, Aït Larbaa, Aggouni Ahmed… La première priorité de l'assemblée communale, composée de 7 élus, 2 du FLN (dont le P/APC) et 5 du RND, est de répondre aux attentes des habitants en matière de logement. La demande est telle (plus de 500 dossiers en instance) et en l'absence de terrains suffisants, les autorités locales ont entrepris depuis quelques années d'ériger des immeubles au risque d'altérer le cachet architectural typique et prédominant depuis des décennies. Dans le cadre du logement social, 32 natifs de Beni Yenni ont bénéficié de logements (F2 et F3) sis à l'entrée de la commune. 60 autres ont été lancés à Aït Lahcen depuis au moins deux ans mais tardent à être achevés en raison de la réévaluation de leurs coûts par les entreprises en charge du projet. 40 autres doivent être lancés à Taourirt El Hadjadj et 10 à 20 autres à Tigzirt. Mais le nombre des demandeurs devrait être revu à la baisse une fois la commission ad hoc ayant tranché sur la recevabilité des dossiers, explique M. Boumaza. Depuis 2005, 280 habitants ont bénéficié de l'aide de l'Etat à l'habitat précaire alors que la demande est estimée à 600. «Certains habitants, rares néanmoins, vivent dans des conditions indécentes, la priorité leur sera évidemment accordée !», précise le P/APC. L'autre défi à relever par M. Boumaza et son équipe est celui de la résorption du chômage, important dans la commune mais dont il est difficile d'en connaître la proportion réelle en l'absence de mécanismes de recensement. Seules les demandes qui parviennent à la mairie, émanant majoritairement des filles, permettent de se faire une idée de la question. Au mois de juillet 2008, nous explique-t-on, 100 diplômés des centres de formation ont été recrutés au titre de l'emploi de jeunes. 260 autres emplois ont été créés dans le cadre du filet social. La priorité, explique M. Boumaza, est accordée aux cas sociaux les plus nécessiteux. Le nouveau dispositif d'aide à l'emploi des jeunes, explique le P/APC, n'a toujours pas été mis en œuvre à Beni Yenni. La commune, qui s'est vidée peu à peu de ses habitants depuis les années 90, fait face à une réduction importante des écoliers si bien que deux écoles ont dû être fermées, l'une à Aggouni Ahmed et l'autre à Taourirt El Hadjadj. Elles comptaient chacune une cinquantaine d'élèves, soit le même nombre d'une classe à Alger. Hantise par le passé de la population locale, l'approvisionnement en eau potable a trouvé sa solution ces dernières années et la situation s'est particulièrement améliorée cet été avec une distribution quotidienne. Reste le dossier du gaz de ville qui devrait être aussi réglé d'ici deux ans au plus tard, assure le maire. A l'actif de la commune de Beni Yenni, la mise en place d'une sûreté de daïra, d'une unité de la Protection civile et d'une antenne de la Conservation des forêts. Ces services s'ajouteront à la brigade de gendarmerie et à l'unité de la garde communale existant depuis la décennie précédente. M. Boumaza soulève une autre contrainte de taille à la mise en œuvre de tous les projets de développement : les dettes héritées de la précédente assemblée et qui s'élèvent à près de 8 milliards de DA au moment où le budget de fonctionnement pour 2008 est de 5,5 milliards DA et celui de l'équipement est estimé à 7 milliards dinars. La commune a bénéficié, en outre au titre du plan communal de développement (PCD), de 23 millions DA. Ces budgets, assure le P/APC, demeurent insuffisants compte tenu des charges qui incombent à l'assemblée. Celle-ci est harcelée par la Sonelgaz pour le remboursement de 3,3 millions DA laissés en suspens par la précédente assemblée. De même qu'une ardoise de 40 millions centimes dépensés au titre du couffin du Ramadhan en octobre 2007, une dette contractée auprès d'un fournisseur privé en produits alimentaires. Notre interlocuteur en appelle à l'intervention des autorités compétentes pour soulager la commune de ce fardeau financier qui freine ses ambitions.