La crise politique au Liban se complique au fil des révélations. Une chaîne de télévision diffuse un enregistrement sonore daté de 2007. Dans ce dernier, le Premier ministre en exercice Saad Hariri affirme devant la commission d'enquête qu'il était convaincu que c'est bien le régime syrien qui a commandité l'assassinat de son père, le dirigeant Rafic Hariri, dans les circonstances que l'on sait. L'enregistrement diffusé par «New TV», qui ne précise pas la manière dont elle l'a obtenu est implacable. Et le timing brille par son caractère judicieux. Cela intervient la veille de la remise prévue de l'acte d'accusation du Tribunal spécial pour le Liban (TSL), en charge de l'enquête sur le meurtre du 14 février 2005. L'acte d'accusation en question s'est donné pour unique cible le Hezbollah. Ce dernier sait qu'il va être injustement mis en cause et se prépare à mener le combat. L'enregistrement en question porte sur des extraits du témoignage, en anglais, de Saad Hariri, qui n'était pas Premier ministre à l'époque, devant l'enquêteur Lajmi Mohammad Ali : «Vers janvier [2005], mon père a dit à Walid Mouallem [ministre syrien des Affaires étrangères] de dire à Bachar al-Assad ‘‘je ne serai jamais contre la Syrie, mais vous ne pouvez pas continuer comme cela''.» La référence aux ingérences de Damas, alors la puissance de tutelle de son petit voisin depuis 30 ans, est patente. «Walid lui a alors dit ‘‘tu marches sur un terrain dangereux''», ajoute-t-il. «Si vous me demandez pourquoi et comment cela [l'assassinat] s'est passé, je pense qu'Assef Chaoukat [actuellement chef d'état-major adjoint et beau-frère d'Assad] et Maher [Assad, frère du Président et actuellement officier dans l'armée] ont joué un rôle considérable dans ça», a indiqué Hariri dans l'enregistrement. L'accusation de ces personnalités en vue en Syrie est loin d'être anodine. La Syrie, contrainte après l'assassinat de Hariri de retirer ses troupes du Liban après 30 ans de tutelle, a subi un véritable tir croisé de la part du camp de Saad Hariri. Cependant, ce dernier, dont les relations se sont finalement améliorées avec la Syrie depuis qu'il est devenu Premier ministre fin 2009, s'est quelque peu rétracté en affirmant en septembre avoir commis une «erreur» en accusant Damas. Depuis, l'enquête du Tribunal et ses moyens ont été sciemment dirigés vers une accusation unique : le Hezbollah. Le fait que le mouvement de Nasrallah reste une épine dans le pied d'Israël n'est point étranger à l'orientation donnée au TSL. La bourrasque TSLLa chute du gouvernement libanais provoquée par la démission des ministres du Hezbollah complique la donne.Les consultations pour nommer un nouveau Premier ministre ont été reportées au 24 janvier prochain. Ces entrevues entre le chef d'Etat et les députés doivent se tenir alors que l'effondrement, le 12 janvier, du gouvernement de coalition de Saad Hariri a fait entrer le pays dans une situation de lévitation. La réunion à Damas entre les dirigeants de Turquie, de Syrie et du Qatar sur la crise libanaise est un autre élément qui incite au wait and see. La crise gouvernementale libanaise a inéluctablement pour origine l'acte d'accusation du Tribunal spécial pour le Liban (TSL). La remise de l'acte par le procureur au juge de la mise en état est attendue lors d'une audience à huis clos. Et tous les Libanais sont dans l'expectative. Les mises en accusation, confidentielles, seront remises par le procureur Daniel Bellemare au juge de la mise en état, Daniel Fransen, chargé de les examiner en vue de leur confirmation, un processus qui peut prendre de «six à dix semaines». Le Hezbollah, qui s'attend à être mis en cause dans l'assassinat, a prévenu qu'il se défendra contre toute charge concernant ses cadres. «Nous ne permettrons pas qu'on nous fasse endosser injustement le sang de l'ancien Premier ministre martyr Rafic Hariri», déclare le leader du mouvement, Hassan Nasrallah. Dans son dernier discours très attendu, il dira : «Nous agirons pour défendre notre dignité, notre existence et notre réputation.» Hassan Nasrallah, qui a promis d'expliquer ultérieurement sa stratégie de défense, a indiqué que l'opposition menée par son parti n'allait pas proposer le nom de Hariri auprès du chef d'Etat. Pour le Hezbollah, il n'y a guère de doute, le TSL fait partie d'un complot israélo-américain visant à détruire la résistance. Le Hezbollah veut que le nouveau Premier ministre cesse toute coopération avec le TSL. Il préconise le retrait des juges libanais, l'arrêt du financement de cette instance et le retrait du protocole signé avec le Tribunal. La crise politique au Liban réunit tous les ingrédients pour un dérapage des plus périlleux. Le chef druze Walid Joumblatt se retrouve dans une position d'arbitre. Il suffirait en effet que six des onze députés appartenant à son groupe changent de camp pour faire basculer la majorité parlementaire. Une hypothèse que le revirement politique de Walid Joumblatt, qui s'est de nouveau rapproché de la Syrie au cours des derniers mois, rend absolument vraisemblable. Restera cependant à trouver une personnalité politique sunnite qui accepte d'assumer la fonction de Premier ministre. Selon le système en vigueur, le poste devant obligatoirement échoir à cette communauté. Dans un pays à la composition ethno-religieuse très complexe, l'occupation des postes de premier plan est un gage d'équilibre. Robert Fisk, le célèbre reporter britannique et observateur avisé du dossier libanais, pense que le salut du pays du Cèdre réside justement dans sa particularité. Le problème avec le Liban, dit-il, est très simple, même si les puissances occidentales préfèrent l'ignorer. Il s'agit d'un Etat confessionnel. «Il a été créé par le Mandat colonial français après la Première Guerre mondiale. Le problème, c'est que, pour devenir un Etat moderne, il doit se ‘‘dé-confessionaliser''. Mais le Liban ne peut pas procéder ainsi. Son identité, c'est le sectarisme et c'est là son drame. Les chiites du Liban, dont le Hezbollah est le parti dirigeant, sont peut-être quarante pour cent de la population. Les chrétiens sont une minorité. Si le Liban a un avenir, il sera en temps voulu un pays musulman chiite. Nous pouvons ne pas l'aimer, l'Occident peut ne pas l'aimer. Mais c'est la vérité. Pourtant, le Hezbollah ne veut pas diriger le Liban. Maintes et maintes fois, il a dit qu'il ne veut pas d'une république islamique. Et la plupart des Libanais acceptent cela.» M. B.