La vie politique au Liban n'a jamais pu se départir de l'odeur de soufre qu'elle véhicule depuis toujours. Sans gouvernement depuis maintenant plus d'une semaine, le pays du Cèdre se retrouve dans une situation extrême. Les deux camps politiques antagonistes se regardent en chiens de faïence et ne veulent plus lâcher de lest pour l'intérêt commun. L'opposition menée par le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a affirmé que sa formation souhaiterait voir la mise en place d'un gouvernement de «partenariat national» afin de débloquer la situation. Les députés libanais sont appelés à se prononcer sur le choix du prochain Premier ministre. C'est Omar Karamé, déjà deux fois Premier ministre, qui était la personnalité la plus pressentie. Mais Karamé a poliment refusé, arguant des impératifs liés à sa santé. Ainsi, les consultations du président libanais Michel Sleimane avec les groupes parlementaires, afin de nommer un remplaçant à Saad Hariri, ont débuté. Elles s'annoncent compliqué et ardues, alors que des pays de la région qui cherchaient à apaiser les tensions politiques sont dans l'expectative. Le chef par intérim de la diplomatie iranienne, Ali Akbar Salehi, est arrivé à Damas pour des entretiens, le dossier libanais devrait être à la tête des préoccupations. Le camp de Hariri, soutenu par l'Occident et l'Arabie saoudite, et l'opposition s'affrontent depuis des mois au sujet du tribunal spécial chargé d'enquêter sur l'assassinat, en 2005, du dirigeant libanais Rafic Hariri. Le tribunal en question a perdu de sa crédibilité et est en passe de devenir un poison pour le Liban. La bataille parlementaire risque de faire rage. La coalition menée par Hariri dispose de soixante sièges sur les 128 du Parlement, contre cinquante-sept pour le camp du Hezbollah. Elément de taille, le député druze Walid Joumblatt s'est rangé, vendredi dernier, du côté de la résistance. Mais les nuances politiques au Liban sont telles que rien ne garantit, cependant, qu'il entraîne avec lui suffisamment de députés de son bloc pour permettre aux adversaires d'imposer leur candidat. Saad Hariri, dans un entêtement à la limite de l'irresponsabilité, a insisté pour sa candidature. Dans le même camp, le chrétien Samir Geagea, chef des Forces libanaises, est des plus virulents, l'opposition prendrait «en otage le Liban». L'autre chrétien Michel Aoun a déclaré que les députés de Tripoli Mohammed Safadi et Najib Mikati pourraient être candidats au poste de Premier ministre. Le poste de premier responsable du gouvernement doit être musulman sunnite, selon les lois libanaises. La crise politique actuelle ravive le spectre des violences confessionnelles de mai 2008, quand des combats de rue avaient fait une centaine de morts et mené le pays au bord de la guerre civile. L'accalmie n'a pu être effective que grâce à des personnalités respectées par tous les Llibanais et aux efforts de médiation du Qatar. Les yeux se tournent à présent vers l'ex-dirigeant libanais Najib Mikati, député du camp de Saad Hariri. Le poste de Premier ministre devrait lui échoir. Il apparaît du moins comme le favori dans la bataille pour la primature qui oppose les deux camps en présence. «A travers cette candidature, je cherche à coopérer avec tous les leaders libanais en vue de former une équipe de travail solidaire qui sortirait le pays de la grave crise dans laquelle il se trouve», a-t-il indiqué. Le président Michel Sleimane, lui-même installé après une bataille politique dantesque qui a duré des mois, aura fort à faire avec les groupes parlementaires, afin de nommer un Premier ministre pour remplacer Saad. Hariri. La candidature de Mikati est immédiatement rejetée par le camp de Saad Hariri qui l'a qualifiée de «trahison». Ancien Premier ministre en 2005, Mikati, un sunnite de 55 ans, avait été élu député sur les listes de Saad Hariri lors des législatives de 2009. Ce milliardaire est connu comme étant un rival des Hariri. Il insistera néanmoins à lever les ambiguïtés : «Ma candidature n'est un défi lancé à personne, mais plutôt une chance pour renouer le contact entre les leaders.» De son côté, le chef du bloc du changement et de la réforme, le général Michel Aoun, a avancé les noms de trois candidats pour le poste de Premier ministre, excluant catégoriquement la possibilité du retour de Saad Hariri. Aoun Hariri est placé «en tête» de la liste des faux témoins. Pour lui, le Liban ne pourrait donc se doter d'un chef de cabinet soupçonné de faux témoignage. Michel Aoun a souligné que le retour de l'équipe qui a gouverné le Liban «depuis 1992» et qui a «mené» le pays à l'impasse actuelle est «impossible». Pour le chef de fil d'une partie de l'opposition, le Liban n'est pas «une concession américaine» qui peut faire les frais d'un compromis régional. Saad Hariri est fortement soupçonné d'être soumis aux pressions occidentales. Pour Aoun, il n'y a aucun doute, il faut annuler le tribunal spécial TSL, après que cette instance a «elle-même démissionné» de ses fonctions, en refusant d'ouvrir le dossier des faux témoins, ces personnes à l'origine de l'emprisonnement «injuste de personnalités libanaises importantes». Michel Aoun, personnalité libanaise au long cours, s'est dit «confiant» concernant l'issue des consultations parlementaires. Cependant, il avertira qu'en cas de manipulation de la part de l'adversaire, il «se saisirait de la rue, comme les Tunisiens l'ont fait pour chasser Ben Ali». Aoun a éludé du revers de la main les accusations de faire dans le communautarisme. Il dira que son opposition est centrée sur la gouvernance de Saad Hariri et contre «ce dernier particulièrement». Le député du Kesrouan au mont Liban promettra à l'opposition, une fois majoritaire, «de changer la méthode de gouverner» du Liban et consolidera l'indépendance du Liban en renforçant ses relations «avec les pays amis», sans imiter les loyalistes qui reçoivent «leurs ordres de l'extérieur». Vaste programme. Le pays du Cèdre est appelé à passer un virage crucial vers son avenir immédiat. Indéniablement, les jours à venir seront des plus déterminants. M. B.