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Nos démocrates libéraux fêtent déjà leur victoire sur l'Etat national
Comme les marins vont contre le vent avec la force du vent
Publié dans La Tribune le 03 - 02 - 2011

La leçon grandeur nature : comme une leçon grandeur nature les révoltes de Tunisie et d'Egypte - seront-elles des révolutions ? - ont opposé immédiatement les aspirations des peuples tunisien et égyptien aux intérêts géostratégiques des Etats-Unis, de la France, puis de l'Angleterre et de l'Allemagne ; avec une mention spéciale pour cette dernière puissance puisque Angela Merkel s'est exprimé sur l'Egypte à partir d'Israël. Les tyrans égyptiens et tunisiens sont alors apparus dans leur réalité toute nue : des hommes en charge d'imposer à leurs peuples des orientations et des programmes politiques au service de puissances étrangères. Bien sûr, ces tyrans appartenaient à un système de familles oligarchiques, à une caste de ploutocrates dopés au commerce extérieur ; mais ils n'étaient que cela, une interface entre un pays à tenir d'une main de fer et les institutions d'un ordre capitaliste aux multiples visages. Cette réalité a pris des dimensions cocasses quand Israël est entré dans la danse pour rappeler à ses parrains la nécessité d'écarter dès maintenant tout risque de danger pour lui. Même au plus fort des crises, Ben Ali comme Moubarak ont plus discuté avec leurs parrains qu'avec leurs peuples des possibilités qui leur restaient. Mais ces tyrans savent mieux que quiconque combien ils n'ont été que les gangsters au service du grand capital. Les médias dominants deviennent prolixes sur les méthodes maffieuses du clan Ben Ali. Plus aucun détail ne nous a épargné des intimidations, détournements et autres joyeusetés criminelles à nous donner le tournis et nous faire croire que la misère dans laquelle ont sombré le peuple tunisien et sa jeunesse ne vient pas de la présence maffieuse – sinon le peuple américain serait le plus pauvre du monde – mais des orientations du FMI qui n'est qu'un chaînon du commandement mondial du capitalisme et un rouage de la gouvernance mondiale. Michel Chossudovsky a écrit sur cet aspect un texte à découvrir sur le site «www.mondialisation.ca».Le choc a été immédiat entre les aspirations de ces deux peuples et les frontières qu'on leur trace déjà. Oui pour la révolte non à la révolution. La révolution, c'est clairement la réappropriation par ces peuples de ce qui reste des Etats nationaux pour réenclencher les processus du développement centré sur leurs besoins. Partout, les orientations du FMI ont débouché sur les mêmes fléaux. L'enrichissement d'une caste de compradores immergée dans l'informel et un relatif confort d'une intelligentsia compradore face à la marginalisation des fractions nationales de la bourgeoisie, la marginalisation de l'économie productive et la paupérisation des couches populaires dont une bonne partie est sous-prolétarisée aux franges de l'activité parasitaire des compradores et de leur informel. La partie se joue directement entre ces peuples et le grand capital international. Les tyrans sont renvoyés à leur véritable statut, celui de comparses, sous-traitants falots et passablement malades et délirants dont on peut retenir que leur psychose repose sur une sérieuse confusion révélée par les discours de Ben Ali et Moubarak : ils prennent leur tyrannie pour une œuvre et le pays pour leur propriété. Cette réalité revenue sur le devant de la scène nourrira certainement beaucoup de controverses et de polémiques mais aussi de relations scientifiques et militantes. La confrontation directe entre peuple et centres de l'impérialisme (ou de l'empire comme on dit aujourd'hui) déclasse-t-elle les vieilles formes de lutte et les concepts qui les encadraient et les nourrissaient ? Au contraire, valide-elle le concept d'impérialisme avec ce retour à la gestion directe des conflits et des territoires par les grandes puissances et par un retour de la présence sur le terrain des anciennes puissances coloniales ? Il est certain en tout cas que ces révoltes sont nées dans des pays dans lesquels les Etats nationaux avaient perdu toute consistance. Il était difficile de parler encore en Tunisie d'Etat national, pays dans lequel, pourtant, toute l'histoire de la bourgeoisie, depuis, s'est confondue avec celle de la construction d'un Etat tunisien. Il n'était même pas question de parler d'un Etat national en Egypte, tant les humiliations subies et le rabaissement du pays devant Israël avaient provoqué une blessure narcissique profonde qui n'est pas sans rapport avec les dérivatifs dans les passions du football, etc. C'est probablement cette blessure narcissique qui jouera un rôle décisif dans le combat politique engagé par le peuple égyptien. Il ne s'arrêtera que si cette blessure narcissique serait réparée, que si les humiliations étaient réparées. Ou si les Etats-Unis jugent que la révolte égyptienne risque de se transformer en révolution et menacer substantiellement leurs intérêts et ceux d'Israël. Alors, l'armée égyptienne réprimera sans pitié la révolte. En sortira-t-elle victorieuse ? C'est une autre paire de manches. Il est maintenant évident que nos peuples doivent courber l'échine devant deux maîtres : le grand capital et Israël. Et pour les deux, notre sang ne vaut pas grand-chose. C'est pourquoi l'impérialisme ne laissera plus de marge de manœuvre à Moubarak. Il doit faire les réformes qu'on lui a dictées. Peu importe que ce soit lui ou son vice-président. Et le peuple égyptien doit comprendre que l'hégémonie du capital et d'Israël n'est pas discutable. De grands dangers pèsent sur le peuple égyptien. A la mesure du gouffre qu'il ouvre sous les talons de fer de l'impérialisme.
L'Algérie au temps des Ouattara
C'est entendu, le vent qui s'est levé en Tunisie soufflera sur notre beau pays d'Algérie et emportera le régime vers la destination inconnue du cimetière des dictatures. Il faut croire nos libéraux ! Quand ils le disent, ils le disent ! Surtout, qu'avec une ostentation qui ressemble aux vieilles fiertés de nos tirailleurs de 14/18 exhibant les médailles accrochées sur leurs poitrines par les mains de leurs maîtres coloniaux, nos libéraux étalent leurs conversations avec les ambassades étrangères sur l'avenir de l'Algérie. Ils n'ont plus besoin de cacher, comme dans le passé, ces conversations sur l'avenir de l'Algérie que nous aurions ignorées sans WikiLeaks. Comme nous aurions ignoré, sans WikiLeaks, les contacts avec des responsables algériens dont les fonctions imposent naturellement la confidentialité, sinon le secret. Il faut que nos libéraux soient tout à leur joie de ce vent inéluctable pour qu'ils nous étalent leur nouveau statut d'interlocuteurs des puissances étrangères sur «l'avenir de l'Algérie». Car, il y a un fossé entre les rencontres ordinaires des opposants qui exposent leurs points de vue politiques et les rencontres dans lesquelles on discute de l'«avenir de l'Algérie» ! Depuis Fanon, nous sommes en mesure de comprendre que ce genre de rapports transporte les concernés dans la joie ineffable d'un nouveau statut : en discutant avec les représentants des maîtres du monde, nos libéraux se créent l'illusion d'une extraction de leur indigénat et l'illusion d'un accès au statut de couches moyennes mondialisées parties prenantes du mouvement qui emporte le monde vers la mondialisation des crises du capitalisme et candidates aux postes de dirigeants de ce mouvement pour leurs propres indigènes comme avant eux caïds et bachagas ont été les candidats à diriger nos ancêtres provisoirement vaincus par Bugeaud et Cavaignac. Ils vont un peu vite en besogne ces ambassadeurs qui discutent de l'avenir de notre pays avec leurs amis libéraux ; en toute bonne compréhension de la démocratie dont ils nous tartinent, c'est au peuple algérien de décider de son avenir, pas aux seuls libéraux adoubés par les ambassades étrangères. Cette demande d'ingérence et cette demande de tutelle étrangère n'indignent plus ces couches moyennes candidates à nous montrer la voie de la démocratie entendue comme voie ultra libérale parce que candidate à un statut mondialisé, candidate à séparer leur propre sort du destin du peuple algérien. Quand on aspire à un statut mondialisé et aux «valeurs» qui le justifient on ne discute plus de l'avenir avec son peuple mais avec les supports de la gouvernance mondialisée. Et avec cette rupture d'avec le peuple, l'Algérie n'est plus un pays mais un territoire, une zone comme on dirait, une zone de libre-échange. L'Algérie n'est pas peu dans le dispositif géostratégique de la Méditerranée. En Moubarak et en Ben Ali, Sarkozy avait trouvé de dociles exécutants. Moubarak comme Ben Ali repoussaient le «danger islamiste», et même criminels avérés et endurcis, ils sont à préférer à l'Algérie. On imagine Alexandre Adler, de la bave aux lèvres quand il rappelle à tous que l'ennemi c'est le régime algérien pas Ben Ali : «Cela étant dit, même quand on déplace trois tonnes d'or dans une camionnette, même quand on vole de façon éhontée ici un yacht ou une grosse voiture, là une entreprise florissante, cela coûte toujours moins cher que le préjudice causé aux Algériens par leurs technocrates formés à l'énarchie française, incapables de gérer correctement la manne représentée par les hydrocarbures. Nous assistons d'ailleurs en Tunisie à une révolution de la prospérité mal répartie et non à une révolution de la misère.» (http://www.nicematin.com/article/derniere-minute/alexandre-adler-a-nice-la-tunisie-n%E2%80%99etait-pas-un-pays-monstrueux). En quoi la situation de notre pays regarde Adler ? Parce qu'il est en situation de défense de la suprématie d'Israël. Mais pas seulement. Ouvertement idéologue de la suprématie de l'Occident et particulièrement des Etats-Unis, Adler assume son rôle jusqu'au bout, et en pleine crise, il se démasque. Pas le temps de faire des chichis. L'urgence, c'est l'Algérie. C'est ici que cela doit tomber et nos libéraux sont disponibles. Mais pourquoi l'Algérie ? Malgré les concessions faites aux puissances étrangères et malgré le zèle inattendu mis à appliquer des conseils du FMI, malgré le démantèlement du secteur public, etc., elle reste une cible. Pour la simple raison que le pouvoir n'a pas tout à fait abandonné
la notion de souveraineté. (www.city-dz.com/jean-ziegler).
Et nos libéraux se proposent de jeter aux oubliettes de l'histoire cette notion de souveraineté. Mais pour faire quoi ? Pour nous appliquer les recettes et la politique qui ont soulevé le vent de la révolte en Tunisie et en Egypte. Pour être bref, si, à Dieu ne plaise, nos libéraux qui vont de conclave en conclave avec les ambassades étrangères prenaient le pouvoir, ils privatiseraient tout le système bancaire, tout ce qui reste du secteur public, tout ce qui subsiste de notre droit sur le pétrole. Ils reproduiraient chez nous avec le zèle des gens contrariés par le calendrier la casse sociale et économique connue par les anciens pays de l'Est. Ce sera alors l'occasion de liquider notre propriété sur le pétrole et de prendre une revanche sur les patriotes qui ont fait échouer les pressions pour la privatisation du CPA. Nous appliquer les recettes du FMI et nous amener vers le bilan de la Tunisie ? Lisez plutôt : (http://algeriedebat.over-blog.com/article-les-recettes-economiques-du-fmi-en-tunisie-ont-provoque-la-pauvrete-generalisee-et-le-chomage-65830336.html). Alors, pendre appui sur les vents venus de Tunisie et d'Egypte pour nous faire appliquer la politique qui a engendré la colère des peuples de ces deux pays. C'est le pari sur notre quotient intellectuel pris par nos libéraux.
M. B.
L'Egypte, l'épine au pied de l'Occident
L'Egypte est en flammes et le régime de Moubarak tient à un cheveu. Ces dernières semaines, c'est le troisième soulèvement populaire qui secoue les rives de la Méditerranée. Tunis, Albanie, Egypte. Et il y a aussi l'Algérie. A première vue, Ben Ali Berisha et Moubarak sont trois problèmes sans lien entre eux. Mais certaines «séries» sont difficilement pure coïncidence. On a l'impression que la même vague de mécontentements et d'espoir à la fois est en train de survoler la région entière.Cette impression, qui peut n'avoir aucune origine immédiatement visible, en a une seule : nous sommes témoins de l'expression d'une large fissure dans le mur de l'hégémonie de l'empire.Il semble que les Etats-Unis ne sont plus
capables déjà de vérifier les scénarios, ce qui a été un privilège de leur domination au cours des cinquante dernières années. Le fait est que la crise systémique, qui a frappé l'Occident, a commencé aux Etats-Unis, et que les Etats-Unis ne sont pas parvenus à y faire face au cours des trois dernières années, ce qui a déjà gravement nui à leur prestige auprès des dirigeants européens et asiatiques sans parler de ceux de l'Amérique latine. Il ne serait pas surprenant s'il s'avérait que ces signes d'affaiblissement sont ressentis avec plus de netteté par les couches populaires qui doivent se défendre contre les régimes protégés de Washington. A seigneur faible, vassal faible. Que le diable donc emporte le vassal !
WikiLeaks a ridiculisé la diplomatie américaine. La «guerre afghane n'a pas d'issue. Hamid Karzai et son frère, le trafiquant de drogue, ont perdu le contrôle sur les chefs de guerre malgré l'argent déversé par les Américains et les Anglais pour qu'ils se tiennent tranquilles. L'Iran ne plie pas, le Yémen est en ébullition. Au Liban, le Hezbollah dirige totalement. Israël est arrogant à l'égard des Palestiniens. L'Irak est devenu un fiasco, mais le sang continue à saigner. Chu Tintao continue hardiment son chemin. Il reste seulement à supporter le spectacle d'une Europe lâche, mais comment ? Quand Wall Street reprendra en main les rênes, cette Europe sera forcée de violer le contrat social entre ses gouvernements et les peuples. Obama, encerclé par les Républicains, s'est rendu sans livrer bataille. L'Amérique s'empresse - en cachant la vérité et en se faisant des illusions qu'elle est encore impériale - de remplacer l'hégémonie par la force. Mais revenons maintenant à l'Egypte. Moubarak peut s'apaiser avec le soutien de Washington (en particulier du vice-président John Biden), du clergé islamique progouvernemental et d'Israël. Ces trois vanteries ne vont probablement pas lui servir.Obama et le Pentagone, ensemble avec Israël, évaluent s'ils peuvent permettre que les frontières de la bande de Ghaza et de l'Egypte soient administrées par une autre direction égyptienne que celle qui a fait des Palestiniens des martyrs. Ils peuvent décider d'intervenir et conjointement réprimer la révolte au Caire et à Alexandrie.Mais, à la lumière de ce qui se déroule, et non seulement en Egypte, cela reviendrait à serrer les dernières vis non seulement sur le cercueil de Moubarak mais également sur la perspective de contrôle de toute la région.
Auteur : Giuletto Chiesa, membre du Parlement européen, 2004-2009 Source : www.megachip.info


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