Photo : S. Zoheir Entretien réalisé par notre envoyé spécial à Khenchela A. Lemili La Tribune : Que peuvent vous inspirer les décisions prises au lendemain du dernier Conseil des ministres et leur application sur le terrain, du moins en ce qui concerne les jeunes et dans le domaine de l'emploi plus précisément ? K. Benaziza : En fait, jusque-là, il me semble personnellement, en tant qu'acteur directement versé dans l'actualité des jeunes, notamment les demandeurs d'emploi - et ils sont hélas chaque jour plus nombreux -, que toutes les mesures prises parce que ponctuelles et répondant à la hâte à une situation donnée n'ont jamais eu pour vocation de répondre sérieusement à la détresse et à la souffrance de ces derniers. Ce qui est paradoxal, et je m'explique, c'est que ces mesures s'inscrivent successivement dans un train de dispositifs qui ont montré leurs limites. Peut-on savoir de quels dispositifs il s'agit ? J'évoque, bien entendu, les dispositifs de l'Ansej, la Cnac, l'Angem, le microcrédit et évidemment l'Anem. La nouveauté s'étant jusque-là limitée à l'amélioration des dispositifs et à une certaine forme d'ijtihad quand ces derniers donnaient l'impression de s'essouffler. Je vous citerai, pour l'exemple, le recensement, voire l'échantillonnage des catégories professionnelles par groupes : médecins, architectes, ingénieurs, lesquels n'ont, en fait, pas abouti à une meilleure prise en charge. Est-ce à dire qu'elles n'ont pas d'impact finalement ? Mais alors comment expliquer l'incontestable utilité qui leur est connue jusque-là ? Certes, j'ai peut-être mal formulé mes propos, lesdits dispositifs apportent des améliorations sauf qu'en réalité, ils ne règlent en rien le fin fond du problème. D'ailleurs, vous n'êtes pas sans avoir remarqué que la détresse que j'ai précédemment évoquée va s'amplifiant à telle enseigne qu'aux mécontentements violents exprimés par les émeutes vient s'ajouter maintenant le phénomène de l'immolation par le feu, après celui de l'émigration dans des conditions folkloriques qui font autrement l'actualité de la Méditerranée et les drames enregistrés au lendemain d'odyssées à bord de frêles embarcations. Et tout cela ne peut que s'expliquer par un véritable échec de la politique de l'emploi et, ceci dit, de tous les mécanismes mis en place pour y parvenir. Malgré le fait que ces dispositifs et ces mécanismes constituent une solution qui n'existe comme nulle part ailleurs dans le Maghreb, ils restent nettement en deçà des attentes des jeunes. Oui, mais s'agissant de l'emploi autre que les dispositifs dont nous nous sommes entretenus, comment est-il traité par les agences officiant ès qualités ? Il me semble alors qu'au lieu de parler d'emploi, il faudrait préalablement parler de chômage, de la nature de ce chômage et des voies et moyens de le résorber. Il existe une masse phénoménale de jeunes, je ne vous apprends rien à ce sujet, ils sont en majorité demandeurs d'emploi, c'est une autre évidence. Dès lors, il s'agit de chômage d'insertion, c'est-à-dire de jeunes qui n'ont jamais travaillé et auxquels il faut trouver des débouchés professionnels, ce qui malheureusement n'est pas une sinécure et je suis obligé de revenir à cette vérité vraie qui consiste à souligner que toutes les solutions proposées n'ont fait que s'empiler sans qu'il en soit fait une évaluation qui permettrait alors d'en dégager une solution définitive ou du moins sur le cours terme, une sorte d'exutoire et en même temps un vade-mecum pour la suite des évènements. Qu'est-ce qui pourrait empêcher une mission ? Vous donnez l'impression d'en détenir la maîtrise certainement au même titre que l'ensemble de vos collègues à travers le territoire national ? C'est la multiplication des intervenants et l'absence de coordination entre eux, le traitement du chômage lui-même selon que l'on en ait une approche sociale ou économique. Et, heureusement, que c'est la deuxième approche qui est privilégiée depuis quelque temps avec ce que l'on appelle le DAIP - ou le dispositif d'aide d'insertion professionnelle - qui apporte une nette amélioration au contrat dit de pré-emploi ne serait-ce que sur le plan financier. Mais quoi qu'il en soit, il ne reste qu'un emploi d'attente conçu à l'origine dans des pays en situation de crise. Ce qui, décrypté, veut dire qu'il ne supplée en aucun cas une politique de l'emploi dans la pleine acception du qualificatif, laquelle repose sur l'investissement productif, la création de richesses. Vous voulez dire, en conclusion, que sans la création de richesses et l'avènement d'un investissement productif, tous ces dispositifs ne constitueraient finalement qu'un traitement en surface du chômage ? C'est effectivement ça. Tout ce que nous avons fait jusque-là au niveau de l'Anem a montré ses limites, et si je devais résumer tout notre entretien je dirai que l'emploi, mais autrement pensé, doit être la priorité des priorités nationales. Quoiqu'il en soit, et la conjoncture internationale, notamment ce qui s'est passé en Tunisie et en Egypte, devrait nous exhorter à tout remettre à plat et faire preuve d'un peu plus d'imagination et cesser de revenir aux mêmes recettes par un nouvel habillage seulement. Plus terre à terre, je dirai qu'il ne peut éternellement être fait du neuf avec du vieux.