Les Américains aiment leurs arbres. Mais alors qu'un nombre croissant de propriétaires installent des panneaux solaires dans des quartiers résidentiels boisés, une polémique insolite se propage : de l'énergie propre ou des arbres, qu'est-ce qui est le plus important à long terme pour l'environnement et pour l'homme ? Alors que les Etats-Unis continuent de mettre au point des sources d'énergie renouvelables et d'encourager les propriétaires à tirer parti des crédits fiscaux qui leur sont offerts pour l'énergie solaire et éolienne, les partisans de l'énergie propre se retrouvent de plus en plus opposés aux défenseurs de l'environnement qui ont d'autres priorités. Ce qui peut contraindre les collectivités à faire des choix difficiles.A Takoma Park, une banlieue de Washington dans l'Etat limitrophe du Maryland, les responsables municipaux ont signifié à un propriétaire que l'érable argenté dans son jardin était protégé par la réglementation très stricte de la ville sur la préservation des arbres, et ce, malgré le fait qu'il jetterait de l'ombre sur les panneaux solaires qu'il prévoyait d'installer. Du fait que son tronc mesurait plus de 60 centimètres, l'arbre en question faisait donc partie de «la forêt urbaine» très prisée qui couvre plus de la moitié de la ville.A Sunnyvale (Californie), les panneaux solaires ont gagné la bataille. Un couple s'est battu contre eux jusque devant un tribunal fédéral, mais a fini par recevoir l'ordre de couper deux arbres qui jetaient leur ombre sur les panneaux solaires du voisin. Selon la loi de l'Etat de Californie sur le contrôle de l'ombre solaire, les propriétaires ne peuvent pas avoir d'arbres dont l'ombrage couvre plus de 10% des panneaux solaires de leurs voisins entre dix heures du matin et midi, quand la lumière du soleil est le plus intense.Une résidente de Winter Springs (Floride) a dépensé 26 000 dollars pour faire installer des panneaux solaires dans l'espoir que la municipalité lui permettrait de couper les arbres qui bloquaient son investissement. Elle a été autorisée à le faire mais à condition de les remplacer par d'autres ou de payer 250 dollars par arbre que la municipalité planterait ailleurs. «Nous cherchions à faire quelque chose qui favorise l'environnement», a-t-elle dit, étonnée, à une chaîne de télévision locale. «Nous pensions que tout le monde nous en féliciterait.» Le pour et le contre De tels débats se produisent ailleurs dans le monde. En Suède, par exemple, des groupes ont protesté contre la construction de grandes éoliennes dans des régions qu'ils qualifiaient de fragiles sur le plan écologique. Au Brésil et dans d'autres pays d'Amérique latine, des projets hydroélectriques se sont heurtés à l'opposition de certains qui affirmaient que les barrages seraient une menace aux écosystèmes sensibles et aux communautés d'Amérindiens.Quand il s'agit de choisir entre les arbres et les panneaux solaires, la décision dépend parfois de l'endroit où vous vous trouvez, a dit M. Pieter Stroeve, professeur à l'université de Californie à Davis et codirecteur de la California Solar Energy Collaborative. «Dans les Etats où il y a moins de soleil, sacrifier les arbres n'est pas tellement utile du fait que les économies d'énergie réalisées en évitant d'avoir recours aux combustibles fossiles ne seraient pas très importantes», a-t-il expliqué.Un collègue de M. Stroeve, M. Jan Kleissl, est aussi expert de l'énergie solaire et enseigne à l'université de Californie à San Diego. Il a indiqué que beaucoup de gens oublient que, lorsque les arbres meurent ou pourrissent, ils rejettent le gaz carbonique qu'ils avaient capturé. «En général, le public donne trop d'importance au rôle des arbres par rapport au dioxyde de carbone», a dit M. Kleissl qui est, lui aussi, codirecteur de la California Solar Energy Collaborative. «En remplaçant les combustibles fossiles, les panneaux solaires éliminent le carbone une fois pour toutes. Ils sont aussi de 10 à 20% plus efficaces que les arbres par rapport à la capture du carbone.» Couper un grand arbre pour faire place à un seul panneau solaire serait du gaspillage, mais la plupart des gens ont un groupe de panneaux qui est égal ou plus grand que l'arbre, a-t-il souligné. «Et c'est à ce moment-là que les panneaux solaires l'emportent.» M. Patrick Earle, le propriétaire à Takoma Park et professeur de science environnementale dans une école secondaire, avait fait ses calculs. Il a dit aux responsables municipaux qu'il faudrait 140 ans à son érable argenté pour capturer autant d'émissions de dioxyde de carbone que son système solaire permettrait de prévenir en un an. La moitié de l'électricité utilisée chez lui provenait jusqu'ici d'une compagnie locale dont les centrales sont toutes au charbon, a fait remarquer M. Earle. Les arbres contribuent à la climatisation des maisons «Les mines de charbon en Virginie occidentale, l'Etat où est née ma femme, ont eu des conséquences catastrophiques sur l'environnement et sur la société», a déclaré M. Earle aux responsables de sa municipalité lors d'un récent débat sur la réglementation des arbres. «Des forêts ont été éliminées. Des sommets de montagnes ont été entièrement enlevés, laissant des empreintes grotesques dans le paysage. Les sédiments et les drainages miniers acides ont pollué les rivières. Les accidents dans les mines ont coûté de nombreuses vies. Nous nous sommes rendu compte qu'en dépendant du charbon, nous contribuions indirectement à tous ces problèmes.»Pour M. Earle, il s'agit de justice écologique autant que de réduction des gaz à effet de serre. «Lorsque nous restons focalisés sur la protection des arbres dans nos jardins, nous perdons de vue le fait que nous forçons ainsi d'autres collectivités à épauler le fardeau des conséquences sur l'environnement de notre production d'énergie», a déclaré M. Earle à America.gov. L'érable argenté a fini par tomber, mais seulement après que M. Earle eut convenu de planter 23 autres arbres dans différents endroits de la ville. Il a réussi à faire réduire ce nombre à 15 après avoir acheté des semis plus grands que prévu. K. R. In planete.info du 11 février 2011