Le 26 janvier 2011, aux premiers pas de la révolte égyptienne, Libération titrait son article sur la manifestation de 20 000 personnes au Caire : «L'audace nouvelle des Egyptiens» (www.liberation.fr). Encore et toujours le dédain Le 9 février, devant le CRIF – appréciez la symbolique –, Nicolas Sarkozy rejoint le langage du quotidien de gauche : «Le peuple tunisien et le peuple égyptien, avec une audace qui les a surpris eux-mêmes» (http://www.lanouvellerepublique.fr).Le regard des deux – le président de droite et le quotidien de gauche – est lourd du même dédain. L'audace est–elle une vertu nouvelle pour les peuples arabes ou alors, à droite comme à gauche, les politiques français confondent-ils l'indignité des dirigeants arabes qu'ils ont mis au pouvoir avec les peuples arabes ? Il est inutile de rappeler à Libération et à Sarkozy l'audace, le courage et le sens de l'honneur national des fellaghas ou des travailleurs tunisiens montés à l'assaut de la base militaire française de Bizerte pendant lequel le «sens français de la retenue» s'est soldé par 2 500 morts en quarante-huit heures. Il est tout aussi inutile de leur rappeler la résistance acharnée opposée par le peuple égyptien, dans une guerre de guérilla, partout, dans le delta, au Fayoum, à Beni-Souef, à Assiout et à Assouan. Inutile, car il faudrait aussi leur rappeler que l'héroïsme est du côté des peuples qui opposent des armes rudimentaires aux moyens sophistiqués, selon les époques, des armées coloniales. Mais il est utile de rappeler à notre jeunesse le poids du mépris et du dédain dans lequel elle sera tenue par les chefs politiques et les idéologues des grandes puissances dans leur version ultra libérale ou dans leur version sociale démocrate. Au plus profond d'eux-mêmes, ils nous refusent les vertus des peuples normaux : la dignité est chez nous un accident, un mouvement inattendu, une «audace qui nous surprend nous-mêmes». Et c'est pour la même raison idéologique partagée entre eux que sociaux démocrates (ou socialistes) et libéraux (ou ultra libéraux) nous proposent leur aide et leur accompagnement sur les terres qui nous seraient inconnues de la démocratie définitivement associée à la fatalité capitaliste. La gestion par l'imposture Il faut, par contre, noter, à l'endroit de notre pays, «l'audace nouvelle» de Sarkozy et une audace pas du tout nouvelle de Libération avec le retour de José Garçon, la pasionaria médiatique des «qui-tue-qui» et oracle de la chute de l'Etat national. Les deux avertissent, chacun dans son créneau et dans son langage, le pouvoir algérien d'une tentation autoritaire et d'une velléité d'user de la force. Encore une fois, cette audace de Sarkozy s'explique aussi par des considérations triviales d'une influence politique toujours orientée vers des retombées commerciales. Avec le pragmatisme sans complexe d'un journal d'informations économiques et de défense du capitalisme, les Echos publie un papier intitulé : «La leçon de réalisme d'Obama». (www.lesechos.fr). Cet article nous donne, en revanche, une leçon de réalisme en géostratégie. En un mot comme en cent, il décrit comment Obama a collé au rythme des révoltes pour élever avec elles le rythme de ses exigences avec au bout une conduite maîtrisée des changements et la contrainte de ces révoltes dans les limites des intérêts des Etats-Unis et du grand capital. Il y aura tout gagné au plan de l'influence américaine et de la mise à niveau de ce pivot de sa géostratégie qu'est l'Egypte. Sarkozy a singulièrement manqué d'audace dans cette affaire et il a perdu pour la France des atouts qui s'avéreront précieux dans le futur. Cet article développe une critique au vitriol de la diplomatie française. Le même jour, le vice-ministre israélien, Dan Méridor, juge positives les revendications de la place Tahrir. (tempsreel.nouvelobs.com). Il lui a fallu du temps pour comprendre qu'Obama devait désamorcer la bombe égyptienne et qu'il était de l'intérêt bien compris des Etats-Unis et d'Israël de mener ces «révolutions» florales à bon port, c'est-à-dire remettre le pouvoir à des militaires formés et équipés par les Etats-Unis. Il a fallu tant de morts et tant d'énergie pour que les deux peuples se débarrassent de despotes installés par l'Occident capitaliste afin de permettre à ce même Occident capitaliste de détourner la colère des peuples, d'utiliser leur exaspération contre leurs propres intérêts, de détourner leur énergie. Le maintien de ces despotes aggravait chaque jour la colère des jeunes qui aurait emporté les intérêts américains en emportant les despotes. Sarkozy, Merkel, le président hongrois de l'UE et bien d'autres sont montés au créneau pour dissuader le pouvoir algérien d'empêcher les manifestants de le renverser. Il faut bien noter que les révoltes tunisienne comme égyptienne se sont allumées d'émotions violentes liées à la mort des jeunes diplômés. Mais depuis longtemps des grèves tournantes et des répressions aveugles opposent les travailleurs et les jeunes à la police dans les deux pays. Ces révoltes sont complètement spontanées à l'allumage mais attendues depuis longtemps – comme politologues et sociologues le prédisent chez nous depuis longtemps - tant l'oppression des despotes étouffent les pays arabes et que le ras-le-bol psychologique, le sentiment d'étouffer devient aussi insupportable que la misère matérielle et d'autant plus insupportable chez les couches moyennes qu'il contrarie leurs moyens réels de mieux vivre. L'exaspération est d'autant plus forte chez ces couches moyennes que le mieux vivre est à portée de main. Et il se trouve de surcroît que ces couches moyennes sont mondialisées par leurs statuts, par leurs cultures et par leurs aspirations.Ces couches moyennes algériennes ne sont pas moins exaspérées que celles des autres pays. Un nombre ahurissant d'Algériens paieraient cher pour ne plus voir à la télé certains ministres, certains chefs de parti et même certains présentateurs télé. Leurs apparitions sont autant de preuves d'un impossible changement de perspectives, voire d'aération. Il reste pourtant remarquable que ni Sarkozy, ni les dirigeants européens, ni Obama n'ont demandé de la retenue pendant la révolte du sucre. Ils la demandent après, non pour préserver le droit d'émeutiers occupant la rue mais pour soutenir des organisations syndicales et un parti politique officiellement reconnus. Ils ne prennent pas position pour les droits démocratiques de tout le peuple algérien insurgé mais pour le droit d'un groupe politique étroit de renverser le régime avec ou sans l'assentiment du peuple algérien. Nous nous retrouvons dans un hallucinant soutien à une œuvre de sédition au profit d'un groupe. L'intervention impérialiste et l'ingérence sont grossières et flagrantes : elles appuient un groupe dont toute la littérature annexe dans la presse qui l'a créé est une littérature ultra libérale. La tâche leur a été grandement facilitée par des années de réformes qui ont transféré la distribution de la rente pétrolière entre les seules mains des fractions compradores avec une application sans faille des recettes du FMI alors même que privé d'une légitimité populaire et électorale incontestables, le pouvoir a gardé de façon factice les argumentaires politiques de l'Etat national jusqu'à en rendre la notion haïssable et rédhibitoire. Les patriotes ne peuvent même plus en appeler au sens patriotique ou à l'attachement aux intérêts nationaux sans paraître défendre un pouvoir depuis longtemps englué dans des réformes libérales toujours anti-populaires et souvent anti-nationales comme nous le montre le désastre du bilan actuel en matière d'emplois, de répartition des richesses, etc. La croyance à la fin de règne Les calculs des ultra-libéraux devenus enragés par les mesures de la loi de finances complémentaire sont simples. La tentation dans certains secteurs du pouvoir de revenir sur les côtés les plus dévastateurs de l'option ultra libérale devait être brisée. On lui a opposé dans l'ordre chronologique la levée de boucliers de la classe politique française, port de Marseille compris ; puis la proposition de réactiver le projet de la zone de libre-échange maghrébine ; puis la menace d'appeler au boycott de nos foires et salons internationaux et nationaux ; puis une campagne de presse mettant en garde contre le retour du socialisme et de l'étatisme en utilisant une contribution de Hafsi appuyée par des articles d'autres économistes et, enfin, la mise en échec des mesures d'encadrement commercial de l'informel. Le recul du pouvoir sur cette question a vite été enveloppé dans les révoltes tunisienne et égyptienne qui ont raffermi l'idée que le pouvoir en recul est prenable et que nous sommes déjà dans une configuration nouvelle, voire une configuration post-pouvoir actuel. L'accord signé, il y a quatre jours, avec la Banque mondiale pour piloter notre gouvernance économique, le renoncement au Crédit documentaire laissent entendre que le recul sur la notion de patriotisme est général. Les puissances étrangères et nos libéraux du cru dans et en dehors du pouvoir se sentent en mesure de demander plus : en échange d'un soutien international, ils veulent que l'Algérie s'aligne sur les doctrines aujourd'hui établies : renoncer à la notion de souveraineté nationale et, par conséquent, à la souveraineté sur le pétrole. La Commission pour le changement ne se situe pas dans l'opposition au pouvoir mais dans la surenchère avec certains de ses clans sur le degré d'adhésion au libéralisme. Sur la table, une seule question : qui peut aujourd'hui prétendre construire autour de lui un consensus pour la grande braderie, qui peut assurer qu'il apportera la légitimité des urnes, laquelle permettra ensuite de tenir le peuple en respect pendant qu'on termine l'œuvre de mainmise sur les richesses du pays ? Il faut à cette coordination dès maintenant se saisir des révoltes de la jeunesse, de l'exaspération des couches moyennes, des mains totalement liées du pouvoir pour réussir son plan. Elle n'a pas encore gagné car, d'instinct, beaucoup de gens et beaucoup de citoyens ont compris qu'ils n'avaient pas à faire à une opposition mais à une version hard du pouvoir, à une partie du pouvoir en voie de s'émanciper des scrupules patriotiques d'une autre partie du pouvoir. Entre les deux, il reste au peuple à trouver sa voie et rendre coup pour coup à ceux qui l'accusent d'être pour le pouvoir en étant contre les figures de cette coordination. L'équation peut être aussi inversée : être contre le pouvoir, est-ce fatalement être pour les figures si étroitement associées au pouvoir de cette coordination ? C'est le paradoxe de ces démocrates de nous imposer la fatalité du choix entre deux versions du libéralisme et de ne montrer aucune gêne à demander le pouvoir en invoquant l'étranger. Ils n'ont pourtant pas encore gagné, à lire les réactions de deux dames qui ont marché le 12 février. M. B.