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Le squat, bombe sociale à fragmentation
J'occupe, donc j'habite, donc j'existe
Publié dans La Tribune le 17 - 02 - 2011


Photo : S. Zoheir
Par Noureddine Khelassi
En dix ans, les Algériens auront tout essayé en termes de contestation sociale. «Mieux» ou «pis», ils ont même «innové» en matière d'expression du désarroi. Outre l'émeute, le mode le plus usité, la désespérance s'exprime dans un vaste registre combinant douces méthodes et violents procédés : sit-in, manifestations, blocage de routes, automutilation, auto-lacération, suicides individuels, suicides collectifs sous forme de harga, immolation par le feu, et depuis peu, squat de logements et d'assiettes foncières destinées à des réalisations d'utilité publique. En une décennie, le champ de la protestation sociale a été saturé par des dizaines de milliers de manifestations de tous genres, dont plus de 11 000 pour la seule année 2010, selon un chiffre de la Gendarmerie nationale. Au-delà de l'ampleur, de l'amplitude et de la récurrence du phénomène, la statistique en dit long sur la profondeur du désarroi de la population. D'autres actes, que la statistique ne capte pas, en disent encore plus sur l'incommensurable désespoir des jeunes. Même s'ils n'aboutissent pas, fort heureusement, à la mort des désespérés, ces gestes ont une signification plus forte car chargés de profonds symboles culturels. L'exemple le plus émouvant est celui d'un jeune chômeur de Bordj Bou Arréridj, prénommé Lekhmissi, qui s'est coupé le sexe pour signifier son «inutilité sociale» et son incapacité à se donner un avenir valorisé par un statut social, un logement et une famille. En 2008, l'automutilé avait exactement l'âge du Tunisien Mohamed Bouazizi et était, comme lui, issu d'une famille pauvre de huit personnes. Dans la panoplie du désarroi algérien, l'émeute, phénomène récurrent, est jusqu'à présent un acte sans pouvoir réel de déstabilisation, sauf à atteindre un plus haut niveau d'intensité et à s'exprimer dans la simultanéité et à une plus grande échelle à travers le territoire. En revanche, le squat de logements, phénomène nouveau, dont les actes marquent aujourd'hui le pays comme les taches d'une peau de léopard, est davantage porteur de risques de déstabilisation politique et de désagrégation sociale, peut-être même d'anomie. De plus en plus de familles occupent indûment des logements sociaux dont les listes d'attribution sont systématiquement contestées. Cet acte de désobéissance civique exprime une opposition entre légalité et légitimité. Il confronte une demande, souvent légitime, à une gestion qui, souvent, ne respecte pas les critères d'éligibilité. Ce management, tribal et trivial, privilégie une distribution opaque faisant la part belle au clientélisme, au népotisme et à la corruption active et passive que l'ancien président Ahmed Ben Bella avait joliment résumée par la formule de «bénamisme». En dépit de l'existence d'un fichier national du logement qui recense les attributaires, les listes sont toujours contestées par les exclus qui crient à l'injustice face aux passe-droits. A telle enseigne que les listes d'attribution sont gelées dans les tiroirs alors que des cités entières ont été réceptionnées depuis plusieurs années (cinq ans, parfois plus). Le comble est atteint lorsqu'on constate que certains lotissements, inaugurés deux fois par le président de la République, n'ont pas encore été attribués. C'est le cas de la cité Mokhtar Zerhouni, anciennement Les Bananiers, dans la banlieue est d'Alger, qui a récemment défrayé la chronique du mécontentement social. Les listes de distribution sont si contestées que les autorités locales recourent honteusement à des «recasements de nuit», comme ce fut dernièrement le cas à Oran. Que dire aussi de l'appel à des imams pour légitimer religieusement des listes contestées ? Kafkaïen…Désormais, à chaque squat, on fait appel à la force publique pour déloger les squatters, indus occupants, certes, mais, pour la plupart, demandeurs légitimes d'un toit de la dignité. S'impose alors une question à un dinar algérien à forte valeur administrative : combien d'unités antiémeute et de compagnies de gendarmes mobiles faudrait-il mobiliser alors pour expulser des familles de plus en plus nombreuses, de plus en plus déterminées, dans plusieurs wilayas à la fois ? Surtout en ces temps de soulèvement populaire dans un monde arabe en ébullition démocratique. S'il venait à se multiplier dans le temps et dans l'espace, le squat itératif serait porteur de risque réel de désobéissance civile, susceptible de déstabiliser durablement le pays.


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