C'est carrément à l'immolation par le feu que recourent de nombreux citoyens pour dénoncer leurs conditions sociales difficiles. Après l'émeute, la fermeture des APC et autres édifices publics, le blocage des routes et la harga, d'autres modes de protestation contre les maux sociaux apparaissent et prennent une ampleur inquiétante. C'est carrément au suicide que recourent de nombreux citoyens pour dénoncer leurs conditions sociales difficiles et suprême sacrifice! l'immolation par le feu prend les allures d'un phénomène social. A telle enseigne qu'en l'espace de trois jours seulement, cinq immolations ont été enregistrées à travers différentes régions du pays. Jeudi dernier, un citoyen, A.M. a tenté de mettre fin à ses jours en s'immolant dans l'enceinte du siège de la daïra de Bordj-Ménaïel, à 30 km à l'est de Boumerdès. La misère sociale et l'absence de perspectives peuvent s'avérer fatales. Le malheureux, âgé de 41 ans et père de six enfants, travaillait comme agent de sécurité à la daïra de Bordj Ménaïel. Il a recouru à cet acte suprême suite à son «exclusion arbitraire» de la liste des bénéficiaires de logements sociaux de sa localité, Cap Djinet. Vendredi soir, à 21 heures, un jeune de 26 ans, répondant aux initiales H. S., s'est immolé en plein centre-ville de Jijel, sur l'avenue Emir Abdelkhader pour dénoncer la mal-vie qui le ronge au quotidien. Samedi, un jeune a mis le feu à la maison familiale à Alger pour protester contre sa condition sociale et demander un logement décent et digne d'une Algérie indépendante. A Tébessa, un jeune répondant aux initiales A. B. résidant dans la commune de Boukhadra, s'est immolé lui aussi pour protester contre le chômage. Cet acte qui sonne comme un défi et une réponse aux insultes du maire de cette commune qui aurait invité ce jeune chômeur qui lui demandait du travail à faire comme le jeune tunisien de Sidi Bouzid, s'est déroulé en plein jour face au siège de l'Assemblée populaire communale de Boukhadra. La recrudescence de ces drames inquiète au plus haut niveau les responsables politiques, dont le discours est contrarié par les pratiques malveillantes des élus et des responsables locaux. Un maire qui insulte et humilie un citoyen et le pousse à l'extrême, ou un subdivisionnaire de l'hydraulique qui n'applique pas une décision de ses supérieurs hiérarchiques participent de la même manière à attiser la colère des citoyens. A Monstaganem c'est un jeune de 34 ans qui s'est immolé par le feu, hier devant le siège de la sûreté de wilaya de Mostaganem, a-t-on appris auprès de cette instance sécuritaire. Le jeune, sans emploi, s'est aspergé d'essence sur les parties inférieures du corps avant d'y mettre le feu. Des agents de la police sont aussitôt intervenus pour éteindre le feu. Le secrétaire général du FLN, qui a reçu la nouvelle de ce qui s'est passé à Tebessa en pleine réunion, a dû interrompre son intervention, pousser un profond soupir et annoncer la nouvelle avant d'exhorter les élus de son parti à prendre en charge les doléances des citoyens. Belkhadem avait mis en garde contre les effets du mimétisme et son influence. Les sociologues expliquent ce nouveau phénomène par l'ampleur du désarroi qui mine la société. «Ce n'est pas une imitation que de mettre sa vie en jeu. La personne qui s'immole n'attend rien de personne, n'attend rien de la société qui la pousse à l'extrême», avertit la sociologue, Mme Djerbal. Selon cette spécialiste, ce procédé n'est ni plus ni moins qu'un suicide avec un aspect «horrible et spectaculaire» quand l'acte se déroule à l'intérieur du siège d'une daïra ou d'une APC. «A travers cet acte de suicide, ils s'adressent aux autorités car ils ne sont entendus nulle part et il n'y a personne pour les écouter», a-t-elle expliqué. En effet, à force de subir l'injustice, de manifester sa colère et de protester vainement, on finit par se lasser, et les jeunes désespérés recourent à l'extrême pour faire entendre leurs problèmes. La sociologue a mis en exergue le grand désespoir de ces citoyens à cause du climat social et politique et du rétrécissement des espaces d'expression.