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Remise en cause de la prééminence constitutionnelle du roi du Maroc
Premiers pas du mouvement du «20 février»
Publié dans La Tribune le 22 - 02 - 2011

Il ne peut pleuvoir chez les voisins maghrébins sans qu'on ait les pieds mouillés au… Maroc. L'adage chinois s'est vérifié le 20 février au royaume où des milliers de manifestants ont réclamé, dans le calme, plus de liberté, plus de justice sociale, des réformes politiques profondes et une limitation des pouvoirs du roi. Des jeunes cyber-démocrates, à l'origine de «l'appel du 20 février» sur Facebook, des journalistes indépendants, des militants des droits de l'Homme, des groupes de gauche et, enfin, des islamistes issus du mouvement Justice et Bienfaisance (interdit mais toléré) et du PJD, représenté au Parlement, ont remis en cause la prééminence constitutionnelle du monarque alaouite en l'appelant à régner sans gouverner. Le prince Moulay Hicham, cousin du roi Mohammed VI, critique systémique et systématique de la monarchie, a soutenu les manifestants et appelé à la démocratisation du Maroc. Surnommé le «prince rouge» en raison de ses positions progressistes, il s'est encore une fois attiré les foudres du Palais et l'ire fielleuse d'éditorialistes marocains en militant de nouveau pour une réduction des pouvoirs du roi. Dans une récente interview au quotidien espagnol El Pais, le prince, troisième de rang dans la lignée royale, a estimé que «la vaste concentration du pouvoir monarchique est incompatible avec la dignité du peuple». Moulay Hicham, qui se veut «aiguillonneur mais pas pilote» d'une éventuelle transition démocratique, qualifie le régime de «système autoritaire souple» dans la mesure où la monarchie, culturellement ancrée et légitime aux yeux de ses sujets, a favorisé l'existence d'un espace public et une ouverture contrôlée du jeu politique grâce à un pluralisme de façade animé par des «partis cartonneux» comme il en existe ailleurs dans le monde arabe. Ce brillant chercheur à l'université américaine de Stanford estime que «la dynamique de libéralisation politique entamée à la fin des années 90 a pratiquement pris fin». Ce qui nécessite, de son avis et du point de vue des manifestants et de partis nationalistes comme l'USFP, l'Istiqlal ou le Parti socialiste unifié (PSU), la promotion d'une monarchie parlementaire, à l'image des régimes espagnol et anglais. Cette aspiration est
également portée par les islamistes de Al Adl wal ihsane de cheikh Abdesselam Yassine, le courant le plus ancien et le mieux structuré des mouvements islamistes au Maroc. Sa fille Nadia, porte-parole de l'association, a même remis en question le titre de «commandeur des croyants» du roi, appelant comme elle le fait de manière récurrente à l'avènement d'une république fondée sur une réelle séparation des pouvoirs. L'évolution de la monarchie vers un système parlementaire où le roi, sans pour autant inaugurer les chrysanthèmes, régnerait sans gouverner est un débat antérieur au «mouvement du 20 février». Le 8 mai 2006, Driss Lachguer, membre du bureau politique de l'USFP et président de son groupe parlementaire, avait déjà appelé à la limitation des pouvoirs du roi en matière sécuritaire, au profit du Parlement. Le dirigeant de l'Union socialiste des forces populaires, partenaire gouvernemental privilégié du Palais, avait alors estimé que la police et les services de sécurité marocains doivent être contrôlés par le Parlement.
L'USFP, l'Istiqlal et le PSU avaient ouvert le débat avec l'arrivée au pouvoir de Mohammed VI. Ces trois partis avaient même produit des documents portant sur le statut du roi et ses rapports avec les institutions. Tout en considérant que «la monarchie démocratique est une garantie de stabilité» du royaume, les analyses préconisent que le roi ne soit plus une «source du pouvoir originel et chef de fait de l'Exécutif et des autres institutions». Au Maroc, le roi règne, gouverne, légifère, juge et commande la fatwa religieuse. Il est à la tête d'un système monarchique qui, sans être absolu et de droit divin, a quand même créé les conditions d'une spirale vertueuse de croissance économique, quoique mal répartie et, en même temps, concédé quelques espaces de liberté, notamment en faveur des femmes grâce à une réforme relativement audacieuse de la moudawana, le code de la famille. Mais le nouveau roi, dont la jeunesse et la fraîcheur de style étaient porteuses de promesses de changement, a fini par conserver et conforter le rôle décisif de la couronne dans la gestion des affaires publiques. Notamment en dévitalisant le pluralisme politique où domine outrageusement l'omnipotent PAM, le Parti de l'authenticité et de la modernité, formation makhzénienne créée pour faire la synthèse entre les clientèles du régime et l'islamisme modéré, représenté aujourd'hui au Parlement par le Parti pour la justice et le développement, version marocaine du MSP algérien. Les manifestations du «20 février» semblent être les premiers pas d'un mouvement de long cours dans un pays disposant d'élites politiques et intellectuelles de qualité. Leur caractère politique, policé et pacifique n'a pas fait apparaître le Maroc comme le maillon le plus rouillé de la longue chaîne de l'autoritarisme arabe. Même si le grand écrivain marocain Tahar Ben Jelloun y voit un «pouvoir vermoulu par l'argent, rongé par la corruption et oxydé de misère». La monarchie, enracinée dans l'Histoire et ancrée dans les esprits, semble condamnée à une évolution pacifique, mais inéluctable vers un système parlementaire où le roi Mohammed VI porterait le costume de Juan Carlos et la couronne de la reine d'Angleterre. A moins que le roi reste sourd au bruit, pour l'instant de velours, de la rue marocaine. Ou bien refuser de «voir» ce vacarme qui risque de se transformer en grondement avant de devenir fureur. Celle d'une lame de fond qui délégitimerait l'actuel débat sur la monarchie parlementaire revendiqué par les forces du changement pacifique.
N. K.


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