L'Egypte nouvelle est en marche. La date du référendum constitutionnel est désormais connue : le 19 mars prochain, les Egyptiens devront se prononcer sur des amendements de l'actuelle Constitution suspendue par l'armée. Sept articles doivent notamment être amendés et un va être supprimé. Des dispositions allégeant les conditions de candidature à la présidence, limitant la durée et le nombre de mandats, sont prévues. L'armée veut accélérer le processus pour revenir à la normalité. L'Egypte est un pays trop important pour se permettre une longue instabilité. Les électeurs ont deux semaines pour se faire une opinion avant le jour J. Les Egyptiens sont convaincus que tout amendement à la Constitution ne peut être que bénéfique. Certes, les périodes transitoires se caractérisent par le flottement et des approximations. Mais dès que le pays aura un président et un Parlement, l'Egypte se dotera d'une nouvelle Constitution. Les divers courants, de la gauche aux Frères musulmans en passant par les libéraux, seront représentés dans un jeu politique transparent. Les scrutins qui se sont succédé en Egypte, depuis le renversement du roi en 1952, ont tous brillé par le manque de transparence. C'est dire que le test sera important. Le taux de participation au référendum sera symptomatique de l'état d'esprit d'une population avide de changement. Le Conseil suprême de l'armée a décidé que tout citoyen muni d'une carte d'identité nationale pourra voter dans le bureau le plus proche. La place Tahrir, désormais un véritable garde-fou de la construction démocratique, veille au grain. Le nouveau Premier ministre Essam Charaf s'est engagé au lendemain de sa nomination à satisfaire les demandes populaires pour un changement démocratique face aux milliers de personnes rassemblées sur l'emblématique place cairote. La nomination de Charaf était destinée à calmer les manifestants, qui avaient continué à se rassembler. Le gouvernement est invité à purger des éléments de l'ancien régime du centre de décision. Après la démission d'Ahmad Chafic jeudi dernier, le Conseil suprême des forces armées, en charge du pays depuis la chute de Moubarak, a annoncé son remplacement par Charaf. Ce dernier est une personnalité plutôt populaire parmi les militants qui avaient déclenché la révolte fin janvier. Charaf, professeur d'ingénierie à l'Université du Caire, a été ministre des Transports de 2002 à fin 2005, avant d'être démis de ses fonctions à la suite de divergences avec l'ancien Premier ministre Ahmad Nazif. En participant aux manifestations antigouvernementales place Tahrir, il gagne en popularité et se taille un costume de personnalité intègre. C'est de la place Tahrir que fusent les revendications populaires. C'est de là que les manifestants ont scandé «le peuple veut la fin de la sécurité d'Etat », en référence à cette branche du ministère de l'Intérieur très redoutée par le petit peuple, accusée de tortures et de dépassements. L'Egypte post-Moubarak est polarisée par le procès pour malversations financières de l'ex-ministre égyptien de l'Intérieur, le très impopulaire Habib el-Adli. Il s'agit du premier procès d'une figure de l'ancien régime. Il est accusé de blanchiment d'argent et de détournement de fonds. Evincé du gouvernement fin janvier, l'ancien ministre a été arrêté le 17 février, près d'une semaine après la chute de Moubarak. Celui qui est qualifié de «bourreau de l'Egypte» est accusé d'avoir abusé de sa position pour vendre un terrain à un promoteur sous contrat avec le ministère de l'Intérieur pour plus de 4,8 millions de livres égyptiennes (environ 800 000 dollars). Il est aussi accusé d'être impliqué dans une opération de blanchiment d'argent d'une valeur de plus 4,5 millions de livres (environ 760 000 dollars). Mais c'est surtout pour des violations des droits de l'Homme que les militants veulent le voir passer à la barre. Habib El Adli est d'ailleurs au centre d'autres enquêtes, pour avoir donné l'ordre de tirer à balles réelles sur les manifestants pendant la révolte. La lutte contre la corruption est l'une des principales exigences du peuple. Plusieurs autres ministres de Moubarak et hommes d'affaires proches de l'ancien pouvoir ont également été arrêtés, interdits de quitter le territoire et vu leurs biens gelés. Ahmed Chafik est le premier ministre dans l'histoire de l'Egypte qui tire sa légitimité directement du peuple. La révolution égyptienne portée sur les épaules de la jeunesse aura indubitablement réussi à pousser le gouvernement à mettre en œuvre toutes leurs demandes pour la démocratie et la justice. Et surtout une justice indépendante, une chimère pour tout le monde arabe. La pression populaire est toujours de mise pour libérer tous les détenus politiques et l'ouverture de fichiers des corrompus d'une période qui rappelle de mauvais souvenirs. Après le départ de Chafik et certains symboles détestables du régime, tels que Ahmed Aboul Gheit, tout redevient possible sur les bords du Nil. L'Egypte vit une phase décisive dans son histoire grâce à la détermination de son peuple. Celui-ci exige pas moins que le départ du système et appelle à un changement global. La semaine qui s'annonce devrait être riche en rebondissements. Le désormais ex-président Hosni Moubarak et son fils devraient être entendus par le procureur général sur les questions de corruption. L'ancien homme fort du pays sera tenu de fournir des explications sur les dizaines de milliards de dollars constituant sa fortune. L'Egypte est sur un nuage. M. B.