Malgré le nombre d'insuffisants rénaux chroniques (IRC) en nette augmentation et la gravité de la maladie, l'Algérie demeure en retard dans le domaine de la transplantation rénale et de la prévention des pathologies du rein. C'est le triste constat qui revient cette année encore, à l'occasion de la Journée mondiale du rein, célébrée le 10 mars dans 180 pays sous le thème «protéger ses reins, c'est sauver son cœur». C'est le credo de cette journée qui met l'accent sur les répercussions cardio-vasculaires des pathologies rénales. Selon les néphrologues, «un patient atteint de maladie rénale chronique risque beaucoup plus de mourir d'un accident cardio-vasculaire que d'atteindre le stade ultime de l'insuffisance rénale».Les problèmes du patient insuffisant rénal chronique au quotidien sont nombreux. Ils ont été exposés, jeudi dernier, à l'Institut Pasteur d'Algérie, lors d'une journée sur la néphrologie, intitulée «comment sortir du tout- hémodialyse, de la prévention à la transplantation» organisée par le service néphrologie du CHU Nafissa-Hammoud (ex-Parnet). Une rencontre à laquelle ont pris part des spécialistes en néphrologie et des associations de malades. C'est l'occasion de faire le point sur cette pathologie redoutable qui touche quelque 14 000 Algériens, selon les statistiques officielles. Des associations, venues de différentes régions du pays, notamment de Mila, Khenchela, Naama, Maghnia, Constantine, Annaba, Batna…, en plus de celles d'Alger, ont fait part des préoccupations quotidiennes des patients et des insuffisances qui entravent une bonne prise en charge. Parmi les problèmes soulevés par tous les malades : le déficit massif de néphrologues rend la situation très préoccupante. «Le centre de dialyse de Mila ne dispose pas de néphrologue», a déclaré un représentant de l'association de malades de cette région. Ce qui est loin d'être un cas isolé. Déficit de néphrologues D'autres associations évoquent aussi cette même lacune. «Nous avons plus de 70 malades à Maghnia et nous n'avons même pas de néphrologues», dira le représentant de l'association des malades. Idem pour Khenchela qui compte 140 malades atteints d'IRC. Les intervenants dénoncent, entre autres, le manque de formation et de recyclage du personnel soignant dans les centres de dialyse l'insuffisance de moyens. Même Alger n'est pas mieux lotie. «Malgré le nombre important de centres de dialyse privés (une cinquantaine) les malades sont mal pris en charge par les néphrologues», souligne une malade de Kouba, hémodialysée depuis 22 ans. «Le patient ne doit plus être l'otage des intérêts personnels de certains professeurs», a déploré un malade. Un autre enchaînera sur le même ton : «Il n'y a pas d'amélioration dans la prise en charge, en dépit de l'ouverture de centres de dialyse un peu partout.» En fait, les centres de dialyse privés poussent comme des champignons mais sont souvent pointés du doigt car ne respectant pas les clauses des cahiers des charges ou les règles d'éthique. Le temps nécessaire à une séance de dialyse n'est pas toujours respecté (3 à 4 heures par séance, au moins deux fois par semaine). «L'hygiène fait défaut, de même que les moyens. Dans certains cas, l'infirmière utilise une seule paire de gants pour tous les malades. Les machines sont mal stérilisées […] Pas étonnant que le malade dialysé attrape souvent des hépatites», expliquent les malades. Autre problème soulevé, certains médecins du secteur public orientent les malades vers leurs cliniques privées. «L'hémodialyse est devenue une activité lucrative avec la complicité de beaucoup de personnes. On parle d'ailleurs de plus de plus de mafia ou de lobby de la dialyse», ont affirmé certains intervenants.Les témoignages de malades sont poignants et renseignent sur une situation inquiétante. «Pourquoi la greffe rénale ne fonctionne-t-elle pas en Algérie ? qu'on nous dise ce qui se passe. Nous disposons de moyens et des compétences nécessaires mais on ne sait pas pourquoi ça bloque», s'interrogent des associations de malades, évoquant le «lobby de la dialyse» dont l'intérêt est de maintenir cette situation pour tirer le maximum de profits sur le dos des dialysés. Sortir du «tout-hémodialyse» Evoquant la transplantation rénale et les alternatives de soins en Algérie, le professeur Salah, membre fondateur de la Société algérienne de néphrologie, membre de la Société internationale de néphrologie et directeur de la clinique Maison du rein, Palm Beach, Staouéli, à Alger, a indiqué que les moyens mis en place pour améliorer la prise en charge des patients restent insuffisants. «Le traitement de l'insuffisance rénale chronique en Algérie a permis de prendre en charge seize mille patients environ au cours des trente dernières années», a-t-il ajouté. Ainsi, «quatorze mille d'entre eux seraient actuellement dialysés. 95% ont été traités par hémodialyse, 4% par dialyse péritonéale et moins de 1% ont eu la chance d'être transplantés à partir d'un donneur apparenté». Selon des sources hospitalo-universitaires, 3 500 à 4 500 nouveaux cas s'ajoutent chaque année aux 14 000 patients déjà pris en charge. «Environ 30 000 patients insuffisants rénaux seront déclarés en 2015, et ce, en tenant compte du taux annuel de 5% de mort naturelle chez les patients déjà soignés», a-t-il expliqué. Selon lui, «parallèlement à la prévention, la transplantation représente le meilleur traitement de l'insuffisance rénale chronique». Le professeur Salah a insisté sur le développement de la transplantation rénale, estimant que seulement 700 greffes au plus ont été pratiquées dans le pays depuis 1986. «L'objectif du traitement de l'insuffisance rénale ‘‘le tout hémodialyse'' doit être revu avant que le pays ne se retrouve une seconde fois dans une impasse et dans une spirale insoutenable de dépenses publiques», a-t-il souligné. Il a plaidé pour l'élaboration d'une carte sanitaire de néphrologie, insistant sur le fait que «les promoteurs des projets publics ou privés d'ouverture de nouveaux centres de néphrologie et d'hémodialyse doivent être des néphrologues». De même, a-t-il dit, «le programme de lutte contre l'insuffisance rénale doit être mené par des néphrologues». Les intervenants ont également insisté pour que «la clinique d'hémodialyse soit une clinique de néphrologie avec l'impérative obligation de participer au diagnostic précoce, à la recherche épidémiologique et aux autres tâches de santé publique de néphrologie». Nécessité de développer la transplantation Le professeur Haddoum, chef du service néphrologie au CHU Nafissa-Hammoud, a mis l'accent sur l'intérêt de la prévention des maladies rénales, leur diagnostic précoce et la thérapeutique sous ses différentes formes possibles. Il a regretté que l'Algérie soit transformée «en chantier de dialyse» que «le tout-dialyse soit devenu la solution de facilité». Il a rappelé que les dialyses, en comparaison des greffes du rein, entraînent de très fortes dépenses. «En 2010, l'Algérie a consacré 300 millions d'euros pour la dialyse», a-t-il souligné, «d'où l'urgence de développer la transplantation rénale qui reste au stade des balbutiements dans notre pays». Il a indiqué que sur les 14 000 patients dialysés, le quart nécessite une greffe rénale. Selon les néphrologues, la greffe à partir de donneurs cadavériques constitue un espoir pour de nombreux malades. Dans ce sens, des campagnes de sensibilisation au don d'organes doivent être organisées. S'agissant «des dérives» enregistrées au niveau de certains centres de dialyse privés, le professeur Haddoum a estimé que c'est «aux autorités sanitaires d'y mettre le holà». Il a relevé, d'autre part, que «certaines structures privées travaillent au noir». Evoquant cette journée, le professeur Haddoum a indiqué que c'est là l'occasion de donner la parole aux malades qui souffrent au quotidien. «Nous avons réuni 18 associations de malades venues de différentes wilayas», a-t-il dit. A. B.