Adepte de la «wassatiya», le juste milieu en religion et en politique, Bouguerra Soltani est un homme modéré. Tempéré, très mesuré même. C'est, par définition, un légaliste. Le leader du Mouvement de la société pour la paix (MSP) n'a jamais été un Trotski en kamis, un Lénine en gandoura ou un Savonarole grimé en Ali Belhadj. Imam égaré en politique, il se révèle dans un costume de politique opportuniste. Au sens où l'entrisme pratiqué par son parti est payable en sièges parlementaires et en maroquins. Mais, même quand il traite de cuisine interne du MSP, il exprime rarement une opinion personnelle tranchée. Ses idées en imposent rarement pour l'imposer en leader incontestable pouvant s'affranchir de la règle de la «choura», cette version islamique du centralisme démocratique et du consensus politique. Alors,lorsqu'il s'exprime sur l'état politique du pays ou à propos de réformes démocratiques envisageables, il faut l'écouter. Et quand sa parole, d'habitude consensuelle et émolliente, est soudainement critique et acérée, il faut alors lui prêter une oreille un peu plus attentive. Depuis quelques jours, à longueur de déclaration à la presse, de discours iconoclaste lors d'un think tank du MSP et de réflexion audacieuse sur Facebook, il s'est, en effet, dessiné un portrait de réformateur chaussant les savates d'un démocrate. Libéral comme jamais il ne le fut dans sa vie de VRP islamiste du régime, il propose un package réformateur d'une rare audace. En guise de mise en bouche, l'ancien ministre d'Etat préconise une dissolution de l'Alliance présidentielle (AP). Cet objet politique non identifié est devenu caduc en ces temps de demandes persistantes de dissolution de l'APN et d'élections législatives anticipées. Regroupant les clientèles du régime issues du nationalislamisme, l'AP était perçue dans sa pratique comme une fédération syndicale de défense d'intérêts politiques conjoncturels, agrégés par la mission de défense du «Programme du président de la République». Pour le plat de résistance, le fromage et le dessert, Soltani propose une «transition claire» vers un régime parlementaire, une réelle séparation des pouvoirs, l'élargissement des libertés politiques, médiatiques et syndicales, ainsi que la limitation à deux exercices du mandat présidentiel. En somme, un menu roboratif pour une deuxième république. Une république tout simplement démocratique qui remplacerait la très spécifique RADP, qui fut très peu démocratique et si peu populaire. Ses amis, mais pas seulement eux, le savent : Soltani n'a jamais été un imam révolutionnaire pour être aujourd'hui son propre porte-parole, qui plus est un démocrate téméraire. Comment donc ne pas le considérer comme l'apôtre qui porte l'oracle divin ? Un vaticinateur ayant commerce avec les dieux du pays, ceux qu'on appelle par euphémisme politique les «décideurs» et que les Arabes qualifient de «gens qui nouent et dénouent». Quelque part, quelque chose semble se nouer. Et, dans quelque temps, demain ou un autre jour, peut-être dans pas trop longtemps, si on en croit l'augure soltanien, l'oracle démocratique serait rendu. Ce jour-là, les chapitres de la divination politique annoncée révéleraient que les dieux de l'olympe politique algérien auraient finalement opté pour l'évolution plutôt que pour la révolution. Surtout pas celle qu'un jour une rue nihiliste aurait imposée. Ce jour sera celui «où l'on choisirait notre démocratie en toute souveraineté et où l'on définirait notre souveraineté en toute démocratie», comme l'écrit un Soltani, divinement inspiré et converti zélé à la cyberdémocratie. Comment ne pas dire inch'Allah ? Comment ne pas souhaiter également que Ses «ombres» sur la terre algérienne soient au moins aussi bien inspirées que le prêtre Soltani ? Sauf à s'obstiner à ne pas entendre les cris sourds du pays qui ne veut plus qu'on l'enchaîne. Car, ici et ailleurs, comme dans le Chant des partisans, «dans la nuit, la liberté, écoute toujours»… N. K.