Photo : S. Zoheir De notre envoyé spécial en Tunisie Abdelghani Aïchoun Le président déchu Zine Abidine Ben Ali s'est complètement effacé de la Tunisie post-14 janvier 2011. Environ trois mois après, il ne reste plus rien de lui ou de ses symboles. Ses portraits, jadis présents dans chaque coin de rue tunisienne, ont complètement disparu. Sa date «fétiche» du 7 Novembre, puisqu'il a déposé Habib Bourguiba un certain 7 novembre 1987, collé aux principaux boulevards des plus importantes villes du pays a également connu le même sort. Quand la rue n'est pas rebaptisée, elle est carrément sans nom momentanément. C'est ainsi que la route principale menant à l'entrée de Sousse, en venant de Tunis, est désormais nommée «boulevard du 14 Janvier», faisant référence bien évidemment à la date de la chute du président Ben Ali. Une date a remplacé une autre. Imposant pendant quatorze ans sa date de début de règne comme symbole des Tunisiens, Ben Ali voit aujourd'hui «ses concitoyens» adopter sa date de fin de règne comme nouveau symbole. Sort logique d'un Président qui a géré son pays d'une poigne de fer avec tout ce que cela implique comme confiscation des libertés et emprisonnement des opposants. L'autre symbole qui a vu le jour dans cette nouvelle Tunisie est le «martyr» Mohamed Bouazizi. Celui qui, spontanément et sans calculer son coup bien évidemment, a provoqué cette «révolution» en s'immolant un certain 24 décembre à Sidi Boussaïd, non loin de Tunis. C'est suite à drame que les émeutes se sont déclenchées, d'abord dans cette ville, avant de se propager au reste des régions tunisiennes. Dans son cas, ce sont les jeunes «émeutiers» qui ont décidé de rebaptiser plusieurs placettes et boulevards, baptisées avant «7 Novembre». A l'entrée du boulevard Bouguiba, en plein centre de la capitale, la plaque portant le 7 Novembre a été saccagée. En remplacement, les jeunes ont inscrit, à la peinture, «place du martyr Mohamed Bouazizi». «C'est un héros. Il mérite qu'on lui rende hommage. C'est par son acte que la Tunisie s'est libérée du clan Ben Ali - Trabelsi», a déclaré un jeune vendeur dans un magasin non loin du boulevard Bourguiba. Dans la majorité des autres villes tunisiennes, les jeunes se sont également à rebaptiser les espaces publics. A Hammamet-Yasmine, une station balnéaire courue, la ruelle principale baptisée «boulevard du 7 Novembre» a été rebaptisée sur instruction d'un responsable local. Celui-ci nous a confié qu'il avait ordonné aux employés, dès le début des événements, de retirer tous ces symboles de l'ancien régime dans l'espoir de préserver la région des émeutes. Finalement, Hammamet-Yasmine n'a pas connu de grands troubles. L'infrastructure hôtelière, gagne-pain de milliers de Tunisiens, n'a pas globalement été touchée par les événements. «A travers toute la Tunisie, seuls les hôtels et les complexes touristiques appartenant aux familles Ben Ali et Trabelsi ont été saccagés», a ajouté notre interlocuteur. Par ailleurs, plus aucun portrait du président déchu dans les administrations ni dans les rues. Son visage qui «ornait», avant, des panneaux publicitaires a été remplacé par le drapeau tunisien. Même les chaînes de télévision, en évoquant la période de son règne, évitent de le montrer. Les Tunisiens veulent l'effacer de leur mémoire, même si l'exercice est difficile pour ne pas dire impossible, notamment pour ceux qui ont payé le prix fort en s'opposant à son diktat. Les blessures sont toujours là. Mais ceux-là se consoleront en voyant leur pays réussir sa transition démocratique. A ce propos, Mohamed Jmour, porte-parole du Parti du travail, dira que le «prix payé pour arriver à ce résultat est cher». «Néanmoins, les Tunisiens travaillent aujourd'hui pour bâtir un pays basé sur les valeurs démocratiques. C'est cela qui fera oublier, en quelque sorte, les blessures du passé, même si personne n'est disposé à oublier ce qu'il a vécu», a-t-il ajouté. En tout cas, les citoyens tunisiens, tout en gardant un œil sur le passé, en revendiquant notamment la saisie des biens des familles Ben Ali - Trabelsi et des poursuites judiciaires à l'encontre des auteurs des abus, regardent vers l'avenir. Un avenir où Ben Ali est exclu.