Alors que les crises de différentes couleurs ne cessent de provoquer des séismes de par le monde et particulièrement dans les pays pauvres, et au moment où les débats sur la scène internationale ont tendance à s'orienter beaucoup plus vers la protection et la résolution des problèmes qu'engendrent ces crises, un rapport de la Banque mondiale vient jeter un pavé dans la mare. Publié récemment sur son site Web, le document en question estime que les pays en voie de développement partagent une «responsabilité commune» au regard de la stabilité du système financier mondial. A l'heure actuelle, il n'existe aucune institution internationale pour autoriser les pays en développement à «se décharger correctement de cette responsabilité», constate le rapport. Étant donné l'importance croissante des nouveaux acteurs mondiaux, il apparaît nécessaire de rééquilibrer les responsabilités mondiales et leur représentation, préconisent encore les rédacteurs du document. Ce document, plus explicite, affirme que «à mesure qu'augmente le nombre de pays influents, il devient d'autant plus important d'établir un mécanisme fiable pour la coordination de leurs politiques». Les raisons et les explications du document se sont orientées vers les pays émergents, notamment ceux enregistrant une croissance à deux chiffres ou ayant un potentiel économique énorme. Pays émergents, pays influents Ainsi, avec 3 200 milliards de dollars, constate la Banque mondiale, l'économie de la Chine représente désormais environ 20% de la taille de l'économie américaine. Idem pour l'économie indienne qui, pour sa part, avoisine 1 000 milliards de dollars. A la mi-2007, les réserves des banques centrales s'élevaient à 4 500 milliards de dollars, la Chine représentant à elle seule 1 600 milliards de dollars, un chiffre qui ne fait qu'augmenter. Parallèlement, les taux d'épargne sont bas aux États-Unis, alors que la Chine continue d'accumuler des réserves au même rythme et de faire progresser rapidement ses excédents commerciaux. Les devises qui suivent le dollar (ou le yuan) ont largement accompagné la devise américaine dans sa trajectoire descendante, allant ainsi à l'encontre de leurs fondamentaux sous-jacents. Les institutions en place sont-elles incapables de gérer les conséquences des crises cycliques qui sévissent dans le monde ? Eu égard aux conclusions du document, cette question peut avoir une réponse affirmative. Pour la Banque mondiale, l'économie mondiale excède sa capacité de gestion. Explications : plusieurs marchés se sont opacifiés et sont devenus difficiles à réglementer, comme l'illustre l'actuelle crise du crédit qui sévit aux États-Unis et en Europe. Les responsabilités des banques centrales «s'étendent désormais bien au-delà de l'inflation et englobent les resserrements de crédit, les ralentissements de croissance et, dans certains cas, les taux de change». «Il est clair pour la plupart des observateurs que l'économie mondiale a dépassé notre capacité à la gérer», affirme encore le rapport. «Cela suppose des risques pour les pays en développement en particulier, car ils sont davantage vulnérables aux cessations brutales de crédit et aux revirements soudains de la demande ou de l'offre internationale.» Tandis que le resserrement du crédit gagne les économies avancées, le rapport souligne également l'importance, pour les pays en développement, de disposer d'un puissant système financier et appelle à une supervision étroite du secteur bancaire afin d'empêcher les banques de pousser trop loin le crédit, ainsi qu'à l'élimination des contrôles de capitaux au seul diapason de la maturité des marchés financiers. Une institution internationale donnant leur dû aux économies émergentes contrôlerait le système financier à l'affût des tensions financières, des déséquilibres et des fragilités, lui laissant toute latitude pour intervenir précocement afin de réduire les risques d'ajustements trop abrupts et pour «apporter une réponse opportune et coordonnée aux crises qu'il n'aura pas réussi à anticiper, comme celle de la montée des prix alimentaires». Réchauffement climatique, la goutte de trop Les pays en développement sont aussi confrontés à un autre dilemme. Faire face aux changements climatiques qui ne font qu'accentuer les crises et mettent des bâtons dans les roues des économies fragiles. Cette question soulevée par l'institution monétaire internationale résume, à elle seule, une part importante dans les éléments pouvant mettre la lumière sur les causes du sous-développement de certaines nations. Sur ce plan, la BM s'interroge sur la capacité des pays en développement de supporter une croissance aussi rapide que les pays à croissance rapide sans affoler la spirale infernale des gaz à effet de serre. Le rapport, à cet effet, juge que la réponse est non, à moins que les technologies et les nouvelles techniques soient utilisées pour réduire «radicalement» l'énergie consommée aux fins de la production de biens et pour faire baisser les émissions de CO⊃2;. «C'est le seul moyen dont disposent les pays en développement pour s'assurer une croissance rapide sans imposer au monde un réchauffement climatique potentiellement catastrophique», ajoute le rapport. Les modèles climatiques indiquent que l'érosion du littoral provoquée par le réchauffement climatique mondial risque de menacer plus d'un million de personnes d'ici à 2050 dans le delta du Nil en Égypte, le delta du Mékong au Vietnam et le delta du Gange-Brahmapoutre au Bangladesh, précise encore le rapport. Les pays à croissance rapide, comme la Chine et l'Inde, grands producteurs de CO⊃2;, doivent, eux aussi, participer aux efforts visant à atténuer le réchauffement climatique mondial. Pourtant, ils résistent : d'une part, ils estiment que leur croissance risque de pâtir de ces efforts et, d'autre part, ils les jugent injustes, la plupart du CO⊃2; présent dans l'atmosphère étant le fait des pays à revenu élevé. Le rapport affirme que les incertitudes relatives à l'impact du changement climatique et au coût de la réduction de CO⊃2; finiront par se dissiper au fil du temps. Le monde ne doit donc pas s'enfermer dans des engagements quantitatifs précis pour un avenir lointain. «Nous devons anticiper le fait que les informations seront de plus en plus précises et nous laisser une marge de manœuvre.» «Pour les pays en développement qui ont épousé une trajectoire de croissance rapide, nous devons faire très attention à la manière dont sont fixées les cibles et à la manière dont les technologies et les systèmes financiers sont appliqués», explique Lord John Browne, ancien P-DG de British Petroleum. Plafonner les émissions ou instituer une taxe mondiale sur le carbone Face à ces menaces qui ne font qu'aggraver une situation déjà chaotique, la Banque mondiale a trouvé des alternatives plus ou moins applicables. Les nations devraient plutôt envisager une taxe mondiale sur le carbone ou un système de «plafonnement des émissions», autorisant les pays à émettre un volume déterminé de CO⊃2; ou à vendre des permis à d'autres pays, recommande le rapport. Des permis d'émission de gaz à effet de serre seraient délivrés en quantités suffisantes aux pays en développement afin de préserver leur croissance. Le rapport ajoute qu'il faudra des années pour concevoir, négocier et déployer un système de taxation du carbone ou de plafonnement des émissions. Entre-temps, les nations avancées devraient réduire agressivement leurs émissions et accorder des subventions plus généreuses aux technologies qui autorisent un meilleur rendement énergétique et une réduction des émissions de carbone. S. B.