A l'époque où le Conseil de la monnaie et du crédit avait autorisé la création de la CNMA–Banque, en mars 2005, le délégué général de l'Association des banques et établissements financiers (Abef), Abderahmane Benkhalfa, avait déclaré que la création d'un tel établissement financier «constitue une première expérience de mutualité bancaire en Algérie, ce pourquoi elle revêt une grande importance».
Etat des lieux Force est de constater, aujourd'hui, que la CNMA-Banque a non seulement failli à sa mission d'outil de financement de l'activité agricole mais qu'elle est aussi derrière un grave préjudice financier qui se chiffre en milliards de dinars. Cela sans compter le laisser-aller instauré au sein de cette filiale qui, avec le temps, a fini par faire oublier la vocation principale de sa tutelle. Qu'on en juge ! En trois années d'activité seulement, la CNMA-Banque a accumulé près de 17 milliards de dinars de créances difficilement recouvrables et se retrouve avec un actif net négatif de 15 milliards de dinars. En ce qui concerne la société de leasing, la Salem, les pertes sont encore plus lourdes. En effet, la Salem cumule désormais, selon un rapport du ministère des Finances près de 2 000 millions de dinars de crédits leasing, qu'elle est d'ailleurs, faut-il le souligner, incapable de recouvrer. Elle affiche un passif de 4 125 millions de dinars, un déficit de 665 millions de dinars et des fonds propres limités à 10 millions de dinars, même pas de quoi assurer le salaire du personnel pour un mois. C'est dire que la CNMA-Banque devient ainsi passible des sanctions prévues par le code du commerce, tout comme elle est légalement éligible au retrait d'agrément, conformément à l'article 89 de la loi sur la monnaie et le crédit, pour manque de minimum de capital légal. Quant à la Salem, c'est pratiquement le même cas de figure. Au regard de sa situation actuelle, cette société de leasing se retrouve passible de la procédure de faillite en application de l'article 715 bis du code du commerce, et du retrait d'agrément en application de l'article 89 de la loi sur la monnaie et le crédit. En somme, la décision prise par le Conseil interministériel de mettre fin à l'activité de ces deux établissements n'est, en fait, qu'une application stricte d'articles de la loi sur la monnaie et le crédit, ce qui veut dire aussi qu'elle ne répond (ndlr, la décision) à aucune autre considération sinon de faire cesser l'hémorragie des deniers publics. Toujours au chapitre des griefs retenus contre les deux banques, leur mode de fonctionnement s'apparente beaucoup plus à de la dilapidation pure et simple.
Les faillites de la CMMA-Banque et de la Salem étaient prévisibles Les transgressions des règles élémentaires dans l'exercice de tout établissement fiduciaire se sont révélées nombreuses lors du contrôle mené par l'Inspection générale des finances (IGF), avec en ligne de mire les créances accumulées par la CNMA-Banque. Des créances qui se sont révélées tout à fait contraires à la loi dans la mesure où elles résultent de relations d'affaires entre la banque et ses actionnaires, ce que la loi sur la monnaie et le crédit interdit. «D'autant plus que certains responsables de ces deux sociétés de financement ont refusé de tenir compte des avis des actionnaires que sont les banques publiques. Le laxisme de la gestion a du reste été le seul mode de fonctionnement ouvrant toutes les portes à l'abus de biens sociaux. Pour preuve, la Salem s'est engagée à emprunter 100 millions de dinars pour l'achat de véhicules particuliers destinés aux cadres de l'agriculture. L'opération a été menée sous le couvert de”leasing véhicules”.» Notons également que le personnel affecté à ces deux établissements n'a, pour la plupart, aucune expérience professionnelle dans les métiers bancaires, ce qui pourrait expliquer en partie les dévoiements des missions de la CNMA-Banque et de la Salem. Des anciens de la CNMA que nous avons pu toucher ont fait savoir que «la situation dans laquelle se retrouve la CNMA était prévisible dès l'instant que les cadres dirigeants de la CNMA-Banque sont des exploitants agricoles qui, par manque d'expérience dans le domaine, ont rendu possibles toutes sortes de dérives et de dilapidations». Nos interlocuteurs diront que «des anciens de la boîte se sont souvent soulevés contre cette orientation à vouloir installer des gens étrangers au domaine de la finance et du crédit, mais c'était peine perdue. Si bien que certains ont fini par accepter et faire avec tandis que d'autres ont préféré mettre les voiles pour aller travailler ailleurs, histoire de ne pas se rendre complices de la tournure prise au sein des filiales». On nous a aussi cité ces recrutements au sein de l'établissement qui se sont avérés pour beaucoup des enrôlements sur la base d'aucun critère. «Il suffisait de connaître quelqu'un de la boîte pour pouvoir l'intégrer.» La liste des griefs dans la gestion des deux établissements est encore longue pour tenter de tous les énumérer. De plus, des trois directeurs généraux qui se sont succédé à la barre de la CNMA, aucun n'a réussi à débroussailler le terrain dans lequel s'est retrouvée enlisée leur SPA. Les tentatives menées n'ont abouti à aucun résultat. Il faut dire aussi que, durant leur mandat, ces dernièrs ne se sont pas montrés très bavards avec les médias, allant même jusqu'à refuser tout entretien aux journalistes qu'ils renvoyaient vers la tutelle quand ces derniers voulaient en savoir plus sur la situation de leur établissement. Un manque de communication qui en dit long et qui, du reste, a fait couler beaucoup d'encre sans pour autant que la tutelle réagisse. Le ministère de l'Agriculture s'étant toujours contenté de nommer un autre DG sans apporter d'améliorations dans le fonctionnement des SPA. Il est à souligner, par ailleurs, que malgré les plans de redressement élaborés par ces deux établissements et présentés au gouvernement, ce dernier a émis un niet catégorique à cette alternative. En clair, l'Exécutif a refusé d'engager des deniers publics, à travers les banques dont l'Etat est propriétaire et le Trésor dans, des plans de redressement qui ne présentent aucune garantie de résultats pour remettre sur les rails la CNMA-Banque et la Salem. Et d'arguer que la décision de dissoudre est motivée par «la sauvegarde des deniers publics et les biens de la collectivité locale», souligne à ce sujet un communiqué du gouvernement. Pour l'heure, c'est la Badr qui prendra en charge les crédits bancaires destinés au secteur de l'agriculture et au développement rural ainsi que le leasing du matériel agricole fabriqué localement. Il reste à savoir quel sera le sort des employés de l'ex-CNMA et de la Salem. Va-t-on vers la solution radicale de licencier ou bien réaffecter le personnel ? Le personnel attend impatiemment une décision.