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Obama pourra-t-il passer des discours aux actes ? Le président américain annonce vouloir la création d'un état palestinien défini par les frontières de 1967
Le discours prononcé jeudi dernier par Barack Obama, axé sur le monde arabo-musulman et les insurrections populaires qui l'ont émaillé ces derniers mois, a été essentiellement marqué par la prise de position du président américain concernant le conflit israélo-palestinien. En effet, contrairement au discours prononcé en 2009 au Caire, où il avait énoncé un grand nombre de principes, quelque peu abstraits, sur les relations entre le Moyen-Orient et l'Occident, sans s'engager précisément sur l'épineuse question de la colonisation sioniste – principal point de friction entre les deux civilisations – l'orateur a apporté, cette fois-ci, son soutien plein et entier à une exigence formulée de longue date par les dirigeants palestiniens : une détermination frontalière de leur Etat antérieure à la guerre des Six-Jours (1967), et par conséquent, à la prise par Israël de la Cisjordanie, d'El Qods-Est et de la bande de Ghaza. «Les Etats-Unis sont d'avis que les négociations doivent aboutir à la reconnaissance de deux Etats, avec des frontières palestiniennes permanentes avec Israël, la Jordanie et l'Egypte, et avec des frontières israéliennes permanentes avec la Palestine. Nous pensons que ces frontières doivent se baser sur les lignes de démarcation de 1967, dans le cadre d'échanges mutuellement agréés (…). Le peuple palestinien doit avoir le droit de se gouverner et d'atteindre son plein potentiel à l'intérieur d'un Etat souverain.»Présenté comme un événement majeur par les médias internationaux, le discours du président américain n'a pas tenu toutes ses promesses. Alternant entre grandiloquence, lieux communs et ethnocentrisme occidental, seul, ou pratiquement seul le courage politique dont il a fait preuve en évoquant les conditions de la résolution de la question israélo-palestinienne aura marqué les esprits. «Depuis plus de deux ans, mon gouvernement s'efforce avec les parties intéressées et la communauté internationale à mettre fin à ce conflit, en s'appuyant sur les dizaines d'années de labeur des gouvernements précédents. En dépit de cela, les attentes restent déçues […]. Les activités israéliennes d'implantation se poursuivent […]. Les Palestiniens subissent l'humiliation de l'occupation et le fait de ne jamais vivre dans un Etat qui leur appartient.»Le chef du gouvernement israélien, Benyamin Netanyahu, s'est d'ailleurs indigné de cette prise de position qu'il a, sans surprise, violemment rejetée : «Israël est prêt à faire des compromis généreux pour la paix, mais il ne peut revenir aux lignes de 1967, car celles-ci sont indéfendables […] la paix ne peut s'édifier sur des illusions.»Néanmoins, le courage politique affiché par Obama sur la nécessaire résolution de la question palestinienne reste très relatif ; «le poids» du lobby juif sur l'Administration américaines ayant empêché à chaque fois la conclusion des processus de paix engagés par les différents présidents américains. En effet, Obama, comme effrayé dans son discours par le risque de heurter les autorités israéliennes, n'a cessé de rappeler l'amitié «inaliénable et indéfectible» qui lie les Etats-Unis à l'Etat sioniste. Il n'a également pas omis de dénoncer la conclusion récente d'une alliance nationale entre le Hamas et le Fatah ; sans oublier le fait qu'il ait eu recours à maintes reprises dans son discours à «l'éternelle ritournelle» occidentale, qui consiste à «victimiser» la population israélienne ; «terrorisée» par les roquettes qui pourraient s'abattre sur son sol, alors que les morts se comptent par dizaines de milliers, côté palestinien. Des «gages» qui laissent, malheureusement, entrevoir une nouvelle soumission de l'Etat américain aux exigences des dirigeants israéliens. Est-ce une preuve, de plus, de l'assujettissement de la première puissance mondiale à un lobby dont chacun connaît le pouvoir d'influence en son sein ? Exonérer les USA de toute responsabilité dans le déclenchement du «printemps arabe» Un élément important du discours d'Obama au monde arabe est également à souligner : son souci d'exonérer son pays de toute responsabilité dans le déclenchement des mouvements qui ont déstabilisé le monde arabo-musulman ces derniers temps. Le président américain a, en effet, pointé du doigt une «stigmatisation» injuste et excessive selon lui des Etats-Unis dans les désordres qui règnent dans cette région du monde. Il a également dénoncé sans ambages la nature liberticide des régimes qui gouvernent dans ces pays, les accusant d'être à l'origine des insurrections qui les ont frappés et affirmant son soutien sans ambiguïté au «printemps arabe». Le président américain, pour illustrer son propos, prit le cas du jeune vendeur ambulant tunisien Mohamad Bouazizi, qui s'était immolé après qu'un agent de police lui eut confisqué son étal. «Les nations du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord ont obtenu leur indépendance il y a longtemps, mais dans beaucoup trop d'endroits, les populations n'ont pas gagné la leur. Dans trop de pays, le pouvoir est concentré entre les mains d'une petite minorité. Dans trop de pays, un citoyen comme ce jeune marchand n'a nulle part où se tourner, aucun système judiciaire honnête pour présenter son cas, aucun média indépendant pour faire entendre sa voix, aucun parti politique crédible pour représenter ses points de vue, aucune élection libre et juste pour lui permettre de choisir son dirigeant (….). Face à ces défis, trop de dirigeants de la région ont tenté d'orienter les doléances de leur peuple contre d'autres. Ils ont blâmé l'Occident pour toutes sortes de maux, un demi-siècle après la fin du colonialisme. L'antagonisme contre Israël était devenu la seule expression politique acceptable (...) évidemment, il nous faut procéder avec humilité. Ce ne sont pas les Etats-Unis qui ont fait descendre les gens dans la rue à Tunis ou au Caire, ce sont les gens eux-mêmes qui ont lancé ces mouvements, et c'est à eux qu'il appartient de déterminer quelle en sera l'issue (…). Les évènements des six derniers mois nous montrent que les stratégies de répression ne fonctionneront plus.» Soutien aux insurrections arabes, solidarité «démocratique» ou calculs géostratégiques ? Autre point marquant dans ce discours, la volonté d'Obama de faire évoluer l'appréhension des relations diplomatiques américaines avec le Moyen-Orient. Le soutien des manifestants arabes étant, selon lui, l'illustration parfaite d'un nécessaire infléchissement des relations américaines avec le monde arabo-musulman, qui ne doivent, toujours selon le président Obama, ne plus se contenter de défendre seulement les intérêts américains dans cette région, mais également encourager le développement des processus démocratiques naissants, via des aides financières notamment, objectif maintes fois réitéré tout au long de son discours. «La question devant nous est de savoir quel rôle les Etats-Unis joueront au fur et à mesure que ces événements se produiront. Pendant des décennies, les Etats-Unis ont visé un ensemble d'intérêts centraux dans cette région : contrer le terrorisme, stopper la prolifération d'armes nucléaires, assurer la libre circulation du commerce et défendre la sécurité d'Israël (…). Nous continuerons à faire cela, dans la ferme conviction que les intérêts des Etats-Unis ne vont pas à l'encontre des espérances des populations (…). Nous devons reconnaître cependant qu'une stratégie fondée uniquement sur la poursuite étroite de ces intérêts ne remplira pas un estomac vide, ni ne permettra à qui que ce soit de s'exprimer librement. En outre, ne pas tenir compte des aspirations plus vastes des citoyens ordinaires ne fera que renforcer leur suspicion, qui couve depuis des années, qui consiste à penser que nous poursuivons nos intérêts aux dépens des leurs (…); l'absence de changement d'approche risquerait de provoquer une spirale de plus en plus profonde de division entre les Etats-Unis et le monde arabe.» Dénoncer le régime syrien sans envisager de le «déloger» ? Le président américain est également revenu sur la violente répression commise par le régime de Bachar Al Assad pour «mater» la révolte populaire en Syrie, en adressant notamment une injonction au dirigeant syrien, l'exhortant à «mener une transition démocratique» ou à quitter ses fonctions politiques. «Ce régime a choisi la voie du meurtre et de l'arrestation en masse de ses citoyens. Les Etats-Unis ont condamné ces actions.» Pour démontrer la fermeté de son administration vis-à-vis du dirigeant syrien, le président américain a rappelé les sanctions financières dont ce dernier fait l'objet, mais n'a pas expliqué pourquoi son administration ne voulait pas s'engager militairement en Syrie comme elle a décidé de le faire récemment en Libye. A travers la critique adressée au régime syrien, le président Obama en a profité aussi pour écorner l'allié de ce dernier, l'Iran. «A ce jour, la Syrie a suivi la voie de l'Iran, son allié, et sollicité l'assistance de Téhéran quant aux tactiques de répression à appliquer. Ceci révèle l'hypocrisie du régime iranien, qui dit soutenir les droits des manifestants à l'étranger, alors qu'il réprime ses compatriotes sur son territoire. N'oublions pas que les premières manifestations pacifiques se sont déroulées dans les rues de Téhéran, où le gouvernement a brutalisé des femmes et des hommes et enfermé des innocents en prison.» «Pourquoi sommes-nous intervenus en Libye» ? Le cas de Kadhafi et de la Libye fut également évoqué par le président américain. Celui-ci a effectivement dénoncé «un dictateur qui fait la guerre à son peuple» et qui a juré de «le chasser comme de la vermine», mais au-delà des critiques adressées au «guide de la révolution libyenne», Barack Obama a tenté de justifier la participation de son pays à l'intervention militaire en Libye. «Si nous n'étions pas intervenus en Libye avec nos alliés de l'Otan et nos partenaires régionaux de la coalition, des milliers de personnes auraient péri. Le message aurait été clair : pour rester au pouvoir, on n'a qu'à massacrer autant de gens qu'il le faut.»Obama a aussi fait preuve de modestie concernant l'éventuelle résolution de ce conflit. Ce dernier a rappelé la difficulté qui caractérise ce type d'entreprise et les moyens considérables qu'elle réclame, sur le plan tant humain que financier. Préserver l'allié bahreïni Par ailleurs, le président américain a ménagé l'allié «précieux» des Etats-Unis dans le golfe Persique, Bahreïn, soulignant simplement la nécessité pour le roi Hamad Ben Issa Al Khalifa de favoriser les conditions de l'avènement d'un vrai dialogue entre la majorité et l'opposition de ce pays «amis des Etats-Unis». Faut-il comprendre par là que l'ensemble des monarchies du Golfe est tenu, lui aussi, de suivre le «sens» de l'histoire ? Ben Laden : plus que la mort d'un terroriste, le rejet d'une idéologie ? S'agissant de l'assassinat récent d'Oussama Ben Laden, Barack obama a opéré une corrélation avec les révoltes populaires qui secouent le monde arabo-musulman ces derniers temps, soulignant que les événements récents étaient une preuve que les citoyens arabes n'adhéraient pas au corpus idéologique incarné par l'extrémisme islamiste et qu'ils aspiraient simplement à la «démocratie et au progrès». Le président américain a qualifié l'ex-chef d'Al Qaïda d'assassin qui «rejetait la démocratie et les droits individuels pour les musulmans au profit d'un extrémisme violent».Aujourd'hui, a-t-il ajouté, les Arabes voient l'extrémisme d'Al Qaïda comme «une impasse». Ben Laden est «un meurtrier des masses», et dès avant sa mort, son réseau «perdait sa lutte (...) car l'immense majorité des gens ont vu que le massacre d'innocents ne répondait pas à leur quête d'une vie meilleure», a déclaré le président américain. L'annonce d'aides financières pour l'Egypte et la Tunisie Le président américain a également annoncé le recours futur à des aides financières accordées à l'Egypte et la Tunisie, «deux pays où les peuples se sont dressés pour exiger leurs droits fondamentaux». Ainsi, une aide d'un milliard de dollars sera notamment attribuée à l'Egypte. Ce programme consistera également à «récupérer les avoirs dérobés par les anciens dirigeants tunisiens et égyptiens». Le président américain a sollicité aussi l'aide de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd) afin qu'elle s'engage concrètement pour ces pays du Maghreb, à la veille d'une réunion de l'institution consacrée à ce sujet.Au-delà de la proclamation de bonnes intentions et de lieux communs pleins de bons sentiments, «j'entendais une femme égyptienne déclarer que c'était la première fois dans sa vie qu'elle avait l'impression de respirer de l'air pur…». La spécificité impérialiste de la politique étrangère américaine est toujours présente dans «la logorrhée» du premier président noir américain. En effet, la volonté de transposition du système de valeur occidental, et plus précisément étasunien, au monde arabo-musulman, transparaît dans un texte, lu certes avec talent, mais dont on ne peut négliger l'hégémonisme «philosophique». Barack Obama, semblant à l'instar de ses prédécesseurs faire fi des spécificités culturelles des pays arabo-musulmans, en encourageant notamment l'avènement d'un libéralisme politique, incompatible avec l'histoire et les traditions d'une civilisation, qui n'a ni la même approche spirituelle, ni la même vision des libertés individuelles et encore moins la même conception de l'égalité entre les hommes et les femmes. Barack Obama commettrait donc une «faute historique» s'il ne soulignait pas assez, dans le futur, la nécessité pour le monde arabo-musulman de choisir sa propre voie et de s'inventer une modernité adaptée à ce qu'il est et non à ce que les Etats-Unis aimeraient qu'elle soit. S. H.