Après bientôt trois mois de tumulte, la situation en Syrie ne semble pas retrouver un semblant d'accalmie. La contestation du régime en place semble avoir fait tache d'huile et la réponse est toujours du même acabit : la répression. L'armée multiplie les opérations militaires creusant davantage le fossé et compliquant une sortie de crise. Les villes du nord du pays vivent, ces derniers temps, une situation difficile, ce qui pousse les habitants, notamment de la localité de Jisr Al Choughour, à fuir vers la Turquie frontalière. Comme les informations sont difficiles à vérifier, les contradictions entre les différentes déclarations sont criantes. Selon la télévision d'Etat, des «hommes armés» ont ouvert le feu sur des membres des forces de l'ordre. Des officiels syriens accusent des «gangs armés» d'être responsables de la mort de 120 policiers à Jisr Al-Choughour. Autre son de cloche rapporté par les agences de presse occidentales : selon des témoignages recueillis auprès de réfugiés passés en Turquie, des militaires ont été exécutés parce qu'ils refusaient de tirer sur les manifestants, comme l'avaient fait en début d'année les troupes égyptiennes et tunisiennes. De toute évidence, l'information la plus patente est que la contestation populaire est toujours de mise et la réponse des autorités est inlassablement répressive. Même si elle est drapée dans des ouvertures à dose homéopathique. Selon les agences de presse, des milliers de personnes sont descendues dans les rues de Daël, dans la province de Deraa, et dans trois localités kurdes du Nord-Est pour manifester leur soutien aux habitants de Jisr Al-Choughour. Des manifestations ont également en lieu à Homs, la troisième ville du pays, et à Hama, où les forces de l'ordre ne sont pas intervenues, une semaine après la mort de 60 civils. Le chef de la sécurité militaire de Hama aurait été arrêté, ainsi que 20 autres officiers. La vague de contestation a également touché le gouvernorat d'Idleb où la périlleuse escalade n'a pas cessé. Sur le terrain diplomatique, les discussions se poursuivent au Conseil de sécurité de l'ONU. La France, la Grande-Bretagne et l'Allemagne veulent faire voter une résolution qui prévoit de condamner la Syrie. La Russie et la Chine ne l'entendent pas de cette oreille et sont décidées à user de leur droit de veto. Critiques acerbes de la Turquie La crise syrienne pourrait déborder au-delà des frontières. Plus de 1300 nouveaux réfugiés fuyant la répression arrivent en Turquie, ce qui porte à quelque 1900 le nombre de Syriens ayant franchi la frontière entre les deux pays, depuis le début de la contestation contre le régime en place. Fin avril, le Croissant-Rouge turc a érigé un village de tentes capable d'accueillir des milliers de réfugiés à Yayladagi, proche de la frontière syrienne. La ville syrienne de Jisr Al-Choughour n'est qu'à une quarantaine de kilomètres. Le rythme des arrivées des réfugiés s'est accéléré. Une situation qui pourrait fortement embarrasser Damas. Ankara, de son côté, semble refuser de revivre le drame de l'exode massif des Kurdes d'Irak en Turquie en 1991. Durant la première guerre du Golfe, des milliers de Kurdes ont passé la ligne de démarcation. La Turquie, débordée, avait laborieusement tenté de venir en aide à ces populations, mais des dizaines de réfugiés étaient morts en faisant face à des conditions extrêmes. C'est face à cette hantise que les autorités turques ont critiqué de façon acerbe le régime syrien pour sa gestion de la crise intérieure que vit le pays, l'enjoignant de trouver un dénouement avant qu'il ne soit trop tard.La solution à la crise syrienne pourrait-elle venir de l'intérieur du système ? Basma Kodmani, spécialiste de la Syrie, pense que «la communauté alaouite tient peut-être la clé d'une solution pacifique. Pas en termes d'effectifs, cette fois, mais en termes de centre de pouvoir, car elle contrôle l'appareil sécuritaire et constitue le socle du régime. Mais si elle s'aperçoit que le pouvoir perd le contrôle, elle calculera son intérêt. Peut-être renoncera-t-elle à soutenir les familles Assad et Makhlouf pour rejoindre le mouvement, éviter le désastre et se retrouver du bon côté. Elle pourrait, en quelque sorte, jouer le rôle qu'a joué l'armée en Egypte en choisissant de sauver l'Etat plutôt que le régime, et en se portant garante de la nation en attendant qu'une alternative politique s'organise». Pour l'heure, les observateurs du cas syrien sont sceptiques. Le régime aurait opté pour la stratégie du pire en écartant les tendances les moins dures qui prônaient le dialogue et l'ouverture pour désamorcer une situation des plus périlleuses. Des signes annonceraient même des dissensions au sein du pouvoir qui tient grâce à un équilibre particulier lié à l'histoire du pays et à sa texture ethno-sociale. A Damas, la base de pouvoir se rétrécit parce que les deux familles Assad et Makhlouf et leurs fidèles les plus proches écartent les plus «mous» et ceux qui prônent le dialogue. Des rivalités existent entre les «durs» qui restent, mais ce groupe restreint semble bien solidaire. Pour Kodmani, le régime gouverne le pays grâce à l'usage de la même stratégie depuis quarante ans : «Il monte les communautés les unes contre les autres et il convainc les Alaouites qu'ils sont menacés par les autres groupes. Damas tente aussi de neutraliser les Kurdes en leur proposant des arrangements afin qu'ils sortent du mouvement. Ou bien fait pression sur les patriarches chrétiens pour qu'ils prennent la parole en sa faveur.» Mais face à la montée en cadence de la contestation populaire dans sa diversité et l'accentuation de la pression internationale, même parmi les pays amis, le régime syrien se retrouve en plein dans la tourmente. M. B.