De notre correspondant à Constantine Nasser Hannachi La périphérie de la commune de Constantine est enlaidie par des constructions illicites ou inachevées. Cette image pour le moins lugubre est l'œuvre de citoyens, certes, mais la responsabilité incombe d'abord au laxisme et au laisser-faire des autorités locales, la municipalité en tête. Le pire est que le problème retombe finalement sur cette même municipalité qui se retrouve aujourd'hui confrontée à l'épineux problème de régularisation. Cette situation est le produit du cumul, depuis des années, de la passivité des services de l'urbanisme et de contrôle. «Il y a des vendeurs de terrains ‘‘clandestins'' qui n'ont aucun mal à trouver des acheteurs en quête d'un toit prêts à acquérir un lot en se passant d'acte de propriété. Les deux échappent ainsi au fisc», soutient un employé de la commune. Et cela a concerné même des cités qui, une fois érigées, ont été jugées «tolérables» de par la nature de leur construction estimée répondant aux normes. Mais il y a d'autres espaces qui sont carrément envahis par des constructions disparates relevant de l'anarchie urbanistique et de la pure architecture inesthétique. Cette situation a fini par faire réagir les pouvoirs publics qui ont élaboré la loi 08-15 relative à la mise en conformité des constructions inachevées. Mais sur le terrain le texte tarde à donner ses fruits. Réticence des citoyens concernés qui craignent de voir leurs habitations détruites ou mauvaise vulgarisation par les services concernés à l'échelle locale ? Le fait est que tout reste en l'état. Le même décor est là. Les bâtisses sont toujours inachevées ou non régularisées, ce qui dénote la timide application de la loi susmentionnée. Neuf secteurs urbains pour relever les constructions La capitale de l'Est détient tous les records en matière d'anarchie urbanistique. C'est un constat qui ne requiert aucun effort pour être confirmé. Il suffirait juste de se balader dans la ville et ses alentours. La métropole a du mal à se délester de ses éternelles cités bidonvilles. «Si la commune marchait, l'assainissement suivrait systématiquement», estime toutefois un cadre administratif. Cette petite phrase en dit long sur le fonctionnement des rouages administratifs qui est pour le moins énigmatique, surtout en ce qui concerne ces commissions de suivi au sein de cette institution publique dont les responsables soufflent le chaud et le froid. L'APC de Constantine est accusée de tous les maux dès qu'on évoque la situation problématique du secteur de l'urbanisme, notamment de la prolifération des taudis de fortune. En effet, des citoyens continuent de construire sans trop s'inquiéter de la réaction des services de contrôle affiliés à la municipalité. Sinon comment expliquer le nombre incessant de bâtisses qui prennent naissance à la périphérie de Ziadia, les Muriers et Chaâb Ersas ? Toutefois, le responsable du volet urbanistique de la commune de Constantine, M. Bouras, promet que cela changera. «En collaboration avec les neuf secteurs urbains qui chacun compte en son sein un service technique, le service principal passe en revue tous les éventuels dépassements entachant l'aspect urbanistique en matière de non-conformité ou d'esthétique», dira-t-il. «En cas d'irrégularité, le procès-verbal est établi et la police de l'urbanisme en sera saisie pour procéder à la démolition. Ce ne sont pas toutes les bâtisses qui subiront ce sort, car il y a celles qui nécessitent uniquement une mise en conformité avec la loi 08-15 établie par le ministère de l'Habitat. Jusqu'à ce jour on a enregistré plus de 2 000 dossiers déposés», ajoutera-t-il. En ce qui concerne les habitations construites sur des sites non identifiés et sans acte de propriété, la justice prendra le relais pour trancher au cas par cas. Mais ces opérations ne dédouanent en rien les responsables de cette anarchie urbanistique. Le tissu urbain ne s'est pas dégradé du jour au lendemain, ni parce que deux ou trois maisons ont été construites n'importe où et n'importe comment. C'est une catastrophe urbanistique qui a pris tout son temps pour enlaidir toute la ville et ses environs, sans qu'aucun responsable vienne mettre le holà. Et cette situation renvoie à bien des interrogations sur les irresponsabilités et les complicités qui ont permis ce crime. A commencer par les défaillances enregistrées dans ces commissions chargées du recensement, de la promulgation des permis de construire, du contrôle, de l'urbanisme… «On a laissé les gens construire sur des terres non conformes de par leur statut réglementaire et maintenant on les oblige à se conformer aux bureaux d'études. C'est aberrant», dira le responsable de l'urbanisme. De fait, si on essayait de dénombrer les maisons construites anarchiquement ou plutôt illicitement, cela donnerait le tournis. Et la commune est au banc des accusés pour avoir autorisé – ou parce qu'elle a laissé faire – cette anarchie qui a terni le panorama de la cité antique. Combien de fois les responsables qui se sont succédé à la tête de cette wilaya ont-ils mis à l'index le volet technique jugé défaillant ? Ce volet relève des prérogatives de la municipalité. Pour s'en décharger, certains responsables invoquent la période d'insécurité qui a accentué la migration des populations rurales vers les villes, ce qui a contribué à la prolifération des cités «illégales». Les familles qui ont déserté les endroits désenclavés menacés par les attaques terroristes ont construit des baraques aux alentours des villes. Mais ces familles déplacées n'ont fait qu'ajouter quelques bidonvilles aux 12 000 bidonvilles répertoriés à Constantine. Et pourquoi n'a-t-on rien fait avant ? Pourquoi a-t-on laissé des bidonvilles s'ajouter à d'autres sans jamais rien faire pour en éradiquer le maximum ? Pourquoi a-t-il fallu attendre que le président lui-même se soucie de cette situation pour décider d'un plan d'éradication de l'habitat précaire et des bidonvilles ? Des cités attendent toujours leur viabilisation «Les gens construisent la nuit», indique un responsable. Nous avons tenté de connaître le nombre exact des constructions illicites répertoriées dans la commune de Constantine. En vain. Le chef de service en charge du dossier nous a rabroués, de la manière la plus déplacée, devant la porte de son bureau, et ce, bien qu'on se soit présenté et ait exposé notre requête qui, somme toute, n'est soumise à aucune mesure de restriction. «Je ne parle pas à la presse de…», nous jette-t-il sur un ton menaçant. Nous ne pouvons que déplorer une telle attitude, au moment où tous les responsables, même au niveau supérieur de l'administration, s'accordent à dire que des efforts doivent être consentis pour communiquer et faciliter aux journalistes l'accès à l'information. Mais il semble bien qu'à la commune de Constantine, on en est resté à l'ère de la rétention de l'information et de la culture du secret. Quant à la cellule de communication, elle semble être dépassée et souvent outragée par le comportement de certains responsables qui refusent de communiquer et de donner des éclaircissements sur leurs domaines respectifs. Le chargé de la communication, «gêné», n'a d'ailleurs pu trouver les mots pour justifier l'attitude inconvenante de ce responsable. Mais ce n'est certainement pas en refusant de livrer des chiffres et des statistiques qu'on réussira à cacher la réalité qui saute aux yeux. En fait, ces comportements inciviques et non professionnels de certains responsables ne font que compliquer une situation, au lieu de contribuer à trouver des solutions et remèdes à ce mal qui ronge le tissu urbain à Constantine. Car c'est un véritable problème qui ne cesse de développer des ramifications. Ainsi le nombre de demandes de raccordement au réseau de gaz de ville et d'électricité apparaît-il comme une de ces ramifications problématiques. Des cités entières attendent toujours l'accès à ces énergies. «L'accès reste difficile dans certains endroits pour parachever la conduite principale en raison de la complexité du relief où ont été édifiées des maisons», explique-t-on à l'APC. Cependant, des habitants tels ceux du lieu-dit Anaâja Esghira, estiment que la municipalité n'a pas joué son rôle et fait dans le favoritisme. «J'ai payé la Sonelgaz et à chaque fois je suis renvoyé à l'Hôtel de ville pour y homologuer ma demande», dénonce un jeune rencontré dans les couloirs de la mairie. C'est le paradoxe de la lancinante problématique du secteur de l'urbanisme à Constantine. On a laissé construire sans permis et on a mal apprécié l'effet boomerang. La seule exception est sans doute la vieille ville qui, avec son intégration, in extremis, dans un périmètre sauvegardé, peut espérer une bonne préservation de son tissu urbain et de son cachet architectural. Une cellule a été créée ces dernières années en vue de réguler toute transformation concernant cet espace. Quant au reste de la ville, il lui reste l'espoir de voir les autorités locales faire preuve de volonté et prendre le taureau par les cornes pour redonner à Constantine son lustre d'antan.