L'équation algérienne malbouffe-hygiène, explosive comme de l'uranium enrichi, fait remonter à la mémoire Hiroshima, mon amour, célèbre film du cinéaste français Alain Resnais. Les innombrables cas d'intoxication évoquent, en effet, une sorte d'Hiroshima alimentaire. Un sinistre radioactif qui tue ou rend malades des Algériens consommateurs inconscients certes, mais compulsifs de sandwichs, pizzas, plats mijotés, frites, œufs brouillés et garantita à l'aspect et au contenu révulsifs ! Attention, en Algérie, la frite, dégoulinant d'huile frelatée comme celle d'un moteur de Maruti toussotant, tue ! La pizza arrosée de jus de mouche, aussi. La chawarma également. Ah ! La chawarma, cet ersatz de viande qui n'évoque guère le charme d'Istanbul mais le cholestérol boucheur d'artères. Sans oublier le fameux «complet», le sandwich-synthèse où un serveur aux doigts noirs de crasse et de chique humide empile frites, omelette, fromage, merguez, garantita et mets roboratifs, relevés généreusement de harissa, de mayonnaise et de moutarde bonnes à déboucher éviers et baignoires encombrés ! On plaisante à peine avec cette évocation glauque et apocalyptique de l'enfer culinaire public. C'est que le sujet est sérieux. Inquiétant au plus haut point. Ne pas en parler équivaudrait à non-assistance journalistique à bouffeurs de bactéries en danger. 600 intoxications «alimentaires» – l'adjectif mérite ici tous les guillemets de précaution – enregistrées depuis la montée des températures déjà estivales au mois de mai ! 200 étudiants empoisonnés à Tizi Ouzou, après avoir mangé, peut-être, une loubia explosive. 45 à Sétif, après avoir consommé une pizza corrompue par un fromage avarié. 238 à Guérara, qui se sont régalés d'une viennoiserie toxique préparée par un chimiste du coin. Et, malheureusement, à l'approche des chaleurs caniculaires, la liste n'est pas close. La situation est donc grave. Très grave dans un pays où les cas connus d'empoisonnement sont de l'ordre moyen de 5 000 à 6 000 par an. Manifestement, dans des villes transformées par endroits en véritables cloaques, il n'y a pas que le terrorisme islamiste et la voiture qui tuent. Pour cause d'insalubrité chronique, salles des fêtes, «restaurants» universitaires, cantines d'entreprise, restaurants dits populaires mais pas seulement, pizzerias, rôtisseries, gargotes, sandwicheries et autres lieux improbables de la harguema à l'algérienne se sont transformés en véritables bouillons de culture… microbienne. Mais il n'y a pas que ces lieux de prédilection des bactéries, mouches, moucherons et moustiques heureux, cafards en goguette et blattes en liberté. Le problème de l'hygiène est général et relève d'une question urgente de santé publique. C'est que les notions de chaîne de froid et de propreté des mains, des vêtements et des espaces nous sont pratiquement étrangères. Tout autant que la culture de la qualité des produits et de leur conformité. Et, au même titre, le contrôle rigoureux et systématique. L'Algérie est probablement l'un des rares pays riches où des produits frais tels les œufs, le fromage et la viande sortent de la chaîne de froid pour être exposés allégrement, à longueur de journée, à un soleil qui fait bouillir les œufs sur étals. Alors, bonjour salmonellose et bienvenue botulisme ! Les consommateurs algériens semblent être des adeptes du philosophe allemand Frédéric Nietzsche : tout ce qui ne les tue pas les renforce dans leur conviction qu'il faut manger pour… survivre. S'ils sont toujours victimes de commerçants peu respectueux eux-mêmes des règles d'hygiène alimentaire et qui servent régulièrement des produits avariés ou périmés, les consommateurs sont souvent des clients négligents et fatalistes. Même dans les hôpitaux, qui évoquent parfois le mouroir ou le souk de village, on sert une nourriture ressemblant à de la bouillie pour chats et des brouets infects aux malades. Et que dire encore de la chaîne de froid ? Dans une Algérie à fort taux d'ensoleillement annuel, les frigos sont éteints à la fermeture des bureaux et des magasins, et rallumés à leur ouverture ! Rien de surprenant car beaucoup de commerçants, grossistes et autres fournisseurs véreux et avides de gains économisent de l'électricité. Quid alors du contrôle ? Chaque année, 13 000 à 15 000 locaux insalubres sont fermés et plus de 250 000 infractions sont enregistrées annuellement : chiffres énormes mais insuffisants par rapport à la dimension du problème. A l'approche du Ramadhan, dont le début coïncide avec une période caniculaire, les contrôles doivent être surmultipliés et les sanctions implacables et exemplaires. Surtout, l'Etat, qui est nanti comme Crésus, devrait voter un plan Marshall pour doter le pays d'un véritable ministère de l'hygiène publique et du contrôle alimentaire. Et, enfin, et surtout aussi, l'école et la famille devraient être les piliers d'une culture de l'hygiène. En n'oubliant pas que pour un musulman, qui a l'obligation canonique de se laver au moins cinq fois par jour, la propreté relève de la foi. Est-ce trop demander ? Foi de chroniqueur, non. N. K.