Vous êtes un militant écologiste et vous tapez «BP», Google vous proposera d'abord des articles critiques sur la marée noire. Vous êtes un boursicoteur et vous tapez «BP», Google vous présentera des sites financiers avec le cours de l'action. Cela s'appelle la «personnalisation». Il aura échappé à peu de gens que ce type de ciblage est utilisé depuis un moment par les annonceurs. Il suffit d'écrire le mot «Maroc» dans un mail pour que des publicités d'agences de voyages apparaissent sur la page. Peu de gens, en revanche, sont au courant que cette personnalisation fonctionne également dans nos recherches d'informations. Google n'est pas le seul à jouer à ça : YouTube, Amazon, Facebook, Yahoo et d'autres encore ont perfectionné l'art du filtre. Même des sites d'information comme le New York Times et le Washington Post ont investi dans cette technologie. En théorie, c'est pour votre bien. Plus Google vous connaît, plus il sera à même de vous présenter du contenu susceptible de vous intéresser. Concrètement, il personnalise les résultats de recherches en fonction de 57 signaux différents, même si vous n'êtes pas connecté par le biais d'un compte Gmail. Mais la conséquence, selon Pariser, est d'«isoler les utilisateurs d'idées différentes de leurs intérêts et goûts habituels, écrit l'auteur dans un éditorial du New York Times. Or c'est une chose quand la personnalisation a un impact sur les produits qu'on achète, c'en est une autre quand elle influence notre manière de penser». Car «la vie démocratique exige que les citoyens puissent voir les choses de différents points de vue. Au lieu de cela, chacun est de plus en plus enfermé dans sa propre bulle», écrit-il dans son livre. Autrement dit, même l'actionnaire de BP devrait et pourrait être intéressé par la marée noire, mais encore faudrait-il que Google lui donne l'occasion de lire un article sur le sujet. Le vrai problème, poursuit Eli Pariser, c'est que les utilisateurs ne sont pas conscients de l'existence de ces filtres. Quand on va sur Fox News, on sait qu'on sera servi du contenu pro-républicain. Quand on va sur Google News ou Yahoo News, on s'attend au contraire à du «neutre». Résultat, les opinions s'autorenforceraient, selon lui. Un climato-sceptique qui tape «réchauffement climatique» trouverait d'abord des articles qui le confortent dans sa vision. De fait, une étude du Sociological Quaterly citée par le New York Review of Books montre qu'entre 2001 et 2010 la part des républicains qui pensaient qu'il y a avait un réchauffement de la planète avait chuté de 49 à 29%, tandis que la part des démocrates qui le pensaient avaient augmenté de 60 à 70%, «comme s'ils recevaient des messages différents sur la science (...)». C'est pourquoi il est urgent, d'après Pariser, de «commencer à considérer les données personnelles comme relevant de la propriété privée», écrit Eli Pariser. Pour cela, «il faut reconfigurer les lois sur l'utilisation des données personnelles qui ont été écrites il y a plus de 40 ans, à une époque où il était inconcevable qu'un clic soit vendu au plus offrant sans que l'internaute le sache», affirme-t-il dans une interview à Tech Crunch. «Les entreprises qui utilisent ces algorithmes doivent nous donner le contrôle sur ce que l'on voit, ajoute-t-il dans le New York Times. Elles doivent nous dire quand elles sont en train de personnaliser les résultats et nous permettre de former et d'ajuster nous-mêmes nos propres filtres.» Alors, faut-il paniquer et débrancher sa connexion ? Pas forcément. L'analyse de Pariser est contestée, et pas que par Google. Après avoir fait son propre test, Jacob Weisberg de Slate affirme que l'auteur exagère l'impact de la personnalisation sur l'affichage des résultats de recherche. Ce que confirme Matt Cutts de chez Google sur le site de Hacker News. Il y explique que la personnalisation a par exemple beaucoup moins d'impact que la localisation (qui utilise l'adresse IP), et que le moteur utilise «des algorithmes spécifiquement conçus pour limiter la personnalisation et promouvoir la variété dans les pages de résultats». Pour ceux que cela ne convainc pas, ils peuvent toujours tout désactiver, aussi bien la localisation que la personnalisation. De toute façon, «les bulles sont imposées involontairement depuis toujours, relativise Weisberg. Il n'y a pas si longtemps, la plupart des Américains ne recevaient leurs informations que par le biais de trois réseaux télévisés semblables et de journaux locaux qui reflétaient un consensus étroit». L. R. In l'Expansion.com du 04-07-2011.