Le président yéménite Ali Abdallah Saleh est apparu à la télévision pour la première fois depuis son hospitalisation il y a plus d'un mois à Riyad où il a été transféré en urgence suite à l'attaque de son palais présidentiel. Il appelle au dialogue mais sans évoquer un éventuel retour au pays. Même convalescent, Saleh semble encore constituer l'élément de la discorde pouvant provoquer la périlleuse rupture. Ses partisans se sont réjouis de le voir apparaître pour la première fois même dans un état fort peu valorisant. «Le peuple veut Ali Abdallah Saleh», a scandé la foule brandissant de nombreux portraits du président, certains le montrant aux côtés du roi Abdallah d'Arabie saoudite. Plus d'un mois après avoir été blessé lorsque son palais a été visé par des tirs de mortier, les rumeurs les plus folles ont couru sur son état de santé. Des dizaines de milliers de Yéménites ont acclamé le nom de leur président dans plusieurs villes du pays. Dans certaines mosquées, les imams ont prié pour que «Dieu guérisse le Président» et le sorte «victorieux de l'épreuve». De l'autre côté, ses adversaires ont continué de réclamer mordicus son départ. Les opposants de Saleh ont défilé à Sanaâ et dans d'autres villes yéménites sous le slogan «non à la tutelle étrangère». «Assez d'ingérence saoudienne et américaine», a scandé la foule, «Ali Abdallah Saleh est un cadavre politique». Pour l'opposition, l'apparition de Saleh est plus destinée à monter le moral de ses partisans et à accentuer la pression sur l'opposition pour qu'elle accepte un rôle politique à son fils et ses neveux lors du transfert, devenu inéluctable, du pouvoir. Le président Saleh aurait décidé d'apparaître à la télévision contre l'avis de ses médecins traitants. Il s'agissait de faire passer le message aux Yéménites qu'il est toujours vivant et en possession de ses capacités mentales. Saleh, 69 ans, était quasiment méconnaissable, la tête recouverte et des bandages entourant sa poitrine, sous sa chemise blanche, et ses mains. Il a affirmé avoir subi plus de huit interventions chirurgicales. Au pouvoir depuis 33 ans, Saleh dit soutenir «les efforts» du vice-président Abd Rabbo Mansour Hadi dans le sens d'une «entente politique». Mansour Hadi assure actuellement l'intérim sans être désigné par Saleh. Le fils aîné du président, Ali, et ses proches contrôlent toujours une partie de l'armée et des organes de sécurité. L'opposition et surtout les jeunes manifestants réclament la mise en place d'un conseil intérimaire pour empêcher absolument un retour de Saleh et tourner définitivement la page de sa présidence. Officiellement toujours président du Yémen, Saleh reste une personnalité controversée dans le paysage politique du pays. Sa longévité à la tête de ce pays pauvre est devenue problématique en ces temps de printemps arabe. Révolte ouverte La révolte yéménite bat toujours son plein. Elle entre désormais dans son sixième mois. Pendant cette période, la mobilisation du peuple yéménite a évolué. Fin janvier, des rassemblements de défenseurs des droits de l'homme et d'étudiants opposés au régime Saleh organisent des marches dans la capitale, Sanaâ. En quelques semaines, les foules grossissent et le «jeudi de la colère», le 3 février dernier, marque le début d'un véritable soulèvement populaire. Taez, la troisième ville du pays, donne le ton. La contagion atteint rapidement les deux autres cités principales du Yémen : la capitale Sanaâ, puis le port d'Aden. Ces trois pôles de contestation deviennent le théâtre d'affrontements entre les anti-régime et les forces de sécurité yéménites. Arrivent vite les jours sanglants où des dizaines de morts et des centaines de blessés sont enregistrés. A Sanaâ et à Taez, fin mai, l'armée lance un assaut sur le campement des opposants au régime. Au moins cent morts en quelques heures. La rupture semble consommée entre les antagonistes sur fond d'un Yémen partagé. Cinq mois de contestation ont fait entrer le pays dans une phase de «lévitation» où une issue paraît de plus en plus aléatoire. Aucune résolution politique ne profile à l'horizon. Afin de peser sur la crise politique yéménite, le puissant Conseil de coopération du Golfe, sous impulsion saoudienne, a proposé un plan de sortie de crise. Après une série d'accords et de désaccords, la proposition semble avoir atteint ses limites, accentuant la difficulté. Le 4 juin, l'évacuation en urgence d'Ali Abdallah Saleh pour l'Arabie saoudite afin de recevoir un traitement médical finit par certifier le blocage. Le départ à l'étranger, même contraint, du président en exercice n'a pas finalement désamorcé la crise. C'est dans un véritable vide politique que s'est engouffré le Yémen, faisant toujours face à une révolte ouverte. Parallèlement à ce défaut de compromis, la situation sociale déjà précaire tend à l'insoutenable. Une inflation massive et des pénuries de pétrole, gaz et eau compressent le pays. Le Yémen semble se trouver dans une phase d'attentisme. Une intervention des puissances étrangères pourrait faire débloquer la situation. Les Etats-Unis semblent opter pour une transition en douce. Lors d'une rencontre à Riyad, un conseiller de Barack Obama pour l'antiterrorisme a demandé à Ali Abdallah Saleh de signer l'accord sur le transfert du pouvoir. Les Etats-Unis, pour qui le Yémen est un allié important dans la fameuse «lutte contre le terrorisme», pensent qu'une transition «doit s'amorcer immédiatement, de façon à ce que les Yéménites puissent concrétiser leurs espoirs». Dimanche, la télévision d'Etat yéménite diffuse des images montrant le président en train de recevoir le conseiller du président américain, à l'hôpital militaire de Riyad. Sur ces nouvelles images, Saleh paraissait apaisé et en bien meilleure forme. Le transfert du pouvoir a-t-il déjà commencé ? M. B.