Maintenant que les supputations et les plus noires suspicions ont été confirmées par les faits, quelle action faudrait-il entreprendre rapidement à l'encontre de Rupert Murdoch et de ses journaux ? La société de Murdoch, le groupe de médias News International, viole régulièrement la vie privée des citoyens en les mettant sur écoutes téléphoniques, corrompt la police en lui versant d'importants pots-de-vin et compromet l'équité des procès en publiant des articles qui ont toutes les chances d'influencer les jurys. Elle agit sans faire preuve d'aucune retenue, sans distinguer le bien du mal. Elle ne représente pas encore le même danger pour la société britannique que la Mafia pour l'Italie ; mais il existe suffisamment de similitudes pour comprendre que, si nous n'agissons pas maintenant, le pire est à venir. Si elles ne sont pas contrôlées, les pratiques illégales de News International ne cesseront pas de s'étendre, avec encore plus de policiers subornés, encore plus de procès bâclés. Et un nombre encore plus grand de personnalités politiques seront soumises à la volonté de M. Murdoch. Car, tout comme en Italie, où elle courtise la Mafia, la classe politique au Royaume-Uni rampe devant les dirigeants et les rédacteurs en chef de News International. Le Premier ministre David Cameron a même intégré dans son équipe à Downing Street un ancien journaliste du groupe [Andy Coulson, voir la chronologie], qui est maintenant accusé d'avoir autorisé le versement de dessous-de-table à la police. Si bien intentionnés que soient les annonceurs ayant cessé de faire de la publicité dans le journal News of the World [Ford, Vauxhall, Mitsubishi Motors, Lloyds et Virgin Holidays ont rompu leur contrat avec le tabloïd], M. Murdoch n'en sera pas affecté outre mesure. Et, même si j'ai volontiers soutenu la campagne pour réclamer l'ouverture d'une enquête publique (hackinginquiry.org), celle-ci ne constituerait qu'une première étape. De fait, les mécanismes pour obliger les administrateurs de News International à rendre des comptes existent déjà. Ils sont prévus par la loi. La plus importante mesure est de faire usage des pouvoirs définis dans la loi au sujet du contrôle des pouvoirs d'investigation, The Regulation of Investigatory Powers Act de 2000. C'est en vertu de l'article premier de cette loi que les auteurs des écoutes téléphoniques du News of the World ont été condamnés et incarcérés. Pour que les administrateurs et les cadres dirigeants de News International soient personnellement inquiétés, il faudrait se référer à un passage capital : l'article 79. Coupables de négligence Le lecteur me pardonnera de pénétrer dans les arcanes de la loi, mais, au bout du compte, dans le scandale sur le comportement de News of the World, tout tournera toujours autour de cet article. Il est intitulé «Responsabilité pénale des administrateurs, etc.» (j'aime bien le “etc.”). Il stipule que “quand un délit prévu par toute disposition de cette loi… est commis par une personne morale et qu'il a été commis de manière avérée avec le consentement ou la connivence – ou qu'il est attribuable à un acte de négligence de la part – d'un administrateur, d'un cadre, d'une secrétaire ou de tout autre agent au sein de la personne morale, ou de tout individu qui était censé agir avec cette capacité, il ou elle (ainsi que la personne morale) se sera rendu coupable de ce délit et sera passible de poursuites et de sanctions en conséquence». Pour voir comment pourrait s'appliquer l'article 79, commençons par le menu fretin, par exemple Rebekah Brooks, la directrice générale de News International. Dans une lettre adressée au personnel à la suite des révélations sur la mise sur écoutes, par ses journalistes, du téléphone portable de l'adolescente assassinée [en 2002] Milly Dowler, alors que Mme Brooks était rédactrice en chef du News of the World, cette dernière a tenté de se disculper. «Nous étions tous atterrés et scandalisés quand nous avons pris connaissance de ces accusations, hier… Pour le moment, nous ne savons que ce que nous avons lu… J'espère que vous êtes tous convaincus qu'il est inconcevable que je connaisse ou, pis, que j'approuve ces supposées pratiques.» En d'autres termes, Mme Brooks prétend ignorer complètement la violation de la vie privée qui a eu pour effet de susciter de faux espoirs chez les parents de la jeune fille, tout en entravant l'enquête la policière. Mais revenons-en à la loi. Pour éviter les poursuites pénales, le fait de ne pas avoir initié ni autorisé la mise sur écoutes téléphoniques de la jeune Milly ne suffit pas comme ligne de défense, parce qu'il existe d'autres questions auxquelles il faudrait répondre. Examinons celles-ci de près. La connivence ? Il faudrait voir comment Mme Brooks se comportait habituellement en tant que rédactrice en chef. «Connivence» signifierait, par exemple, féliciter chaleureusement les journalistes pour avoir écrit des reportages en s'appuyant sur des informations qui ne pouvaient être acquises que de manière illégale. Peut-être qu'il n'y a pas eu de connivence. Mais, même dans ce cas, Mme Brooks ne s'en sortirait pas indemne. «Quand un délit est […] attribuable à un acte de négligence», dit la loi. Cet article de la loi est un fourre-tout. Même si vous n'avez pas dirigé une entreprise qui a mené des activités criminelles, donné des ordres ou la permission, ou encore fait preuve de connivence ; même si vous n'avez rien fait de tout cela, alors vous avez été négligent. C'est là où est le piège, c'est la case dans laquelle les administrateurs de News International se retrouvent. Cela représente aussi ce petit quelque chose que Mme Brooks aurait du mal à comprendre. Car, comme elle l'a laissé entendre, elle ne démissionnera pas. Mais qu'en est-il de M. Murdoch ? Serait-il visé par l'article 79 ? Seul un juriste pourrait se prononcer avec autorité sur ce point. Mais j'ai relevé quelques mots intéressants dans le texte. La loi, y est-il écrit, vise les administrateurs, cadres, secrétaires ou tout autre individu occupant des fonctions similaires au sein de la personne morale, ou «tout individu qui était censé agir avec cette capacité». Hanté par les écoutes Que M. Murdoch tombe dans cette catégorie ou non, c'est à un tribunal d'en décider. Mais il ne fait guère de doute à mes yeux que M. Murdoch agit comme s'il était administrateur ou cadre dirigeant. Car, si en théorie News International fait partie d'une société anonyme, dans la pratique, toutefois, l'entreprise fonctionne à la manière d'une cour sur laquelle M. Murdoch règne en souverain. Si Mme Brooks n'a pas démissionné, c'est qu'elle est une courtisane. Et les courtisans ne démissionnent pas. Ils restent en place ou ils partent, au bon plaisir du monarque. S'il est peut-être difficile pour des avocats d'affaires de comprendre le fonctionnement d'une entreprise de type monarchique, les juges, eux, ne devraient pas avoir ce problème – après tout, ne sont-ils pas «juges de Sa Majesté» ? Voilà près de quarante-deux ans que Rupert Murdoch contrôle News of the World. Lorsque l'obscur propriétaire de presse australien est arrivé en Angleterre, en 1969, pour tenter d'acheter le journal, je suis allé le rencontrer à l'aéroport de Heathrow, avant de faire le trajet avec lui jusqu'en ville. J'étais alors un jeune journaliste financier. Arrivé à l'hôtel Savoy, M. Murdoch s'est dirigé vers la réception. Dès qu'on lui a donné son numéro de chambre, il a demandé d'en changer. Je lui ai demandé pourquoi. «Eh bien, m'a-t-il répondu, j'ai peur que celle qu'on m'a donnée n'ait été mise sur écoutes.» Même à l'époque, les écoutes téléphoniques et l'espionnage électronique le hantaient déjà. Maintenant, ils causeront sa perte et l'article 79 pourrait l'accabler au Jugement dernier. * A. W. S. In The Independent