A la lecture de certaines analyses, en Algérie comme ailleurs, il est proposé aux récepteurs de s'alarmer sur ce que seraient devenues les révolutions tunisienne et égyptienne. Une manifestation à Gefsa fait dire à nos observateurs que la Tunisie a sombré dans le chaos. Un rassemblement chahuté d'un parti politique dans la banlieue tunisoise, et on crie vite à un climat d'intolérance dans la Tunisie de l'après-Ben Ali. Une intolérance qui augurerait de lendemains sombres pour le pays. Et quand un adolescent de Sidi Bouzid est assassiné, cela suffit pour décréter une révolution ratée. La voie devient dès lors ouverte pour soutenir que ce n'est encore pas gagné pour les Tunisiens. On oublie pourtant trop facilement que le peuple tunisien a mis fin à une dictature policière de plus de 23 ans. Et que le démantèlement de cette dictature, fortement enracinée dans les structures sociales et politiques du pays, n'est pas une mince affaire. Il est manifestement difficile de ne pas voir des signes d'aveuglement de cet alarmisme. Est-il possible que les Tunisiens puissent passer de la dictature de Ben Ali à un Etat démocratique en un trimestre ? Est-il possible que les Tunisiens réalisent en un trimestre ce que des pays du monde «civilisé» n'ont pas pu accomplir qu'après plusieurs décennies ? Il est évident que chaque victime enregistrée après la chute du régime de Ben Ali est une victime de plus, de trop. Personne ne se réjouit de voir le bilan des victimes s'allonger. Sauf pour ceux qui ont des intérêts à ce que les Tunisiens ne parviennent pas à réaliser les objectifs de leur révolution. Cette catégorie est visiblement renforcée dans sa «logique» par les partisans de l'idée selon laquelle certains peuples ne seraient pas en mesure de construire une démocratie. Feignant d'oublier qu'une période de transition politique n'a jamais été une partie de plaisir, il est reproché aux révolutionnaires tunisiens leur aspiration à une vie digne dans un Etat de droit. A leurs yeux, ces populations, désireuses de liberté et de démocratie, sont coupables de provoquer l'anarchie dans un pays qui faisait des envieux et qui a catalogué le «modèle» de la bonne gouvernance. Et quand les promoteurs de la dramatisation ne se suffisent pas des actes de violence – pratiquement inévitables en période de transition –, ils mettent en avant, en bons pavloviens, ce qui est appelé «le péril islamiste», qui a servi pendant longtemps la «démocratie» de Ben Ali. Dans le cas de l'Egypte, on s'offusque aussi du fait que la transition traîne plusieurs mois après la chute de Moubarak. Mais on s'interdit curieusement de voir cette détermination des Egyptiens à réclamer un personnel politique propre et qui n'a aucune liaison avec l'ancien régime. Pourtant, il s'agit bien d'une condition sine qua non pour la réussite de toute transition. A. Y.