L'attaque inattendue mais somme toute prévisible contre un mess d'officiers, au centre même du périmètre de sécurité de ce qui constitue le cœur du réacteur nucléaire de la formation militaire algérienne, ouvre un inévitable débat sur le regain de vitalité du terrorisme. Au-delà du timing et du mode opératoire, cette incursion spectaculaire, fortement symbolique, pose aussi des questions sur l'évolution de la lutte antiterroriste ces dix dernières années. Elle induit également une réflexion sur une éventuelle réadaptation de l'outil sécuritaire, des méthodes et des hommes face à un terrorisme évolutif qui s'adapte sans cesse, redéploie sa menace et diversifie ses méthodes ainsi que ses théâtres d'opération. Interrogé à ce sujet par une consœur algérienne avertie, le général à la retraite Abderrezak Maïza, ancien chef d'état-major de la 1re Région militaire qui englobe les régions du Centre, le Secteur opérationnel d'Alger (SOAL) et la Kabylie, a pointé avec le recul, la rigueur, l'autorité et la froideur du spécialiste de terrain les facteurs qui expliquent le nouveau dynamisme terroriste. Une recrudescence d'opérations symbolisées dernièrement par l'attentat-suicide contre un bâtiment de l'Académie militaire interarmes de Cherchell. L'analyse de cet officier émérite d'état-major, soldat de la première heure dans la guerre contre le terrorisme islamiste dans la Mitidja, région de confrontation de haute intensité, est à prendre au sérieux. Avec tout le respect dû à une expérience acquise de haute lutte dans une Mitidja qui fut à la fois une école d'apprentissage, un terrain expérimental et un enjeu sécuritaire crucial. Les vicissitudes de la guerre contre le GIA et autres démembrements terroristes coûtèrent d'ailleurs sa place de commandant de la 1re région militaire à l'officier le plus ancien aujourd'hui dans le grade de général major. Ces mêmes tribulations valurent à des officiers du DRS, alors en poste au CTRI de Blida, le Centre territorial de recherche et d'investigation, de grandes promotions qui en font présentement des responsables de premier rang dans les services. Notamment à la DCRA, la Direction centrale de la sécurité de l'armée. Que dit en fait le général Abderrezak Maïza qui fut en 1993 le commandant du SOME, le Secteur opérationnel de la Mitidja-Est, un des 6 COLAS, ces fameux centres opérationnels de la lutte antisubversive durant les années 90 ? Il définit d'abord un point de rupture dans le processus de performance de la machine antiterroriste qu'il localise en 2006 mais qu'on peut remonter à l'année 2005. Et inventorie ensuite une série de raisons politiques, militaires, techniques, administratives et psychologiques ayant favorisé l'actuel regain de forme des groupes terroristes dans le nord du pays. Ces mêmes motifs, par effet inverse, ont impacté les capacités d'anticipation, de prévention et de riposte de l'ensemble de l'appareil sécuritaire. Le premier facteur est d'essence politique. Il s'agit de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale qui a indéniablement abouti à un assèchement significatif du marais terroriste avec la démobilisation de quelques milliers de terroristes bénéficiaires de mesures d'amnistie ou de clémence. Cette politique nécessaire eut toutefois un effet pervers sur le plan psychologique. Elle eut comme résultat contre-productif de démobiliser quelque peu la population dont la contribution en matière de renseignement, dans les villes comme dans les campagnes, fut décisive, permettant aux services de sécurité de pacifier les villes et de réduire sensiblement la capacité de nuisance des terroristes dans le reste du pays. Le retour des terroristes dans leurs familles, notamment de certains émirs et autres criminels de guerre, a crée un sentiment de désabusement et de désenchantement chez la population qui voyait prospérer sous ses yeux des fortunes islamistes considérables, dont celles d'anciens chefs du GIA, de l'AIS et d'autres groupes affiliés à Médéa, Larbaa, Jijel et Chleff. L'autre revers de la médaille de la démobilisation est constitué par le désarmement et la démobilisation progressive des Groupes de légitime défense (GLD) et autres Patriotes, dont l'ardeur combattante et l'efficacité opérationnelle, surtout en matière d'engagement et de renseignement en profondeur furent décisives dans les batailles gagnées contre les groupes armés islamistes en Kabylie et dans la Mitidja. A leur sujet, le général Maïza a eu raison de dire qu'outre leurs extraordinaires capacités à traquer les terroristes dans les moindres caches et à travers escarpements et dénivelés, les GLD et les Patriotes furent, au sens noble du renseignement, les yeux et les oreilles de l'état-major. Sans leur précieux concours, les états-majors de l'ANP et des services de sécurité n'auraient pas disposé de renseignements opérationnels de première qualité et en temps réel, indispensables pour une meilleure intelligence des situations et des hommes. Résultat mécanique, nécessairement mathématique : l'engagement fidèle et loyal des GLD ou des Patriotes permettait de mobiliser derrière eux leurs familles, parfois leur village ou leur quartier, ce qui multipliait d'autant les possibilités de renseignements recoupés et, parfois de première main. Le maillage du terrain était assuré, de même que la pénétration en profondeur. En le soulignant, le général Abderrezak Maïza parlait d'expérience concrète. Les GLD et les Patriotes étaient des moudjahid efficaces mais aussi de précieux et nobles auxiliaires de renseignement. L'infiltration et la manipulation des groupes armés islamistes étaient certes indispensables mais certainement insuffisantes. L'appui sur ces forces supplétives était mieux qu'un appoint militaire : leur présence donnait un sens à la théorie maoïste du poisson dans l'eau. L'eau, c'était la population et le poisson, eux-mêmes. Autre facteur d'affaiblissement des performances de l'outil sécuritaire, la mutation ou la mise à la retraite, parfois précocement, de nombreux officiers aguerris de la lutte antiterroriste. Ces hommes de terrain furent remplacés par d'autres techniciens qui ont les qualifications militaires nécessaires mais qui devaient affronter l'épreuve du feu et faire ainsi leurs preuves dans un domaine où ils devaient faire leurs premières armes. Ces officiers n'avaient pas encore la maitrise des techniques d'approche, des situations dynamiques et les réseaux de contacts indispensables, acquis du feu et de l'expérience. Ces mêmes spécialistes, privés du précieux concours des GLD et des Patriotes, s'appuyant désormais sur les seuls gardes-municipaux en uniforme, mettront plus de temps à maitriser le terrain, notamment le renseignement humain. La relation de cause à effet est évidente comme le sont les analyses à ce sujet du général Abderrezak Maïza. Le général Abderrezak Maïza, auquel nul ne peut faire un procès en incompétence ou en manque de ferveur patriotique, a de la constance dans les idées et les analyses. Il avait la même approche de la question du renseignement en octobre 2002 lors de la première conférence internationale sur le terrorisme d'Alger à laquelle a pris part le chef de l'Etat. Au cours de ce cénacle d'experts, le général, alors encore chef d'état-major de la 1ere Région militaire, avait fait une remarquée et remarquable intervention sur «l'Engagement de l'ANP face au terrorisme». Au cours de cette conférence, qui avait enregistré la participation de hauts responsables de la sécurité à la présidence de la République, au DRS et à l'état-major de l'ANP, le général avait souligné cet axiome d'or qui veut que «l'implication de la population avec l'armée et les services de sécurité avait permis de gagner la bataille des viles». Le même engagement, s'il était totalement acquis aujourd'hui, permettrait de gagner celles des campagnes et des montagnes. Mais, comme l'a admis récemment le Premier ministre Ahmed Ouyahya, s'il restait un seul terroriste en activité, il y aurait encore une bataille à mener. Y compris celle du renseignement. Comme le général Abderrezak Maïza, le Premier ministre parle d'or. Simple question de bon sens. N. K.