Le Conseil des ministres annonce, et le constat est heureux, deux bonnes nouvelles. D'abord, la liberté accordée aux Algériens de créer désormais des télévisions et des radios privées. Libres ? C'est une autre histoire. Ensuite, l'exclusion de toutes peines privatives de liberté, prévues à l'origine par un ministre de la Communication qui a poussé le zèle démocratique jusqu'à proposer la double peine pour les journalistes. En empilant les peines et en prévoyant d'envoyer au cachot les journalistes, coupables de certains délits, la mouture ministérielle initiale apparaissait en effet comme un appendice difforme et inutile du Code pénal. En supprimant cette disposition antédiluvienne, le Conseil des ministres a évité à l'Algérie le ridicule consistant à la comparer éventuellement à quelque Birmanie, à quelque Chine autoritariste, ou encore à quelconque Syrie ou à toute autre république liberticide et tragiquement bananière. S'agissant de la liberté de créer des partis, le Conseil des ministres a approuvé un projet de loi qui prévoit notamment des possibilités de recours en cas de refus de l'Administration d'agréer un parti politique. Désormais, le silence radio de l'Administration, qui équivaut jusqu'à présent à refus non motivé d'octroi d'agrément, sera considéré comme un accord en bonne et due forme. Il serait donc mis fin à un déni de droit et à un abus de pouvoir manifeste et systématique d'une Administration méprisante et arrogante qui s'arrogeait même le droit de décider de la légitimité d'un congrès d'un parti. Jusqu'ici, Ubu roi était ministre de l'Intérieur en Algérie ! Là aussi, le Conseil des ministres, c'est à dire le président de la République, évite le ridicule politique en privilégiant le retour au bon sens démocratique. Sauf orientations contraires à la loi et aux valeurs nationales, il est désormais interdit d'interdire, à l'exception d'un retour par quelque lucarne démocratique de l'islamisme radical. En d'autres mots, la nouvelle loi sur les partis interdit la naissance d'un quelconque fils de l'ancien FIS ! Mais, à vrai dire, il s'agit là de la réaffirmation d'un interdit déjà formulé, de manière claire, dans la Charte pour la paix et la réconciliation nationale de 2005. L'islamisme algérien est soluble dans la démocratie, à condition que sa barbe soit bien taillé et son kamis élégant ! Là aussi, c'est une autre histoire. Du point de vue des garanties démocratiques, le communiqué du Conseil des ministres, ne mentionne pas, pas une seule fois, la Justice comme garante du respect de la loi et, par extension, de la vie démocratique. On ressent alors un profond malaise et une sourde inquiétude en constatant que le Conseil des ministres éprouve le besoin de rappeler que l'Administration est «garante du respect de la loi». Un respect de la loi accouplé à celui de l'ordre public. Difficile de comprendre ce rappel qui sonne comme un rappel à l'ordre ancien lorsqu'il s'agissait simplement d'évoquer les conflits susceptibles de surgir entre l'Administration et les partis politiques. Dans les démocraties dignes de ce nom, les conflits relèvent de la Justice combien même ils seraient du ressort d'un tribunal administratif. Ce rappel, peut-être fortuit, espérons-le, traduit quand même une profonde culture politique caractéristique du régime algérien. On parle souvent de pouvoir réel, de pouvoir apparent ou de pouvoir délégué. On fantasme beaucoup sur le pouvoir d'un cabinet noir qui change de composantes mais jamais de couleur. On divague même sur des pouvoirs exorbitants que détiendraient l'armée et le DRS. On oublie toujours que le vrai pouvoir est celui de ce qu'on appelle, par habitude, par pertinence ou par impertinence, le Système, avec un grand S, bien sûr. Ce Système, c'est-à-dire le pouvoir, le vrai, est celui de l'Administration, avec un grand A. ce pouvoir abstrait, mais bien réel, qui constitue le plus grand parti politique du pays, qui a, symboliquement, son propre parti politique, au sens organique du terme. Un gigantesque parti qui, surtout, gère la rente pétrolière et génère des rentes de situation. Ce pouvoir, avec un grand P, est celui d'un véritable Léviathan. Dans la Bible, cette créature indéfinie est un monstre colossal, un dragon, un serpent, un immense crocodile, dont la forme n'est pas précise. Et, chez le philosophe Hobbes, le Léviathan est une métaphore qui désigne l'Etat comme abstraction. En Algérie, l'Etat, c'est l'Administration et l'Administration, c'est l'Etat. Ce Léviathan bien algérien, dont les représentants au niveau intermédiaire et dans les territoires, sont souvent plus puissants que des ministres, mêmes les plus en vue et les mieux en cours, peut empêcher de réformer selon les souhaits démocratiques les plus forts. Sa vocation première, qui garantit sa survie finale, est celle de bloquer. A défaut, de déformer. N.K.