De notre correspondant à Béjaïa Kamel Amghar Peut-on parler d'instruction artistique dans l'école publique algérienne ? On en parle assez souvent, mais sans suite. Dans les programmes actuels, l'art et la culture sont carrément marginalisés. C'est peut-être le plus grand tort des différentes réformes introduites en grande pompe dans le secteur. Aucune initiative sérieuse n'a été entreprise pour initier les élèves, à quelque niveau que ce soit, aux belles lettres, à la musique, au théâtre ou au dessin. Apprendre aux enfants à aimer les belles choses constitue, par ces temps de laideur et de médiocrité, le plus beau présent que l'on puisse leur faire. La petite séance hebdomadaire de l'animation culturelle, faute de moyens et d'encadreurs spécialisés, est assimilée à un moment creux où l'on se repose à ne rien faire. Les cours, prétendument consacrés à cet effet, sont généralement peu suivis à défaut d'éducateurs compétents et d'un contenu réellement motivant. «C'est notre enseignante de français qui s'est proposée de nous initier au théâtre, mais le quatrième art n'intéresse pas tous les élèves. Il se trouve parmi nous des enfants qui sont davantage portés sur la musique ou la peinture», témoigne Sabrina, une collégienne d'El Kseur. Entre parenthèses, notre interlocutrice doit s'estimer heureuse. Puisque dans les écoles rurales du pays profond, on ne trouve absolument rien de tel. Afin de répondre aux prédispositions de tout un chacun, on aurait pu laisser le choix aux concernés pour suivre la discipline qui leur convient le mieux. En créant deux ou trois ateliers différents, l'écolier pourrait opter pour la photo, le dessin ou le club de lecture. Les élèves, qui se plaignent partout de l'énorme charge de travail quotidienne, ont grandement besoin de ce type d'espaces pour s'exprimer, évacuer le stress et la lassitude. Cela participe aussi à l'instruction et à la formation de l'élève pour le prémunir contre les aléas futurs de la vie. Pour former un bon citoyen, on doit lui apprendre à s'exprimer correctement et à bien écouter les autres. La culture constitue à cet égard le meilleur moyen d'y parvenir. Beaucoup d'enfants quittent les bancs de l'école à un âge précoce en raison de ce stress écrasant, de cette solitude, qu'ils n'arrivent plus à gérer ou à extérioriser. L'échec scolaire est souvent imputable à ce surmenage. Les psychopédagogues et les conseillers pédagogiques ne cessent de souligner ce manque d'activités récréatives et ludiques. Ils suggèrent aux élèves souffrants «de faire du sport ou de s'inscrire à un club culturel afin de transformer toute cette énergie négative». Les parents, souvent de condition modeste, ne peuvent offrir un tel luxe à leurs enfants. En dehors de l'école publique, on ne trouve quasiment aucun palliatif à l'instruction culturelle et artistique. Inutile de souligner à ce propos l'absence des institutions et des établissements culturels dans ce registre.Pour prendre l'exemple de la wilaya de Béjaïa, des dizaines de centres culturels restent quasiment fermés à longueur d'année. Dans toutes les communes, ces bâtiments prétendument culturels ne servent pratiquement à rien si ce n'est pour abriter des campagnes électorales et des activités assimilées. Faute de personnels qualifiés et de matériel nécessaire, ces institutions sont complètement paralysées. Doté en moyens et confié à des animateurs compétents, un tel patrimoine aurait bénéficié aux élèves et à la jeunesse de manière générale. Au chef-lieu de wilaya, seul le Théâtre régional de Béjaïa (TRB) programme des animations aux enfants durant les vacances scolaires. L'initiative est louable du moment qu'elle permet aux écoliers de se récréer et se détendre après un trimestre de labeur sans relâche. Mais l'entreprise du théâtre régional n'ambitionne pas d'initier les enfants. C'est tout juste une bouffée d'oxygène. Aspirés par les difficultés de la vie courante, les parents sont, eux aussi, visiblement dépassés pour se charger de la bonne instruction des enfants. En somme, les enfants n'ont que la télévision pour se distraire et s'instruire. Le football, les sports extrêmes et le cinéma d'action figurent parmi leurs programmes préférés. Un conditionnement qui a une incidence dangereuse sur la psychologie de l'enfant. Ainsi exposés aux dangers véhiculés par les médias lourds, nos enfants sont de plus en plus portés sur la violence et le tabagisme. Psychologues et sociologues sont formels : il y a péril en la demeure. Avec ce niveau négatif de la culture, les générations futures vont droit au mur. L'école publique doit absolument inclure l'instruction culturelle comme une mission prioritaire. Il s'agit d'une urgence.