Photo : Riad De notre envoyé spécial à Doha Abdelkrim Ghezali En ce premier Novembre, l'Algérie célèbre un évènement passé, celui de la révolution de libération nationale, Qatar se projette dans l'avenir et célèbre un rêve, celui de voir tous les enfants du monde scolarisés. L'objectif majeur de la révolution algérienne est atteint. Mais la guerre de développement économique et social n'est toujours pas gagnée. Pourtant, 97% des enfants de six ans sont scolarisés et la scolarisation des filles en Algérie représente le taux le plus élevé dans le monde arabe. A Doha, lors du sommet mondial de l'innovation en éducation, la question fondamentale est la qualité de l'enseignement, les méthodologies et l'accès aux technologies nouvelles. Il s'agit là d'un pari et d'un défi difficile à relever, tant des problèmes élémentaires de survie empêchent des millions d'enfants à travers le monde de rêver de l'école. A Doha, les intervenants ont appelé à sortir de l'école du vingtième siècle qui ne répond plus aux besoins actuels. C'est un prêche dans le désert. A moins que cet appel ne s'adresse aux pays riche, ceux qui ont les moyens de révolutionner les systèmes éducatifs classiques, de casser les murs des écoles ghettos et de globaliser l'enseignement pour le mettre au diapason d'une économie mondiale sans frontière, ni passeport. Ils étaient près de 1300 chercheurs spécialistes de l'éducation et décideurs politiques, venus des cinq continents pour débattre des enjeux de l'éducation comme facteur de développement humain, de nouvelles méthodes d'enseignement pouvant améliorer la qualité de l'école et de stratégies politiques capables de réconcilier massification et qualité de l'enseignement. Des expériences nationales et régionales ont été présentées. Ou il s'agit de système éducatif performant visant à valoriser le génie naturel des enfants, comme c'est le cas en Corée du sud, ou il s'agit de volontarisme de certains bons samaritains qui s'investissent dans l'alphabétisation et la scolarisation d'enfants démunis comme c'est le cas du lauréat du premier prix Wise pour l'éducation, le Bengalais Fazle Hasan Abed.Fazle Hasan Abed, fondateur de BRAC, s'est vu décerner le premier Prix majeur au plan mondial dédié à l'éducation. «Je suis guidé par l'idéal d'un monde libre de toute forme d'exploitation et de discrimination. L'éducation est la réponse à cette quête», a déclaré Fazle Hasan Abed. Cette distinction est un signe de reconnaissance d'une carrière de plus de 40 années consacrées à la réduction de la pauvreté par l'éducation. Une médaille d'or, spécialement créée pour ce prix et arborant le mot «Education» traduit dans plus de 50 langues, a été remise au lauréat, à Doha, le 1er novembre 2011, par Hamad bin Khalifa Al-Thani, Emir du Qatar, en présence des 1 300 participants à la session inaugurale du troisième Sommet Mondial pour l'Innovation dans l'Education (WISE). Abed a créé BRAC, précédemment connu sous le nom de Bangladesh rural advancement committee (BRAC -Comité pour le développement rural du Bangladesh), en 1972, pour répondre à la crise humanitaire qui a suivi la lutte pour l'indépendance du Bangladesh. Tout au long des quatre décennies suivantes, il a construit l'organisation non gouvernementale la plus importante au monde par sa taille et ses moyens (avec 120 000 travailleurs), avec pour principe de donner au peuple les moyens de développer les individus, de leur permettre d'assurer le bien-être de leur famille et de contribuer à leurs communautés. Plus de 140 millions de personnes, originaires de 10 pays d'Asie, d'Afrique et d'Amérique centrale, ont ainsi pu bénéficier des activités d'enseignement et d'apprentissage de BRAC. Dans le cadre des actions d'Abel, ils ont pu acquérir les outils leur permettant de développer leurs micros entreprises, de devenir des professionnels de la santé ou encore d'enseigner à des générations d'élèves. Pour atteindre cet objectif, Abel a créé et fait vivre des réseaux internationaux d'individus, d'organisations et d'institutions gouvernementales partageant les mêmes objectifs. Une expérience unique en son genre BRAC est également l'une des plus importantes organisations non gouvernementales dispensant directement de l'éducation dans le monde, Elle a directement contribué à l'éducation préélémentaire, élémentaire ou secondaire de plus de 10 millions d'élèves. Elle s'attache en priorité à permettre à des enfants et à des jeunes gens qui ne sont pas pris en charge par les systèmes éducatifs traditionnels d'accéder à l'éducation. Dans son discours au lauréat, Dr Sheikh Abdulla bin Ali Al-Thani, Président de WISE, a déclaré : «La vie et la carrière de Fazle Hasan Abed incarnent les valeurs de WISE. Pour lui, l'éducation est un passeport pour l'intégration sociale et le développement des opportunités. Il a découvert une formule à succès, l'a adaptée et l'a développée, d'abord au Bangladesh puis dans d'autres pays. Avec pour conséquence directe la possibilité pour des millions de personnes à travers le monde d'accéder à une vie plus heureuse, plus productive et en meilleure santé. Sa vision, son ingéniosité et sa détermination sont les ingrédients essentiels d'un processus d'innovation. Il constitue un exemple pour nous tous qui sommes convaincus que l'éducation, plus que toute autre chose, détermine le destin des individus et des sociétés. Le Jury a vu en lui le lauréat idéal pour le Prix WISE de l'Education.» Dans son discours d'acceptation du prix, Fazle Hasan Abed a déclaré : «Je voudrais remercier la Qatar Foundation d'avoir institué ce magnifique prix et de m'honorer, ainsi que BRAC, en me choisissant comme premier lauréat. Au cours de mes quarante années d'engagement au sein de BRAC, j'ai pu constater, à maintes occasions, à quel point l'éducation est le catalyseur du changement.» La création du Prix WISE pour l'Education avait été annoncée lors de la cérémonie de clôture du précédent sommet WISE, en décembre 2010. La mission de cette récompense majeure est de reconnaître la contribution exceptionnelle et d'ampleur mondiale d'un individu ou d'un groupe d'individus à l'éducation. Outre la médaille d'or, le lauréat du prix reçoit une récompense de 500 000 dollars américains. A l'issue d'un appel international à candidatures, un comité international réunissant onze experts de premier plan dans le domaine de l'éducation, a procédé à une première évaluation des candidatures. Sur cette base, un jury, composé de cinq personnalités éminentes et présidé par Dr. Abdulla bin Ali Al-Thani, a choisi le lauréat. Né en 1936, Sir Fazle Hasan Abed mène ses études secondaires à Dakha, puis poursuit ses études à l'Université de Glasgow. Il suit une formation de comptable à Londres et revient dans sa patrie pour prendre la responsabilité de la direction financière locale de Shell. Il revient au Royaume-Uni pendant la guerre d'indépendance du Bangladesh en 1971, où il s'engage pour défendre la cause de son pays auprès des décideurs et y recueillir des fonds. De retour après le conflit avec le Pakistan, il découvre un pays à peine créé mais en ruines. En utilisant ses propres économies, il crée le Bangladesh rural advancement committee (BRAC - Comité pour le développement rural du Bangladesh), et lance le projet de toute une vie destinée à améliorer la vie des populations rurales pauvres grâce à l'éducation. Les limites d'un rêve L'appel de l'ancien Premier ministre britannique, Gordon Brown, est un vœu pieux dans la mesure où l'ordre économique et politique mondial est basé sur le profit et la compétition féroce et non sur le philanthropisme et le mécénat. La démocratisation de l'éducation et la socialisation des technologies nouvelles et du savoir sont des défis vitaux pour les pays du Sud condamnés à gagner la bataille du développement humain à travers notamment la mise en place en urgence de systèmes éducatifs performants innovés et innovants. Certes, la majorité des pays du Sud sont pauvres et ne peuvent répondre à ce besoin stratégique. Mais la solidarité entre pays du Sud et la coopération en matière d'éducation et de formation peuvent permettre aux pays pauvres de se doter de moyens pour y parvenir. A ce propos, l'Algérie dispose de moyens financiers et humains pouvant lui permettre de libérer l'école des pesanteurs et des inerties qui l'empêchent de former l'élite de demain. L'état actuel de l'école algérienne ne permet pas une sérieuse transmission du savoir aux apprenants et à tous les niveaux du cursus scolaire. Avec une moyenne nationale de quarante élèves par salle de cours dans les trois cycles primaire, moyen et secondaire, la qualité de l'enseignement reste en-deçà des efforts consentis. Au-delà de cette problématique liée aux manques d'infrastructures et aux personnels enseignants, le contenu des programmes, sa surcharge et sa répartition ne répondent pas aux besoins du pays et ne prennent pas en compte l'élément humain qu'est l'élève du vingt-et-unième siècle. L'école d'aujourd'hui est un vrai couvent pour la cyber-génération dont le génie est castré par un système archaïque et désuet. C'est à ce titre qu'il est urgent de repenser l'école en fonction des besoins des enfants et d'adapter les méthodes d'enseignement en fonction des dispositions d'assimilation des élèves. Les pédagogues, notamment ceux qui élaborent la politique de l'éducation nationale, doivent répondre à deux questions : quelle école veut-on ? Et quel est le rôle de l'école ? L'école moraliste a fait ses preuves et a atteint ses limites. Si les réformes politiques en cours n'intègrent pas l'école, elles seraient formelles et sans effet sur le long terme. Car, si les réformes visent l'avènement du citoyen et l'Etat citoyen, c'est à l'école que ce citoyen se forme et prend conscience de soi en tant qu'individu et en tant qu'élément d'une communauté nationale, de son rôle futur pour le bien-être commun. Le pseudo citoyen d'aujourd'hui est le produit d'une famille qui n'a aucune prise sur l'enfant, d'une école répulsive et d'une rue qui le happe, le modèle assez tôt et d'une société disloquée et schizophrène.