La Ligue arabe a fini par lâcher le régime de Damas après des semaines de tergiversations et des négociations qui ont permis à Bachar Al-Assad de gagner du temps mais surtout d'allonger la liste des victimes civiles dont on estime le nombre à plus de 3500 morts, en huit mois de contestation. L'organisation panarabe avait proposé un plan de sortie de crise auquel le président syrien n'a pas voulu adhérer en dépit du temps de réflexion qui lui a été donné. Pis, il a continué sur la voie de la répression des manifestants anti-régime, notamment à Homs, le fief de l'opposition où l'on a enregistré le plus de morts suite à l'intervention sanglante de l'armée. Estimant son règne inébranlable, grâce à la police politique qui s'est toujours employée à faire taire la moindre voix discordante, le régime dynastique d'Al-Assad a aussi cru au soutien inconditionnel de l'organisation panarabe qui faisait office de parapluie contre toute ingérence étrangère dans la crise interne syrienne. La férocité de la répression du mouvement de contestation populaire, né dans le sillage des révoltes arabes depuis le début de l'année 2011, a réussi à changer la donne. La position de nombreux pays, considérés comme les fidèles alliés de la Syrie, a basculé dans le camp d'une opposition, déterminée à rendre justice à toutes les victimes de la dictature familiale des Al-Assad depuis plus de quarante ans de règne. Les Etats membres de la Ligue arabe, à leur tête l'Arabie Saoudite et le Qatar pour ne citer que ceux-là, étaient auparavant favorables à un dialogue inter-syrien qu'ils étaient prêts à soutenir pour préserver l'unité de ce pays. Tirant l'exemple de ce qui s'est passé en Irak (un pays toujours instable), après l'intervention américaine à Baghdad en 2003, et aussi de ce qui s'était passé en Libye avec l'entrée en guerre de l'Otan contre le régime de Kadhafi, les Etats arabes sont restés quasiment passifs devant les massacres perpétrés quotidiennement par les services de sécurité fidèles au régime de Damas. En l'absence d'une réelle volonté politique de la part d'Al-Assad qui jouait au jeu du bâton et de la carotte avec l'opposition, il était, en fait, temps que des décisions fermes soient prises à son encontre. Sans compter aussi la montée de la pression occidentale sur les régimes arabes qui, manquant de légitimité comme celui de Damas, ont préféré lâcher Al-Assad pour assurer leur survie. Mais la décision de l'organisation panarabe de suspendre la participation de la Syrie à ses réunions, ses menaces de prendre de nouvelles sanctions contre Damas marquent une nouvelle étape dans la crise syrienne. En dehors du fait que la Ligue arabe lève toute couverture politique à Al-Assad, il s'agit d'un soutien moral direct à l'opposition qui a commencé à mieux s'organiser, même si elle demeure encore divisée au sujet d'une éventuelle intervention militaire étrangère en Syrie. D'ailleurs, la Ligue a insinué qu'elle compte aussi reconnaître le Conseil national syrien (CNS) qui regroupe de nombreuses tendances politiques de l'opposition, aussi bien à l'Intérieur qu'à l'extérieur de la Syrie. La ligue est allée encore plus loin en prévoyant la mise en place d'un moyen de protéger les civils contre les exactions quasi-systématiques du régime d'Al-Assad, accusé récemment par Human Rights Watch (HRW) de « crimes contre l'humanité». Le revirement marqué par la Ligue Arabe, aujourd'hui phagocytée par le duo Qatar-Arabie Saoudite dont on connaît les liens forts avec Washington, a fait évoluer la position de nombreux pays occidentaux, à leur tête la France. Paris avait tenté de se placer dès le début de la crise syrienne comme elle avait réussi à mener le bal dans la guerre de l'Otan contre le régime déchu de Mouammar Kadhafi en Libye. Son ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, est monté au créneau en réclamant de nouvelles sanctions de l'Onu contre la Syrie : «Aujourd'hui, le moment est venu de voir comment nous pouvons protéger davantage les populations. J'espère que le Conseil de sécurité aussi finira par prendre position», a-t-il déclaré à la presse à Bruxelles, en marge d'une réunion tenue hier. Il est nécessaire de relever que, du jour au lendemain, la Ligue arabe est devenue un partenaire de taille et une organisation «très écoutée» par les chancelleries étrangères. Incapable de peser lourdement dans le règlement du drame palestinien face à l'occupant israélien, cette organisation offre aujourd'hui aux partisans d'une intervention militaire étrangère en Syrie, une occasion pour exécuter cette option avec le risque d'assister à l'éclatement de ce pays multiethnique et multi-religieux. L'occident, mené par le trio Paris-Washington-Londres a-t-il besoin d'un meilleur argument pour justifier cette ingérence étrangère dans le conflit interne syrien, en l'absence d'une réelle perspective politique pour résoudre la crise syrienne dans la paix. Mais face à un tyran comme Bachar Al-Assad, prêt à exterminer une partie de son peuple pour demeurer au pouvoir, y-a-t-il d'autres voies pour en finir avec ce bilan de vingt civils tués quotidiennement en moyenne ? L. M.