Photo : M. Hacène Par Karima Mokrani Cette année encore, la rentrée universitaire a été retardée de plusieurs jours. Disons de plusieurs mois. C'est pire que l'année dernière. Le premier trimestre tire à sa fin, et les cours n'ont pas commencé dans plusieurs établissements universitaires à travers le pays. Indignés, des étudiants pensent à quitter leurs facultés, abandonner les études universitaires, convaincus qu'il n'y a rien à tirer d'un enseignement qui ne les motive pas, ne les passionne pas. Si ce n'était pour le diplôme qu'ils fréquentent encore l'université ! Ce papier qui perd de sa valeur chaque année davantage mais qui reste indispensable pour accéder à un poste d'emploi parfois quelconque. Mal logés, mal nourris… A Batna, Khenchela, Constantine, Boumerdès, Tizi-Ouzou, Alger… et autres villes du pays, les étudiants protestent. Ils crient haut et fort leur désarroi. Leur grande indignation devant la dégradation des conditions de prise en charge en matière d'hébergement, de restauration mais aussi de pédagogie. Pas plus tard que lundi dernier, des étudiants d'une cité universitaire de Bab Ezzouar à Alger se sont bagarrés entre eux après un différend né du mauvais accueil au niveau du restaurant universitaire. La petite dispute entre les étudiants de la même résidence a vite dégénéré et n'était l'intervention musclée des agents de sécurité, soutenus sans doute par des éléments extérieurs, l'événement aurait pris une autre tournure. Sur les pages du réseau social Facebook, des étudiants de la cité Bouraoui à El Harrach, toujours à Alger, montrent des images des plus désolantes de leur cité pourtant remise à neuf, il n'y a pas encore un mois. C'est dire la tricherie et l'arnaque qui accompagne ces opérations de réfection et de rénovation, faites à la dernière minute, sur ordre des services du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. A Khenchela, des étudiantes contestent la surcharge dans leur cité universitaire et réclament l'ouverture d'une autre, dans la même ville, construite récemment. Chose que refuse de faire l'administration sous prétexte que l'établissement n'est pas encore raccordé au réseau d'électricité. A Constantine, ce sont des jeunes filles d'une classe préparatoire, considérées donc comme faisant partie de l'élite universitaire, qui sont sorties dans la rue exprimer leur colère devant le fait que leur lieu de résidence soit distant de plusieurs kilomètres de leur école. Les jeunes étudiantes insistent sur leur demande de les rapprocher de leur école, en vain. Aux problèmes d'hébergement, de restauration et de transport universitaire, s'ajoute l'insécurité. Il y a près d'un mois, une étudiante de la cité universitaire d'Ouled Fayet (Alger) a été violentée par un individu, apparemment un déséquilibré mental, qui est entré dans l'établissement par effraction. La fille a été sauvée de justesse des mains du malfaiteur grâce à l'intervention (quelque peu tardive) des agents, mais cet incident a semé la panique dans toute la cité. Note de rachat…la dégringolade Les étudiantes ont manifesté leur colère par des rassemblements et ont interpellé les responsables de la cité, de même que ceux du ministère, pour prendre les dispositions nécessaires à même d'assurer un maximum de sécurité dans les lieux. L'année dernière, une étudiante se rendant à une salle d'examen a été agressée à l'arme blanche dans l'enceinte même de l'université de Bouzaréah, toujours dans la wilaya d'Alger. Le malheureux événement a donné suite à un large mouvement de protestation et à une grève qui a duré plusieurs mois.Les conséquences de cette grève, suivies d'autres dans les autres établissements d'Alger et autres wilayas du pays, surtout après le déclenchement du mouvement contestataire des étudiants des grandes écoles, sont clairement visibles aujourd'hui. Notes d'examens des plus catastrophiques et grande colère chez les étudiants qui refusent d'accepter l'amère réalité. Selon ces derniers, si les résultats sont aussi bas (plus des deux tiers des étudiants n'ont même pas la moyenne de rachat), c'est parce qu'ils étaient sérieusement déstabilisées l'année dernière. «Nous n'avons pas étudié. Nous avons bâclé les cours à la dernière minute… », arguent-ils. C'est particulièrement au niveau de la faculté des sciences économiques, sciences commerciales et de gestion de Dely Brahim (Université d'Alger 3), ainsi qu'au Département d'anglais à Bouzaréah que la situation est critique. Les recalés aux examens de fin d'année ne se comptent pas par dizaines mais par centaines. «Plus de 90% des étudiants de notre promotion n'ont pas eu la moyenne requise». Conséquence, ils doivent refaire l'année, ce qui n'est pas évident puisque un grand nombre d'entre eux l'a déjà refaite une fois. L'autre conséquence de ce fait accompli, c'est le grand déficit en places pédagogiques. «On ne peut pas accueillir les nouveaux étudiants, si ces places sont déjà occupées par les anciens», explique un représentant de l'administration du rectorat de l'université d'Alger 2 (Bouzaréah).Les étudiants trouvent là la bonne occasion de lancer une revendication des plus inattendues et des plus insultantes pour le corps enseignant : baisser le rachat à 8/20 dans la faculté de Dély Brahim et 9/20 à Bouzaréah. Scandaleux ! Diront les observateurs qui auront du mal à imaginer les responsables des deux facultés répondre favorablement à la demande des étudiants. La raison est claire: cela contraste complètement avec les objectifs des réformes de l'enseignement supérieur qui misent sur la qualité et le rendement. Contrairement aux attentes, les deux responsables des deux facultés ont cédé à la «pression» et ont donné leur accord pour baisser la note en question. Les étudiants obtiennent gain de cause… mais pas pour longtemps. Accusant l'administration de s'ingérer dans leurs décisions, des enseignants des deux facultés décident de riposter. Ils défient et l'administration et les étudiants et opposent un niet catégorique à la demande de baisser la note du rachat. C'est le bras de fer entre les étudiants et les enseignants. C'est aussi le conflit entre les enseignants et l'administration. Jusqu'à présent, la faculté des Sciences économiques, sciences commerciales et de gestion est fermée... par les étudiants eux-mêmes. Pas de cours, alors que les vacances d'hiver s'approchent. A Bouzaréah, ce sont les classes des cours d'anglais qui sont interdites d'accès aux étudiants et à leurs enseignants. Le mal est profond Le problème est très sérieux et ne mérite pas d'être pris à la légère par les responsables du secteur. Malheureusement, les représentants du département de Rachid Harraoubia tardent à intervenir pour trouver un terrain d'entente et éviter l'embrasement. Une chose est sûre, les étudiants sont indignés. Ils ont raison ou pas, leurs doléances doivent être prises en considération, car le problème va au-delà des notes. C'est toute l'université qui est malade. Malade de ses contradictions et des tergiversations de ses responsables.