Photo : Riad Par Fodhil Belloul L'Algérie célèbre le cinquantenaire de la mort d'une des plus grandes figures de la lutte des peuples pour leur indépendance. Le 6 décembre 1961, Frantz Fanon décédait à l'hôpital Bethesda aux Etats-Unis, à l'âge de trente-six suite à une Leucémie. Aujourd'hui encore, ses œuvres résonnent avec force et pertinence sur notre monde, et trouvent un large écho dans les luttes actuelles des peuples en quête d'émancipation. C'est dans cet esprit de commémoration et réactualisation de la pensée de Frantz Fanon que le ministère de la Culture organisait, hier à la Bibliothèque nationale (BN) d'El Hamma, la première des deux journées d'études consacrées à la vie et l'œuvre du psychiatre. Dans la salle rouge de la Bibliothèque Nationale, Slimane Hachi, directeur du Cnrpah, aux côtés de Mihoub Mihoubi, directeur de la BN, et du Pr Mustapha Hadab de l'Université d'Alger, ont ouvert officiellement les journées en présence de Mme Khalida Toumi, ministre de la Culture. M. Mihoubi n'a, d'ailleurs pas, manqué de rappeler que cette célébration était un préambule à la commémoration prochaine du cinquantenaire de l'indépendance algérienne.Place ensuite aux séances avec une série de témoignages et d'hommages rendus à l'homme Fanon pour reprendre l'expression de son fils Olivier, présent pour une première évocation. Ce dernier a rappelé la nécessité d'«honorer la mémoire d'un homme qui a marqué avec des lettres de feu son message révolutionnaire» encore d'actualité, estimant qu'«il y a toujours des colonies aujourd'hui, tout comme certains esprits rétrogrades que la pensée de Fanon dérange et interpelle», allusion faite à la Martinique natale de son père qui célèbre elle aussi l'anniversaire de sa disparition. La France célébrant, quant à elle, la mémoire de Fanon dans le «fourre-tout de l'année des Outre-Mer». «Pourquoi ne pas l'exposer (Fanon) au musée des colonies comme une prise de guerre ?», dira-t-il à l'adresse de ceux tentés par «une récupération, sorte de catharsis personnelle visant à enfermer Frantz Fanon dans un carcan contemplatif». Olivier Fanon a ensuite évoqué le parcours de son père, sa prise de conscience précoce de «l'entreprise de lobotomisation» qu'était la colonisation, de sa confrontation au racisme dès ses études universitaires à Lyon, sa tentative échouée de s'installer au Sénégal, et que Léopold Sédar Senghor ne voyait pas d'un très bon œil, sans doute à cause de leur divergence quant au concept de négritude. C'est en 1953 qu'il rejoindra l'hôpital psychiatrique de Blida où il épousera une année plus tard la cause algérienne, allant même jusqu'à falsifier des certificats médicaux pour soigner les moudjahidine, jusqu'à son expulsion en 1956 par les autorités coloniales. Concernant l'héritage de Frantz Fanon, sa transmission et plus largement de la présence de l'esprit révolutionnaire de son père, Olivier Fanon avouera que «nous avons fait des erreurs depuis cinquante ans, mais ce sont les nôtres et nous les assumons». Parlant d'actualité, Olivier Fanon épinglera «certains hauts responsables français» dont le discours aux relents racistes actualise plus que jamais la pensée de l'auteur des Damnés de la Terre. Le second à prendre la parole fut le Pr Pierre Chaulet, autre grande figure de la lutte pour l'Indépendance algérienne. Pierre Chaulet voit, dans les crises qui secouent le monde aujourd'hui, une occasion de «rendre toute sa vigueur aux appels de Fanon». Il a ensuite évoqué, à son tour, le travail du psychiatre, la «jonction» entre son travail médical et la Révolution algérienne. Fanon en 1954 n'est plus cet «indigné individuel» mais «un participant à part entière, au bouleversement radical de la société algérienne contre l'apartheid», soulignant par ailleurs que Fanon «n'as pas donné de recette» mais que sa pensée persiste aujourd'hui dans un contexte d'oppression «y compris par des agressions militaires par des puissances qui usent à leur guise des damnés de la terre d'aujourd'hui». Ce fut ensuite au tour de Lamine Benchichi de témoigner. C'est en qualité d'ancien secrétaire de la rédaction de la version arabophone d'El Moudjahid que Lamine Benchichi a évoqué la période féconde du journal à Tunis, les membres de la rédaction, à l'instar de Réda Malek, Mohammed Boumendjel. Des journalistes que Fanon ne manquait pas de «psychanalyser», dira-t-il, avec une pointe d'humour. Enfin, Youcef Chabane a, dans sa communication, évoquée l'influence de la pensée de Fanon dans son pays, l'Egypte, une pensée plus que jamais actuelle au vu des évènements. «Nous avons remplacé le terme de colonisés par celui d'opprimés, mais sa pensée nous sert encore aujourd'hui», conclura-t-il. Les journées se poursuivent aujourd'hui à la BN sous le thème Dimension socioculturelle et actualités de la pensée de Fanon.