On nous le dit depuis quelques semaines. Merzak Allouache vient en Algérie en 2009 pour faire un film dans une capitale qui a revêtu pompeusement, et d'une manière ostentatoire, les habits du panafricanisme, le tournage n'avance pas, la panne se profile, il décide alors de dévier de son projet initial, revient deux ans plus tard, en janvier 2011, Alger est sur une poudrière, sur une poile à frire ou une sucrière, c'est selon. Cela a donné un film ? Normal, projeté mardi soir dernier à la filmathèque Mohammed Zinet.Voilà pour la genèse du film. Sur l'écran, c'est la même histoire qui nous ai montrée, ou presque. Un jeune cinéaste tente de faire un film sur la censure, l'histoire d'un metteur en scène censuré par le ministère de la Culture, et de la manière la plus efficace, c'est-à-dire pécuniaire. Insatisfait de son travail, en proie au doute, il convoque ses acteurs pour leur montrer son «work in progress», dans le but inavoué de les faire particper aux émeutes, de donner un sens à son engagement en faisant aboutir son projet ailleurs. Nous passons donc 110 minutes à regarder un film sur un film qui ne se fait pas, ou qui a du mal à se faire. Nous écoutons pendant tout ce temps ces jeunes algériens, que font-ils ? Ils débattent, ou palabrent, c'est toujours selon. Continuer à faire ce film ou manifester dans la rue, s'engager par l'action physique ou artistique. La rhétorique dont usent les protagonistes est franchement peu convaincante, elle est plate, elle tourne à vide. Dire alors, comme on a pu le lire ici et là, que Normal est un film raté, inabouti et sans profondeur ? Mais que disent ces jeunes gens ? Et surtout qu'essaye de nous dire Merzak Allouache ? A y regarder de plus près, c'est-à-dire en tentant de dépasser la polémique autour de ce film, et surtout la polémique médiatique résultant d'un débat raté entre un réalisateur et des journalistes, nous trouverons peut être ceci : Merzak Allouache est un amoureux dépité, c'est un artiste en colère qui fait ce film, et sa colère prend des allures d'autodestruction. Normal est un film raté seulement et seulement si la société dont il veut parler n'a pas raté quelque chose. L'image et le propos du réalisateur de Omar Gatlatou, renvoient d'une manière qui ne manque hélas pas de justesse, à nos propres ratages, à une «panne généralisée» que tout le monde, y compris les confrères, dénoncent, avec force et lamentation, tout les jours dans les colonnes des journaux. Si Normal est un film raté, c'est que Merzak Allouache, et son avatar dans le film, ne savent plus comment «trouver le rythme de la ville». C'est le regard d'une génération qui ne se reconnaît plus dans son pays. L'effort qu'il fait vers la jeunesse, (puisque ce ne sont que des jeunes acteurs) est un effort qui accompagne une crise profonde de la création chez l'artiste. Normal est un film symptomatique, donc révélateur. En ce sens, c'est un film qui compte pour l'histoire du cinéma algérien. Chaque plan approximatif, chaque rire étouffé des acteurs pendant des moments censés être tragiques, chaque image sale et inesthétique de la ville d'Alger, témoignent d'une réalité que nous partageons, mais qu'il est sans doute difficile, voire insupportable, de regarder en face. Nous voilà donc en 2012, avec un Merzak Allouache plus punk qu'un émeutier, plus destructeur qu'un jeune débutant, aussi injuste qu'un amoureux trahi. Oui, Allouache est tombé, mais en trébuchant, il produit un film dérangeant. En somme, comme le dit l'expression populaire, Normal est un film qui nous dit «echah», c'est-à-dire bien fait nous. F. B.