Les relations Est-Ouest ont changé complètement de nature depuis la désintégration de l'Union soviétique. Aujourd'hui, un dilemme pour les Etats-Unis, seule superpuissance mondiale dans le monde, ils doivent faire face à une nouvelle dynamique de l'équilibre mondial. Comment gérer les conflits qu'ils ont eux-mêmes générés ? Quelle issue au conflit afghan ? Si l'Irak semble en voie de résolution, le problème iranien garde toute son actualité. Les Etats-Unis s'emmêlent dans leurs contradictions ou, au contraire, poursuivent une stratégie cohérente dans leur politique extérieure ? Quel diagnostic peut-on donner sur l'évolution des conflits au Proche et au Moyen-Orient dans les deux ou trois années à venir ? Faiblesse des pays arabes et hégémonie américaine La première guerre israélo-arabe en 1948 après la proclamation de la création de l'Etat d'Israël, ensuite l'expédition commune de l'Angleterre, la France et Israël contre l'Egypte, suite à la nationalisation par Nasser du canal de Suez et enfin la guerre des « Six jours », en 1967, consacre le mythe de l'invincibilité d'Israël. L'armée israélienne anéantit en «deux heures» toutes les aviations arabes. Du côté égyptien, on dénombre, selon les journaux de l'époque, 400 avions cloués au sol. Il est évident que si Israël a gagné la guerre et a quadruplé sa superficie aux dépens de l'Egypte, de la Jordanie et de la Syrie, cela n'a été possible que grâce au soutien des Etats-Unis. En tant que poste stratégique avancé, les Etats-Unis ne pouvaient accepter une défaite israélienne qui aurait compromis leur mainmise sur le pétrole de la région proche et moyen-orientale. L'impréparation militaire des pays arabes dans les formes de guerre conventionnelle a joué, les indépendances de la plupart des pays arabes n'ont été obtenues que par voie de lutte insurrectionnelle, c'est-à-dire par la guérilla. Cela étant, les gains territoriaux pour Israël ont été considérables en 1967 : au sud, Ghaza et le Sinaï (et ses gisements pétrolifères) jusqu'au canal de Suez, en Syrie, une grande partie du Golan, la Cisjordanie et la partie arabe de Jérusalem. Le 22 novembre 1967, l'ONU exige la libération des territoires occupés par Israël en échange de la reconnaissance de la souveraineté de tous les Etats de la région (résolution 242). Cette résolution reste lettre morte, l'humiliante défaite des armées arabes en juin 1967 ne pouvait que rendre la guérilla palestinienne, l'unique alternative face à Israël. C'est ainsi que la résistance palestinienne armée commencera à prendra en main son propre destin. En 1973, l'Egypte va renverser la situation. Le 6 octobre 1973, l'armée égyptienne traverse en quelques heures le canal de Suez et défonce la ligne Bar-lev israélienne, une ligne «Maginot» jugée infranchissable. La Syrie enfonce tout le dispositif israélien sur le Golan et s'apprête à déferler sur la Galilée. La suite de la guerre est connue. Si l'Union soviétique a soutenu le monde arabe dans un contexte de guerre froide, il n'en est pas de même pour les Etats-Unis qui sont partie prenante du conflit. Son emprise sur les gisements pétroliers de cette région centrale du monde constitue des objectifs hautement stratégiques et ne peut souffrir d'intrusion de pays tiers. Le soutien des Etats-Unis est indéfectible et inconditionnel à Israël, contrairement au soutien soviétique qui est plus conjoncturel au monde arabe. Pour résoudre ce énième conflit israélo-arabe, les Etats-Unis eurent recours à une politique subtile qui constitue à la fois la garantie de la puissance israélienne dans la région et, dans le même temps, faire miroiter aux Arabes une solution à ce conflit sous réserve d'une reconnaissance d'Israël. Les Etats-Unis étaient conscients que la situation a évolué, le potentiel militaire des pays arabes, comme en témoigne la quatrième guerre israélo-arabe, s'est fortement développé. Ils essuyaient déjà un revers en Indochine. Le retrait américain du théâtre vietnamien au début de l'année 1973, et l'effet domino qui a suivi, libérant progressivement l'Asie de l'influence américaine, eut un retentissement profond dans le domaine de sa politique étrangère. Le changement de stature de la superpuissance, suite aux échecs répétés en Asie et au Proche-Orient, ne pouvait qu'amener les Etats-Unis à adopter une voie nouvelle à sa politique proche-orientale. En amenant l'Egypte à négocier la paix avec Israël, les Américains briseraient l'unité des pays arabes. Privés de leadership, ces derniers ne pouvaient que se plier à l'hégémonie israélo-américaine. Et c'est ce qui fut, au grand dam des pays arabes. L'Egypte, grâce aux accords de Camp David, récupéra le Sinaï en 1982 et reçut une aide financière substantielle américaine versée annuellement pour prix de son renoncement à la cause palestinienne. Cette défection de l'Egypte, adversaire le plus retors, porta non seulement un coup au rapport des forces mais mit à mal l'idéologie nationaliste arabe post-indépendance. Le reflux du nationalisme arabe amena les Palestiniens à mobiliser encore plus leurs capacités de combat. Dès 1975, des luttes fratricides éclataient un peu partout, la guerre civile ensanglantait le Liban, le conflit du Sahara occidental opposait le Maroc à l'Algérie, l'avènement de la république islamiste en Iran en 1979 suivi de la guerre avec l'Irak et enfin l'invasion de l'Afghanistan par l'URSS. Donc, autant d'événements qui font dénaturer le conflit israélo-palestinien, le transformant en simple conflit territorial avec Israël. Les échecs, les intérêts étroitement étatiques, l'absence de consensus entre les pétromonarchies, alliées des Américains, et les pays progressistes, liés à l'URSS, aura profité à Israël et à l'Occident, entraînant une désillusion des peuples dans leurs gouvernements. L'arc de crise vert Il faut se rappeler que, depuis la création du royaume séoudien, les Etats-Unis ont soutenu directement ou indirectement la plupart des mouvements islamistes dans le monde, afin non seulement de porter un coup fatal à l'aggiornamento de l'Islam et de maintenir le monde musulman dans le sous-développement et la dépendance technologique, mais aussi de promouvoir l'arme redoutable du fanatisme islamique pour détruire l'Union soviétique et sa périphérie. Dans les années 1960, les Etats-Unis et les pétromonarchies arabes s'étaient servis des forces islamiques conservatrices pour marginaliser et mettre en échec des partis de gauche et nationalistes laïques dans le monde arabe, mais l'effet a été limité compte tenu de la cause palestinienne et la lutte commune contre Israël. A la fin des années 70, suite à la débâcle arabe, cette stratégie allait se révéler être l'un des leviers essentiels de la formidable ascension des mouvements islamistes. Le parrain de cette stratégie fut le conseiller à la sécurité nationale du président James Carter, M. Zbigniew Brzezinski, qui voyait, dans cette «théorie», l'existence d'un «arc de crise» s'étendant du Maroc au Pakistan. Cet «arc de crise vert» ou «arc de l'Islam», qui exprime un monde musulman en crise, devait contenir l'influence soviétique et compenser les revers enregistrés par les Etats-Unis au Vietnam et, en partie, dans la guerre israélo-arabe en 1973. Précisément, le fondamentalisme iranien allait être le premier catalyseur d'une insurrection islamique aux portes de l'Union soviétique ? En sus, la révolution iranienne de 1979 devait mettre fin aux vastes projets d'industrialisation du shah (développement des équipements urbains, infrastructures, aviation civile, armée, instruction, nucléaire). Le politologue libanais Nicolas Nasr a montré les vrais ressorts de la montée du fondamentalisme en Iran. Il écrit à ce propos : «La Révolution iranienne aurait été montée secrètement par les dirigeants américains. Fanatisme islamique et marxisme athée ne pouvant pas aller de pair, la promotion des principes coraniques, en bloquant toute modernisation dans les pays musulmans, profiterait idéalement au capitalisme américain et occidental, en conférant à ces pays sous-développés le statut de simple marché de consommation des produits industriels». Ainsi, on saisit pourquoi, un Iran, bien qu'allié aux Etats-Unis, dès lors qu'il cherche à sortir du sous-développement, ne peut qu'inspirer la défiance auprès des tenants de l'ordre mondial. Et le coup fatal de cet «arc de crise vert» fut l'invasion soviétique de l'Afghanistan le 3 juillet 1979. Zbigniew Brzezinski, dans une interview accordée au «Nouvel Observateur» du 15-21 janvier 1998, reconnaissait que «tout a été fait pour augmenter sciemment la probabilité» que l'URSS envahisse l'Afghanistan. «Cette idée a eu pour effet d'attirer les Russes dans le piège afghan». Dès le début du conflit, les fondamentalistes de tous les pays musulmans furent encouragés par diverses agences américaines et pakistanaises à aller faire le «djihad» en Afghanistan et au Cachemire ou à s'entraîner à Peshawar (base arrière des Moudjahidîns). La seule fausse note dans cette stratégie était l'Iran. La politique iranienne, qui a suivi après la prise du pouvoir par l'imam Khomeiny, était aux antipodes de ce qu'attendaient les Américains : reconnaissance de l'Organisation de libération de la Palestine, rupture des relations diplomatiques avec Israël, fin de l'activité du consortium pétrolier international et gestion par l'Iran du secteur pétrolier, nationalisation du secteur financier, banques, assurances et toutes les principales sociétés. La prise d'otages américains n'a fait que tendre encore plus les rapports entre l'Iran et les Etats-Unis. La guerre était prévisible, elle se déclara avec l'Irak à la fin de l'année 1980. Les Etats-Unis n'étaient pas étrangers à ce conflit. L'adage «jamais deux sans trois» L'entrée en guerre de l'Iran et de l'Afghanistan marque la fin d'une époque. Désormais les conflits dépassent largement le cadre arabe et s'étend à tout le Moyen-Orient musulman, créant de fait un véritable «arc de crise vert». Le conflit israélo-palestinien n'est plus qu'une partie accessoire des grands enjeux qui se jouent entre les puissances. Tant le niveau des combats que les armements considérables engagés dans les guerres au Moyen-Orient font comprendre à Israël et aux Etats-Unis que la situation est encore plus grave que celle qui a prévalu en 1973. Les Etats-Unis ont compris que, pour se maintenir dans cette région centrale du monde et préserver leur mainmise sur les fabuleux gisements du Proche et Moyen-Orient, ils ne doivent plus s'en remettre à Israël mais s'impliquer directement, comme cela a été fait avant eux, par l'URSS en envahissant l'Afghanistan. Forts de l'expérience soviétique en Afghanistan qui s'est soldée par une déroute militaire, l'approche des Etats-Unis aura été, une nouvelle fois, plus subtile, ils ont fait en sorte d'entrer en libérateurs. Et c'est ce qui fut. Dès la fin de la guerre avec l'Iran, l'Irak, dont les relations étaient très tendues avec ses voisins arabes - Koweït, Arabie Saoudite -, en particulier sur le problème de sa dette externe, estimée à 70 milliards de dollars, a, compte tenu de sa puissance militaire, tout fait pour porter sur lui la suspicion. A Londres, une série de faits comme par exemple la saisie des «kryton» (détonateurs atomiques) en avril 1990, l'affaire du «canon géant», dont les éléments étaient interceptés, font ressortir qu'un vaste complot auquel les Etats-Unis et la Grande-Bretagne participaient activement, devait avoir pour objectif de trouver un argument, une preuve à même de justifier une intervention anglo-américaine en Irak. Les Israéliens, dans cette machination, n'étaient pas en reste, ils assuraient que l'Irak pourrait fabriquer une bombe atomique dans les deux ans. Le président Saddam, comprenant mal le complot, et pour desserrer la crise financière qui sévissait dans son pays, envahit le Koweït le 2 août 1990. Les Etats-Unis n'attendaient que cette occasion pour agir. Offerte sur un plateau, la suite est connue. Fin février 1991, le Koweït est libéré, suivirent ensuite plus de dix années d'embargo meurtrier contre l'Irak. Le peuple irakien était soumis à l'oppression des «libérateurs anglo-américains» qui ne feront que l'affamer et le bombarder. Une «guerre d'usure» est ainsi pratiquée sous la forme de raids aériens fréquents, destinés à décimer ses infrastructures industrielles et son potentiel militaire. Que peut-on conclure de ces événements qui ont changé le paysage politique et géostratégique de la région ? Auront-ils mis de nouveau sur selle, et de manière directe cette fois, la première puissance mondiale dans cette région centrale du monde ? Tout porte à le croire. D'abord, la désintégration de l'URSS, en 1991, a laissé les Etats-Unis, seule superpuissance mondiale. La deuxième guerre du Golfe a montré que les risques et les enjeux au Proche et au Moyen-Orient sont bien plus redoutables que ceux vécus en 1973. Il aura fallu un corps expéditionnaire de 750.000 hommes dont 510.000 soldats américains, une coalition de trente-deux pays, des missiles Scud qui se sont abattus sur Israël et l'Arabie Saoudite, quarante-deux jours de combats aériens, avec 106.000 sorties. Mais, au-delà de cette guerre qui fait date dans l'histoire, une guerre suivie en direct par des millions de téléspectateurs, le «plus surprenant» est ce constat : «au moment même où l'URSS sort du bourbier afghan pour, deux ans plus tard, 'se désintégrer', les Etats-Unis entrent au Moyen-Orient, deux ans plus tard. D'abord, en Irak. Dix années plus tard, les Etats-Unis et l'Europe (l'OTAN), en 2001, remplacent les Soviétiques en Afghanistan». Bien avant les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, encore rayonnante sur le monde, a vu son armée décimée en Afghanistan, un hiver de 1841-1842. Hantés par le désastre, ils se retirèrent de l'Afghanistan, en 1880, après une deuxième guerre. Il en est allé de même avec la superpuissance soviétique en 1989. Ne dit-on pas jamais deux sans trois, si l'on croit l'adage ? «Les Américains et leurs alliés européens subiront-ils le même sort ?». Les raisons du déclin du monde musulman dans les années 90 Depuis cette guerre, les troupes américaines se sont implantées solidement dans la région, principalement dans les pétromonarchies du Golfe. Ce qui ne va pas sans soulever la question de la présence étrangère, surtout en terre sacrée où se trouvent les villes saintes de l'Islam. Ce qui ne peut que secouer le monde musulman. Avec la disparition de l'URSS, la guerre contre le communisme et l'athéisme perdant de son sens, un sentiment diffus a commencé à poindre dans les consciences musulmanes, lié précisément aux conséquences générées par la deuxième guerre du Golfe. Réalisant que les Etats-Unis ne cherchaient en fin de compte qu'à défendre leurs intérêts vitaux dans cette région centrale du monde (pétrole et position géostratégique) et à protéger Israël, l'état d'esprit musulman a subi une transformation radicale qui n'a fait qu'attiser sa rancoeur à l'égard des Américains. Pour parer à cette situation, et faire bonne figure auprès du monde musulman, les Etats-Unis se hâtèrent pour résoudre le problème israélo-palestinien. C'est ainsi que les accords d'Oslo aboutissent à une déclaration de principes israélo-palestinienne signée à Washington le 13 septembre 1993. Si ces accords n'exprimaient qu'une reconnaissance par Israël de l'existence du peuple palestinien et son droit de principe à l'autodétermination, ainsi que l'installation d'une autorité palestinienne d'autogouvernement intérimaire en Cisjordanie et dans la bande de Ghaza, il était clair qu'ils n'étaient qu'un prélude à la création d'un Etat palestinien souverain. Pour le statut final d'un Etat palestinien, l'Autorité palestinienne devait sortir des négociations du cadre d'Oslo pour les replacer sur le terrain de la légalité internationale en les fondant sur les résolutions de l'ONU, au premier rang desquelles la résolution 242 de novembre 1967, qui appelle au retrait israélien des territoires occupés lors de la guerre de juin. A Alger, lors de la session extraordinaire du Conseil national palestinien du 15 au 20 novembre 1988, l'OLP avait déjà reconnu formellement Israël et les résolutions 181, 242 et 338 de l'ONU, et proclamé un Etat indépendant «en Palestine». Si le processus d'Oslo a bien fonctionné au début, à la fin des années 1990, les négociations ont capoté. La visite, le 28 septembre 2000, d'Ariel Sharon, chef du Likoud, sur l'esplanade des Mosquées, à Jérusalem, engendra la deuxième intifada. Les mois qui suivirent et l'année 2001 ont été marqués par une recrudescence des violences. Des représailles de l'armée israélienne en Cisjordanie et à Ghaza répondent aux attentats-suicides palestiniens. Des assassinats «ciblés» de responsables palestiniens et des incursions en territoire autonome palestinien se multipliaient. Cette violence, après la visite d'Ariel Sharon n'avait d'autres explications que d'arrêter le processus d'Oslo. Il faut rappeler que le président Saddam Hussein avait annoncé que le pétrole serait facturé en euros et non en dollars, au mois de septembre 2000. Y a-t-il un lien entre cette décision et la visite annoncée à l'avance, le 28 septembre 2000, et très médiatisée, d'Ariel Sharon ? Pourquoi le changement de l'attitude israélienne et le refroidissement des Etats-Unis envers les Arabes ? La situation du monde arabe, après les accords d'Oslo en 1993 et l'installation d'une autorité palestinienne dans les Territoires occupés n'inspirait guère à l'optimisme. Après le conflit armé Irak-Etats-Unis, de quelque côté que l'on se tournait, on n'entrevoyait qu'une décadence rampante du monde musulman. La guerre fratricide en Algérie, dès 1993, les factions islamistes afghanes s'entre-tuaient pour la prise de pouvoir à Kaboul, les six pétromonarchies (l'Arabie Saoudite et les cinq émirats Koweït, Bahreïn, Qatar, Emirats arabes unis et Oman) ainsi que l'Egypte soumises à l'influence américaine, ont été autant de traits de cette décadence. Pour couronner le tout, la prise de pouvoir de Kaboul par les ultra-fondamentalistes talibans, en 1996, favorisée par les services de renseignements de l'armée pakistanaise et les Etats-Unis, a fait des Talibans de simples pions dans la stratégie globale de la superpuissance. Le rôle confié aux Talibans était de stabiliser l'Afghanistan pour la construction d'oléoduc devant servir à acheminer le pétrole de la zone caspienne vers le Pakistan. Option dont l'objectif était le contrôle du pétrole de l'Asie centrale par les Etats-Unis et en même temps isoler l'Iran. La Russie, au cours de cette période, se débattait dans une grave crise politique et économique. Déstabilisée, une Union soviétique disloquée, un président Boris Eltsine malade, cette ex-superpuissance ne pesait presque rien sur l'équilibre de la balance des forces dans le monde. En difficulté financière, elle ne pouvait que fermer les yeux, l'aide financière de l'Occident était à ce prix. Les campagnes de presse anti-iranienne et anti-libyenne inaugurées au cours de l'été 1996 contre l'Iran et le terrorisme islamique, après l'explosion du Boeing de la TWA, et anti-algérienne suite à la crise politique interne, s'inscrivaient dans cette stratégie. Affaiblir le monde musulman pour s'y implanter économiquement ou le réduire au silence. Quant à la direction politique palestinienne, elle évoluait au gré des soubresauts plus ou moins violents. Divergences et tensions internes caractérisaient les relations entre l'Autorité palestinienne et le Hamas. Ainsi se comprennent les conséquences qui ont résulté, un embargo inhumain contre l'Irak, ponctué périodiquement de bombardements meurtriers, menés en toute impunité. Pas de réaction de la part des Musulmans, sinon pis, les pays arabes, dont certains craignaient la doctrine en vogue, le «droit d'ingérence humanitaire» dans les affaires nationales, se sont tus ou ont cherché la bienveillance de l'Occident. De là, se comprend l'échec des accords d'Oslo. Israël n'avait plus d'opposants sérieux, de plus, il n'usait du «processus de paix» que comme couverture au doublement des colons en Cisjordanie. L'Afghanistan, une énigme en regard des pertes et coûts et sans sortie de crise Aussi effroyables fussent-ils, les attentats à New York du 11 septembre 2001, ils ont en fait été le maillon qui manquait pour mettre en branle une stratégie américaine pensée déjà de longue date depuis la chute de l'URSS. D'autre part, l'embargo contre l'Irak depuis 1991, pendant plus de dix années, s'essoufflait et faisait mauvaise figure sur le plan international. Il en résultait, sur le plan humanitaire, une situation difficile, dont la première victime fut la population irakienne. A la fin des années 90, l'embargo commençait à être battu en brèche par plusieurs vols humanitaires d'Europe et du monde arabe en direction de la capitale irakienne. Après les attentats du World Trade Center, la décision américaine de déclencher une vaste campagne militaire (Opération Enduring Freedom ou Opération Liberté immuable) impliquant ensuite des forces de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) placées sous le commandement de l'ISAF, obéissait plus à s'assurer du contrôle du pays. Le formidable potentiel des forces occidentales pour un pays en ruine et la décision de chasser les Talibans ne pouvaient s'expliquer par le seul droit de poursuivre par la force M. Oussama Ben Laden et Al-Qaïda. Car, si cela était, une opération intérieure par les forces de la coalition occidentale limitée dans le temps et une aide militaire conséquente aux chefs de guerre de l'Alliance du Nord pouvaient obtenir le même résultat sans que les forces de l'OTAN ne soient enlisées comme c'est le cas aujourd'hui, et que témoignent les réticences des membres de l'OTAN d'envoyer plus de forces supplémentaires en Afghanistan. Le régime des Talibans serait tombé à moindres frais. S'il est vrai que le droit de poursuite des auteurs de l'acte terroriste, du changement du régime politique et de la volonté de reconstruire l'infrastructure du pays donnaient un cachet positif au regard de l'opinion internationale, il reste que la décision d'installer un régime qui soit favorable aux Américains est discutable. Ces derniers, en fin de compte, ont procédé comme les Soviétiques en 1979. Quel est l'intérêt des Etats-Unis d'occuper l'Afghanistan ? Une région lointaine et, a priori n'offrant plus l'intérêt qui était à l'origine de l'avènement des Talibans dans le «grand jeu pétrolier». En outre, depuis 2001, les républiques (Kazakhstan, Ouzbékistan, Kirghizstan, Turkménistan) se sont regroupées avec la Chine et la Russie dans une organisation, la Shanghaï Cooperation Organization (SCO). L'objectif au départ était encore la lutte contre le terrorisme, mais, de nombreux analystes disent que le SCO est une réponse russo-chinoise à la présence américaine en Asie centrale. Depuis août 2003, les pays de SCO ont procédé à plusieurs exercices militaires communs (Kazakhstan oriental, Chine occidentale). Si le grand jeu pétrolier a changé de donne avec la guerre déclarée au terrorisme par la superpuissance mondiale, quel est le sens de l'implantation conjointe de l'OTAN et de la coalition (Opération Enduring Freedom) sous le commandement américain en Afghanistan ? Il y a une énigme, vu les pertes humaines et en matériels et sans sortie de crise, surtout avec la recrudescence des combats depuis 2006. Quel est le sens de cette stratégie qui, malgré les coûts et pertes, s'en accommode et se renforce si l'on se réfère à la politique de la nouvelle administration américaine ? Aujourd'hui, les forces occidentales comptent quelque 80.000 hommes, et les Etats-Unis comptent transférer 30.000 hommes d'Irak vers l'Afghanistan, au courant de l'année 2009. Selon l'information du 27 janvier 2009 donnée par l'agence Reuters, des déploiements des premiers renforts de troupes américaines se sont effectués dans deux provinces-clés de l'Est du pays. Toujours selon cette information, les propos du secrétaire américain à la Défense de George Bush, qui a été maintenu dans ses fonctions par son successeur : «Il ne fait pas de doute qu'aujourd'hui notre plus grand défi militaire est l'Afghanistan». «Bien que la violence soit restée faible, il existe toujours des risques d'échec, et nos soldats doivent s'attendre à connaître des jours difficiles. Au fur et à mesure que notre présence diminue, il faut s'attendre à ce que nous restions présents pour de nombreuses années à venir». Si elle ne laisse aucun doute sur les intentions américaines, elle ne nous apprend pas quel est l'intérêt de l'utilisation du territoire afghan dans la stratégie globale des Etats-Unis. Est-ce seulement pour combattre la rébellion des Talibans ? Ou vise-t-elle un autre objectif moins bien apparent ? L'Irak, tombé dans l'escarcelle des Etats-Unis Après l'Afghanistan, les Américains s'en sont pris à l'Irak. Invasion et occupation de l'Iraq en 2003. Passons sur les preuves des armes de destruction massive (ADM) qui n'ont jamais existé, les Etats-Unis reconnaissent plus tard qu'ils se sont trompés et que l'Irak n'en a pas détenu. Pourquoi alors cet unilatéralisme qui a choqué le monde entier ? Sans mandat de l'ONU, ils ont envahi et occupé l'Irak. Evidemment, il y a le pétrole irakien, et la région pétrolifère du Moyen-Orient, où se trouvent les plus grands gisements de pétrole du monde, est la chasse gardée des Etats-Unis. Là encore, après la «victoire» américaine, il n'y a pas eu de transition rapide vers un Etat stable, unifié, démocratique, non théocratique. Le gagnant a été de toute évidence l'Iran. L'enlisement, la débâcle américaine en Irak a donné à Téhéran une occasion de reprendre le flambeau du nationalisme arabe sous la bannière de l'islam. La stratégie optant pour le démantèlement du régime baasiste de l'Etat irakien a permis d'éliminer l'ennemi traditionnel de Téhéran, tandis que les Américains n'avaient le choix que de composer avec les cléricaux chiites, ce qui a aidé l'Iran par les alliés qu'il a à l'intérieur de l'Irak. En 2006, la situation s'était gravement dégradée en Irak, l'enlisement de l'armée américaine, la guerre civile, le mercenariat et autres méfaits de la guerre ont été autant d'éléments dans l'embrasement de l'Irak. Les analystes occidentaux parlaient déjà d'un nouveau Vietnam pour les Etats-Unis. La victoire des démocrates au Congrès en novembre 2006 a d'une certaine façon sauvé la situation. En s'imposant, et en mettant sur pied un groupe d'étude - la commission Hamilton-Baker -, les démocrates ont pu impulser une nouvelle stratégie à l'équipe Bush. En décembre 2006, les conclusions du groupe d'étude ont préconisé, pour sortir de l'enlisement, un désengagement graduel des forces américaines, d'associer l'Iran et la Syrie au processus de stabilisation de l'Irak, de résoudre le problème israélo-palestinien et pousser Israël à restituer le Golan à la Syrie en échange d'un accord de paix. Ces recommandations ont été prises en compte par l'administration Bush, et après plusieurs rencontres entre Iraniens et Américains à Bagdad en 2007, les tensions ont commencé à baisser. A la fin 2008, la situation en Irak s'étant nettement améliorée, un calendrier de retrait des forces américaines et étrangères, toujours dans le cadre des recommandations du groupe d'étude, a été établi conjointement entre Américains et Irakiens pour 2011. Fin décembre 2008, ce calendrier de retrait fut entériné par le parlement irakien. Les élections provinciales en Irak ont suivi au début de l'année 2009, avec cette fois-ci, l'entrée en course des sunnites. Ceci étant, que peut-on dire du changement positif de la situation en Irak ? Les accords conclus avec l'Iran ont porté des fruits, ce qui fait apparaître l'Iran comme un acteur incontournable dans l'échiquier proche et moyen-oriental. Devenu leader d'un front de lutte associant le nationalisme arabe et la vague montante de la résistance islamique, disposant d'atouts majeurs, il est capable de faciliter ou compliquer la situation des troupes américaines comme il peut mettre en échec les Israéliens au Liban grâce à ses alliés du Hezbollah. Il est en position de combler l'immense vide de pouvoir régional créé par la perte de l'Egypte dans les années 1970 et, aujourd'hui, par la destruction de l'Etat irakien et son remplacement par un régime aux ordres de l'Occident. Le problème, c'est que si l'Iran reste le seul pays capable de tenir tête à la superpuissance, il n'en demeure pas moins qu'il joue aussi un rôle de «joker» dans la stratégie globale des Etats-Unis. Les Etats-Unis ont besoin d'ennemis pour asseoir à la fois leur puissance sur le plan planétaire et la perdurer à long terme, ce qui implique une stratégie sans cesse renouvelée et une vision toujours lointaine des enjeux et menaces. Sur le plan des pertes humaines, si on comparait les pertes irakiennes et les pertes américaines, elles sont sans commune mesure. On parle de 600.000 Irakiens de tués voire un million contre moins de 5.000, selon le décompte de l'armée américaine. Ceci est un indice très important. Les bombardements israéliens de Ghaza, du 27 décembre 2008 au 19 janvier 2009, soit 22 jours d'une guerre inégale, ont fait plus de 1.300 de tués, côté palestinien contre une dizaine, côté israélien. Un rapport de un tué pour plus de cent tués, ce qui montre le caractère nouveau de la guerre : une haine, un acharnement, le plus de victimes, comme prix de la victoire. Ces chiffres font comprendre que les conflits ne sont pas épuisés et ce n'est pas demain, la paix. Les Américains ont déjà éliminé l'Irak, celui-ci leur est assujetti du moins tant que les rapports de force restent ce qu'ils sont. L'Irak, tombé dans l'escarcelle des Etats-Unis, l'Afghanistan ne l'est pas tout à fait, il reste encore à parfaire la pacification qui, certainement, sera plus redoutable. Et les résistances ne viendront pas seulement des Talibans. A suivre ------------------------------------------------------------------------ * Chercheur