Dix ans après l'adoption du Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD), quel bilan en faites-vous ? IBRAHIM ASSANE MAYAKI : Le bilan du Nepad peut s'illustrer en trois points : en premier lieu, le Nepad constitue la seule initiative continentale de développement. Elle existe et dure depuis 10 ans, avec des résultants probants dans des domaines comme la science et la technologie, l'agriculture et les infrastructures. Au terme de ces dix ans, elle vient d'être renouvelée en tant qu'initiative par son intégration au sein des structures de l'Union Africaine (UA), comme agence de développement. Le deuxième point c'est que le Nepad est directement à l'origine de stratégies de développement les plus importantes dans des secteurs prioritaires comme l'agriculture (avec le Caadap) ou les infrastructures (avec le Pida). Le fait que l'ensemble des pays africains s'efforce d'appliquer les normes et les règles de ces deux stratégies continentales c'est un succès considérable. Le troisième point, moins connue et pourtant elle fait des envieux en Europe et dans d'autres régions du monde, c'est le mécanisme africain d'évaluation par les pairs. C'est une approche originale qui vise à faire le bilan de la gouvernance (économique, politique…) dans des pays qui se portent volontaires… C'est une expérience unique au monde. A ce jour, 23 pays se sont portés volontaires. Donc le Nepad, sur ces trois points notamment, a eu une mise en œuvre visible.
Et pourtant nombreux sont ceux qui, en Afrique notamment, se demandent ce que fait le Nepad et à quoi il sert ? Bien souvent, le problème c'est que de nombreux Africains passent leur temps à répéter ce que véhiculent les médias Occidentaux sur le continent et sur nous. Il leur faudra du temps pour se déconnecter de cette mentalité de type colonial. Il est évident que lorsque vous observez la couverture de l'Afrique par une chaîne importante comme CNN, ce qu'on en retient c'est que l'Afrique est un continent de misère, gouverné par des gens incompétents, extrêmement corrompus et qui n'ont absolument aucune idée de l'intérêt général. Et beaucoup parmi nous, Africains, répétons ce que disent CNN et d'autres, sans le recul et l'analyse nécessaires. Nous donnons l'impression de nous complaire dans une sorte d'autodénigrement. Nulle part, sur aucun autre continent, une telle attitude n'est aussi courante. Ailleurs, dans le monde, en Amérique latine, en Europe ou en Asie, les gens font la part des choses. Ils ne se dénigrent pas de manière systématique.Malheureusement, cet autodénigrement est négatif. Nous ne pouvons pas nous permettre de transmettre une image perpétuellement négative de l'Afrique à nos enfants. Il faut relativiser. Un pays comme le Rwanda a fait des progrès considérables et il a réduit sa dépendance à l'aide extérieure. Le Cap-Vert est devenu un pays à revenu intermédiaire en mobilisant ses propres ressources. Le Kenya fait des progrès considérables sur le plan de la gouvernance ; si l'on en juge notamment par le design et la mise en œuvre de leur nouvelle Constitution. Le Botswana refuse l'aide étrangère. Et beaucoup d'autres suivent la même voie…
Il reste que, pour revenir au Nepad, ce plan reste de l'avis de plusieurs Africains, une abstraction. Pourquoi ? Le Nepad reste une abstraction parce que les gens ne savent pas ce qu'il a réalisé, puisque ce qui a été fait n'a pas été communiqué. Ce qui s'inscrit dans le cadre général de l'information sur l'Afrique. C'est bien là, la question de fond. Il nous faut déployer les stratégies les plus adaptées pour mieux faire connaître ce que nous faisons. C'est notre défi à nous.
Concrètement, prenons deux enjeux de l'heure : la famine dans la Corne de l'Afrique et les alternances politiques bloquées qui parfois mènent aux révolutions comme en Afrique du Nord. Face à ces deux défis, quelles sont les solutions du Nepad ? Sur la question des alternances et de la démocratisation, une précision s'impose pour commencer : le nombre de pays africains qui organisent des élections démocratique a augmenté de manière considérable au cours des quinze dernières années. Seuls sept pays connaissent de très sérieux problèmes en matière de gouvernance, sur un total de 54 pays. Malheureusement, il est plus souvent question des sept moutons noirs que des 40 relatives réussites. À propos de la famine qui menace dans la Corne de l'Afrique et plus généralement sur la question de l'insécurité alimentaire sur le continent, il convient de rappeler que la plupart de nos pays ont vu leur population multipliée par cinq au cours des cinquante dernières années. Et la plupart de nos pays ont réussi à atteindre des niveaux de production agricole supérieurs à ce qu'ils étaient il y a vingt ans. Evidemment qu'il y a des problèmes de famines. Mais, une fois encore, si vous prenez les 54 pays du continent, moins d'une dizaine sont touchés. Mais bien plus important encore, depuis cinq ou six ans, les investissements dans le secteur agricole augmentent. Il y a encore beaucoup de chemin à faire, tant sur le plan des politiques, des ressources allouées, de la participation des producteurs dans la définition que dans la mise en œuvre des politiques… Mais nous sommes sur la bonne voie.
Beaucoup, en vous écoutant, seraient tentés de dire que vous êtes trop optimiste. Que répondez-vous ? Je suis surtout réaliste. Je n'essaie pas de forcer le trait. Je constate simplement que cette vision réaliste des questions africaines ne passe pas, puisqu'on continue à nous marteler une autre vision. Tout se passe comme si, en agissant ainsi, on essaie de maintenir les Africains dans une mentalité de marginalisation. L'Afrique a deux avantages considérables : d'abord la plus forte intensité de ressources naturelles dans le monde et la population la plus jeune du monde. Donc, c'est manifestement le continent du futur. Et si on ne veut pas que ce continent joue son rôle, il faut inculquer à ses élites qu'elles sont incompétentes, corrompues et qu'elles sèment la misère. Ce qui n'est évidemment pas le cas. A.-M. E. In Afrique Renouveau,