Dans un contexte géopolitique mouvant, la Libye post-Kadhafi semble se débattre dans une situation des plus compliquée. La fin du régime autoritaire, à la tête du pays depuis une quarantaine d'années, a laissé place à un chaos généralisé. Le régime déchu ne s'était nullement doté de structures d'Etat qui auraient dû lui survivre et constituer un socle sur lequel serait construite la nouvelle Libye. Le pays reposant sur un équilibre tribal absolument précaire est entré, depuis l'intervention de l'Otan et la chute du régime en place, dans une phase de précarité. Les événements en cours à Tripoli, Benghazi et d'autres villes libyennes suscitent l'appréhension et l'inquiétude. Le Conseil national de transition (CNT), la structure politique ayant combattu l'ancien régime jusqu'à sa fin, semble dans l'incapacité de contrôler le pays. Les difficultés du CNT et les informations sur une éventuelle réapparition de milices restées fidèles à Kadhafi augurent de lendemains difficiles. Le modéré président du CNT, Moustapha Abdeljalil, a d'ailleurs tiré la sonnette d'alarme à propos d'une situation alarmante. «Soit nous répondons sans faiblesse à ces événements qui entraînent les Libyens dans une confrontation militaire que nous ne pouvons accepter, soit c'est la sécession et la guerre civile. Il n'y aura pas de sécurité tant que les combattants refusent de rendre les armes.» Pour beaucoup d'observateurs, la Libye de l'après, Kadhafi est réellement menacée par un conflit interne. Le système totalitaire de Kadhafi n'ayant pas édifié d'Etat moderne, centralisé et fort, les ingrédients pour un scenario catastrophe semblent malheureusement réunis. En juin prochain, les Libyens devraient élire les 200 membres d'une future assemblée constituante. Mais les difficultés à s'organiser vont en augmentant. La Libye risque de se trouver bloquée par les contradictions, accentuées par le règne des milices. Quatre groupes principaux sont actifs aujourd'hui en Libye. Le groupe de Zentane, celui du Conseil militaire de Tripoli dirigé par Abdelhakim Belhadj, la faction de Misrata, et l'armée nationale libyenne, sous le commandement du général Khalifa Haftar. La légitimité révolutionnaire devrait être convoquée à fond par les différentes tendances pour se replacer. Oussama Al Jouaili, le ministre de la Défense du gouvernement Abdelrahim Al Kib avait, à plusieurs reprises, adressé un ultimatum pour le dépôt des armes dans les villes et la dissolution des milices et leur incorporation au sein de l'armée. Sans résultat probant. Le désordre sécuritaire reste de mise. Les occidentaux, notamment ceux ayant été engagés frontalement dans la chute de l'ex régime, ne semblent pas s'inquiéter outre mesure des conséquences du chaos libyen. Du moment que les pipelines de ce pays pétrolier ne sont pas menacés. Les dernières estimations indiquent que les taux de production du pétrole libyen commencent à se rapprocher du niveau de l'avant intervention de l'Otan. Un million et demi de barils jours. Suffisant pour les pays consommateurs occidentaux pour qui, le pétrole libyen, le fameux «Sweet and light», est des plus prisé. Autre fléau qui frappe la Libye nouvelle et qui risque d'avoir des conséquences incalculables : la prolifération d'armes à travers le pays. Si celles-ci ont permis aux troupes rebelles, assistées par l'Otan, de se débarrasser du Guide libyen, elles se trouvent désormais dans la nature aux mains des milices tribales, aussi bien en Cyrénaïque qu'en Tripolitaine. Et les «Thouars» sont loin d'être disposés à les rendre à une quelconque autorité. A moins d'obtenir une place de choix au sein du futur pouvoir. De retour de Libye, Patrick Haimzadeh un des meilleurs spécialiste de la Libye, et aussi des plus crédible, décrit une véritable «guerre civile» entre tribus rivales : «L'Etat n'existe plus. Les gens sortent la kalachnikov au moindre problème. Ils n'ont aucun intérêt à rendre les armes, pour rejoindre une armée sous-payée, commandée par des généraux qu'ils ne reconnaissent pas.» Kadhafi, par un subtil jeu d'alliance, parvenait à tenir cet ensemble hétéroclite. Aujourd'hui ce verrou éclaté, le pays semble sans repères suscitant le respect ou la crainte. Les témoignages sur place font régulièrement état de rejet systématique par les différents groupes de toute loi proposée par le CNT, peu importe son contenu. Les autorités post-Kadhafi se trouvent totalement désemparées face au poids grandissant des comités révolutionnaires armés existant dans chaque quartier des villes libyennes. Le CNT structure fragile et non représentatif, évite de se heurter frontalement à ses contradicteurs. La faiblesse politique de cet organisme à la tête du pays ne lui permettant pas de reprendre les choses en mains et de rétablir le monopole des armes. En Libye le risque de guerre civile ne relève plus de la simple hypothèse. M. B.