La biologie comme l'histoire, rythmant le mouvement inéluctable de l'horloge de la vie, font, et c'est l'essence même de la fatalité, la philosophie du mektoub. Elles font leur œuvre, dussent-elles être funestes et macabres. Dieu que l'exercice nécrologique et l'hommage post-mortem sont cruels ! Presque impossibles. Surtout quand il est question de justes parmi les plus justes, de justes au-dessus des justes. Si Abdelhamid Mehri, empêché de respirer à pleins poumons, à 85 ans, en fut un, parmi les plus grands. La démocratie algérienne, perpétuellement embryonnaire, toujours en gestation depuis la création de l'Etoile nord-africaine est orpheline de la perte de Si Abdelhamid Mehri, éternel jeune démocrate. Si Abdelhamid Mehri, que Dieu a décidé d'accueillir en ses jardins édéniques, là où la démocratie est encore un rêve, est né sous une bonne étoile, du côté de Oued Zenati, l'année même de la naissance de l'ENA, l'étoile filante nord-africaine, matrice et précurseur du songe unitaire maghrébin, dont Tanger sera, en 1958, l'esprit et la prémonition. Le présage d'un rêve, à ce jour, jamais réalisé. Ministre du GPRA, le Gouvernement provisoire de la Révolution algérienne, émancipatrice de son peuple qui en était la sève nourricière, Si Abdelhamid, quoique plus jeune, était digne des pionniers du grand rêve maghrébin. A l'image brillantissime de Messali Hadj, Amar Imache, Hadj Ali Abdelkader, Si Djilani, Belkacem Radjef, Ahmed Belghoul et, celui dont le nom était le plus retentissant, l'Emir Khaled El Hassani Ben El Hachemi, petit-fils de l'Emir Abdelkader Ben Mohieddine, génie géniteur de l'Etat algérien moderne. Alors, bonté divine, celle qui nous ravit les excellences, les repères majeurs, les tabernacles de lumières, de qui parler donc après le voyage en aller simple vers les cieux de Si Abdelhamid ? Du nationaliste d'eau pure ? Du militant du PPA-MTLD, devenu centraliste, par amour du juste milieu et du sens du compromis politique intelligent et dynamique ? Du dirigeant nationaliste, du frère, du père, de l'oncle, de l'ami, du compagnon, du grand-père, du mari tellement aimant, tellement attentionné, tellement dévoué et disponible, dont l'amour de sa patrie, de ses sœurs, de ses frères, de ses enfants, de ses petits-enfants, de tous les siens aimés et de tous ses compatriotes, fut d'une tendresse infiniment divine ? De qui parler, mon Dieu, qui évoquer ? Le démocrate de toujours qui avait l'oreille patiente, toujours respectueuse de l'avis de l'autre ? Parler alors du Mehri qui aimait tant, pour dire son respect de l'Autre et de son avis en citant l'imam progressiste Abu Abdallah Muhammad Bin Idriss al-Chafii, descendant direct des hachémites ? Souvent, Si Abdelhamid rappelait à ses interlocuteurs, à ses détracteurs comme à ses admirateurs qui voyaient en lui un creuset de lumières, une célèbre sentence de l'imam, qui est la quintessence même de la philosophie démocratique. «Notre point de vue est faux mais est susceptible d'être juste, le vôtre est juste mais peut supposer l'erreur», disait l'imam Koraïchites. Si Abdelhamid fut l'incarnation physique, morale et intellectuelle, c'est-à-dire la synthèse politique de l'honnête démocrate. Ce qu'il fut toujours au PPA-MTLD, au FLN, comme au GPRA. Comme ministre de l'Education ou de l'Information. Comme formateur et au titre de directeur de l'Ecole normale supérieure d'Alger. De même que comme ambassadeur en France et au Maroc. Ou bien en sa qualité de secrétaire général d'un FLN post-Octobre 1988 qu'il a soumis à une double cure d'opposition politique au régime et d'apprentissage démocratique. De qui parler encore ? Du Mehri qui fut le principal artisan du Contrat de Rome qui obligea les islamistes radicaux, adeptes de l'Etat Théocratique, même au prix des armes, à accepter le choix de la politique comme seul moyen d'accéder au pouvoir et d'y rester ? Faut-il encore évoquer le Mehri dont la constance, la pugnacité et la fraîcheur démocratique furent si subversives pour le pouvoir ? Au point de le dégommer de son poste de SG du FLN, en 1996, grâce à ce qui deviendra célèbre sous le vocable si détestable de coup d'Etat scientifique dont l'incarnation physique et politique est aujourd'hui ambassadeur dans un pays où la démocratie porte le nom d'une célèbre place de la libération du peuple ? Faut-il parler davantage de Si Abdelhamid pédagogue politique et prêtre de la démocratie en Algérie et du Maghreb, deux objectifs jamais réalisés de la Révolution du premier Novembre 1954 ? Un Si Abdelhamid ulcéré d'avoir été empêché par le régime incarné par M. Abdelaziz Bouteflika d'organiser à Alger une rencontre académique sur le Maghreb, tel que défini par l'esprit de Tanger et non pas par l'esprit de Marrakech ? Faut-il, enfin, parler de Si Abdelhamid Mehri, de celui que le président Abdelaziz Bouteflika n'a pas écouté, ou si peu, lorsqu'il lui a suggéré de réunir un consensus national préalable à toutes réformes politiques ? Qu'il n'a pas entendu quand il lui a suggéré de réunir toutes les forces vives et vitales de la nation pour organiser une transition démocratique qui aurait rédigé une nouvelle Constitution. Un peu à la tunisienne, mais sans la symbolique du martyrologe que fut Mohamed Bouazizi. Si Abdelhamid est parti, à pas feutrés, avec révérence, sans voir un jour son Algérie réaliser le rêve de l'Etoile nord-africaine, de la Conférence de Tanger et des jeunes d'Octobre 1988. Mais de là où il est, au royaume des justes et des bienheureux qui sont à la droite du Seigneur, il regardera avec tendresse et calme, avec son œil indulgent et juste, l'évolution de son Algérie vers le paradais démocratique tant rêvé auquel il a consacré l'essentiel de sa vie d'homme et de militant. Pour tout cela et pour nous, il n'est pas parti. Il est toujours là. N. K.