Il paraît que, pour être élu en 2005 et réélu en 2010, le dictateur sri-lankais Mahinda Rajapaksa, a dissous son peule à deux reprises ! En usant de ce que des critiques satiriques locaux ont appelé le «computer gilmal» ou la «tactique informatique» qui consiste, grâce au génie numérique, à transformer les votes négatifs, les votes blancs et même les abstentions en suffrages positifs. Il est vraiment balèze le Rajapaksa ! Il aurait même des émules algériennes. Après avoir concouru à l'interruption du processus électoral en 1992 parce que beaucoup d'Algériens avaient voté de travers, voilà que les mêmes sauveurs d'un pays courant, selon eux, le risque d'une talibanisation, proposent l'interruption, à titre préventif, d'un processus électoral qui n'a pas eu encore lieu. Comme Mahinda Rajapaksa, ils sont vraiment forts ces républicains patriotiques qui appellent à stopper «l'aventure électoraliste» de mai 2012 ! C'est même fort de café quand les mêmes, laïcs égarés dans le Talibanistan algérien, considèrent que les prochaines élections législatives, organisées dans un contexte arabe favorable aux islamistes, sont une «échéance macabre» susceptible de faire basculer le pays dans un «engrenage suicidaire». C'est presque l'urne ou le cercueil ! Pour les démocrates algériens, autoproclamés car n'ayant jamais reçu l'onction du suffrage universel, l'urne sera toujours fatale ! Les urnes, transparentes, probes et sincères en Tunisie, en Egypte et au Maroc, ce n'est, ni plus ni moins pour ces disciples de Mahinda Rajapaksa, qu'une «confiscation démocratique de la majorité des suffrages». Le vote régulier devient ainsi le moyen détourné d'un putsch électoral. Et c'est alors que l'urne peut mentir, bégayer et dire des lapsus. Comme les Algériens risquent de voter de guingois, il faut donc ne jamais organiser d'élections. Ou bien dissoudre le peuple, comme l'a suggéré Berthold Brecht avec sa célèbre boutade «puisque le peuple vote contre le gouvernement, il faut dissoudre le peuple !» A la rigueur, le faire revoter jusqu'à ce qu'il vote convenablement. Le peuple algérien n'est-il pas, selon une autre formule, une masse informe, infâme et sans conscience, une multitude nommée «ghachi» qui veut dire des nuées indéfinies, et qui rime bien avec le français gâchis, avec un S et un accent circonflexe sur le A, bien sûr. Les auteurs de l'appel à annuler, a priori, le processus électoral de mai 2012, sont les mêmes qui ont constitué la colonne vertébrale du fameux CNSA, le Conseil national de sauvegarde de l'Algérie. Vingt ans après, ils jouent encore à se faire peur. Et croient sincèrement faire peur aux autres, tels des Cassandres qui veulent croire eux-mêmes à l'existence d'un «nouveau standard arabe», fondé sur un vote islamiste impérieux et inéluctable comme une fatalité historique. Même pas comme une possibilité politique d'une séquence historique. Ah que Brecht avait des raisons d'être ironique ! Son humour philosophique, il l'a déployé à une époque où le jeu électoral ne répondait plus à la crise des sociétés européennes, inaptes à gérer l'entrée des masses en politique. C'est le cas, aujourd'hui, dans le monde arabe, et le phénomène finira, tôt ou tard, par toucher l'Algérie où sa lente insertion dans l'universel est lente et laborieuse. La fatalité, c'est finalement la démocratie. Jamais l'islamisme. Les exemples turque, tunisien, égyptien et marocain ont montré qu'il y a désormais un islamisme de gouvernement, soluble, à divers degrés, dans la démocratie. Comme il y a des islamismes au pluriel. Dont des segments qui n'accepteront jamais la bénédiction démocratique par l'urne. Si le vote en faveur des islamistes est pronostiqué, la mouvance islamiste est en revanche fragmentée alors même que l'islamisme algérien n'a pas de projet clair et identifié. Il est fils du rejet d'un régime fondé sur une bureaucratie politico-financière et policière qui privatise la rente tout en assurant une certaine redistribution. Le rejet de l'Etat autocratique favorise les forces qui prêchent pour un Etat théocratique. C'est une réalité. L'islamisme algérien n'est pas la force inexorable de l'évidente réalité, selon la juste formule du dirigeant du FFS Samir Bouakouir. Il n'y pas une islamisation, de plus en plus croissante, de la société algérienne, mais une plus grande religiosité. Il y a, et c'est une autre réalité, un besoin accumulé de confier la gestion de la chose et du bien publics à des forces qui n'ont jamais géré. Des forces supposées probes et plus respectueuses du peuple. Mieux à l'écoute de son ardente aspiration au mieux-être. L'appel des émules algériennes de Mahinda Rajapaksa remet au goût du jour le débat médiéval entre nominalistes et réalistes. Les premiers, à l'image de Guillaume d'Ockham, ne croyaient pas que les concepts renvoient à une réalité. Ils ne croient qu'aux réalités particulières, individuelles. Comme celle de penser que l'urne ment si elle est colorée du vert de l'islamisme. Les nominalistes pensent les idées a priori et décident de les imposer au réel. Les réalistes, au sens de Saint-Thomas d'Aquin, pensent, au contraire, que les concepts sont inséparables des réalités qu'ils désignent, qu'ils invitent l'homme à respecter le réel, à s'appuyer sur lui pour agir. La réalité algérienne, c'est le peuple. Brecht, lui, attendait qu'on discutât avec les masses sur la vitesse avec laquelle il fallait, hier, construire le socialisme. Nous, c'est avec les masses algériennes qu'on discutera sur la vitesse avec laquelle il faudra construire la démocratie. N. K.