Il fut un temps où les autorités locales exigeaient une carte de vote dûment tamponnée pour avoir accès à l'état civil. Aucune loi ne fixait cette obligation mais c'était l'unique moyen trouvé par l'administration pour pousser les gens vers les bureaux de vote. Aujourd'hui, cette pratique est révolue, mais beaucoup de citoyens, en entrant dans une mairie, ont la peur au ventre de se voir réclamer le fameux sésame. On ne sait jamais. Alors l'Etat, ne pouvant agir par la contrainte, revient au bon sens, celui d'interpeller la conscience des Algériens. Mais le « devoir électoral » a-t-il encore de la signification dans un pays marqué par cinquante années de mascarade électorale ? La règle durant le parti unique était le plébiscite, tant du président de la République que du député. Les choix revenaient aux apparatchiks du FLN et à l'armée. Les maires, eux, étaient désignés par le mouhafedh du parti, après consultation des autorités civiles et militaires locales et souvent des chefs de tribus ou des grandes familles. C'était le mode de fonctionnement du système parti-Etat et l' Algérie n'avait en rien innové : elle l'avait emprunté des « démocraties populaires » d'Europe de l'Est. Le multipartisme n'a pas fondamentalement changé la donne. Les décideurs politiques et militaires introduisirent deux pratiques : la cooptation et les quotas, la première devant servir à doter le pays d'un président de la République et la seconde à contrôler le Parlement. Le recours à la fraude eut pour fonction de « huiler » le système. La donne n'a pas évolué d'un iota durant dix-sept années. Les législatives d'avril 2007 sont programmées pour « redistribuer » les cartes entre les trois partis qui soutiennent à fond le régime et préserver leur prééminence (l'Alliance) au sein de la sphère politique. Au sein du Parlement, le FLN sera toujours premier, suivi du RND puis du MSP. Ces formations auront pour tâche d'assurer « la continuité politique » du mandat du président de la République au profit duquel elles se sont totalement engagées, en gommant leurs spécificités et en taisant leurs revendications propres. Grâce à l'arsenal de subterfuges électoraux, le FLN ébranlé par Octobre 88 et discrédité par la victoire électorale du FIS a pu revenir sur scène et se positionner en première place. Un parti tel le RND, créé par l'administration, a pu se forger une place sans identité politique et sans idéologie. Enfin, le MSP doit son existence au choix des décideurs de composer - tactiquement - avec la mouvance islamique, retenant pour cela dans le pouvoir la « moins mauvaise », à leurs yeux, des organisations. Prises au piège, les formations démocratiques ont été amenées à osciller constamment entre la participation aux élections qui les fait exister mais leur ôte leur âme et le boycott qui les préserve mais les exclut de toute vie politique. La grande masse des Algériens, elle, a depuis bien longtemps compris que les jeux sont faits et que les dés sont pipés. Et pourtant, ce n'est pas par rejet de la politique qu'ils détestent les urnes. Ils aiment bien qu'on les consulte et qu'on les associe à la vie publique. En 1996, c'est en masse qu'ils se sont rendus aux urnes pour élire Liamine Zeroual, saisissant l'importance de l'enjeu du moment : sauver la République des hordes terroristes en mettant à la tête du pays l'homme le mieux indiqué, un général, ministre de la Défense. Et ceux qui ont voté en faveur de la Concorde et de la Charte n'avaient fait en réalité que renouveler ce message. Au début de la décennie 1990, si ce fut le FIS qui eut leur préférence, c'était bien par volonté de sanctionner le parti unique alors régnant, source de tous les maux antérieurs. C'est dire que l'urne peut être salutaire comme elle peut être fatale. Historiquement, c'est la meilleure invention pour construire des pays et faire avancer des sociétés. Mais à la condition qu'elle ne soit pas mise entre les mains de n'importe quel politicien.