Le constat que font aujourd'hui beaucoup d'observateurs de la scène musicale algérienne nouvelle vague est implacable : il est de plus en plus fréquent que de jeunes formations musicales parviennent à percer vite et bien pour ensuite s'éteindre et disparaître dans la nature, faute de programmation suffisante ou, carrément, par manque d'espaces d'expression disponibles.Après la manifestation «Alger, capitale de la culture arabe» et le festival panafricain de 2009, Alger, pour ne citer qu'elle, a hérité d'un nombre important d'équipements et d'espaces d'expression (scènes en plein air, transformation d'espaces publics, matériel de sonorisation neuf...), mais bon nombre de ces espaces ont aujourd'hui disparu ou restent inexploités, observent avec amertume les initiés.«Plus de deux ans après la dernière grande manifestation culturelle (festival panafricain), la vie artistique tout comme les espaces d'expression d'Alger manquent cruellement d'activité» tel est le constat de Khaled Mouaki, poète et slameur, leader du groupe «Slamyka».En parallèle, on constate, chaque année, l'émergence de jeunes groupes musicaux, tous genres confondus, qui peinent à trouver des aires d'expression et Alger manque de musique.A Alger, les scènes sont vides et ce n'est pas faute d'artistes. «Il n'y a plus de communication entre l'artiste et les institutions censées l'encadrer», selon K. Mouaki, sans parler de l'absence de médiatisation de spectacles dont résulte des salles désespérément vides.A son avis, la programmation souffre d'une absence de communication. «Il n'est pas rare de croiser les musiciens distribuant eux-mêmes des affichettes de concert photocopiées pour ne pas courir le risque de voir le spectacle annulé, faute d'un public qui n'aura pas été informé», selon les habitués des concerts de musique.Les artistes sont généralement volontaires pour aller vers le public et faire des scènes de proximité pour peu que «l'organisation soit correcte et la sécurité assurée». Selon les mordus de la scène musicale, ce genre de scènes qui existent déjà et qui, dans un passé pas si lointain, ne désemplissaient pas permet aux artistes d'investir ces espaces d'expression.Certains groupes prennent, parfois, l'initiative de s'autoproduire, mais se heurtent à des contraintes de financement. Pour le reste, c'est-à-dire la majorité de ces groupes, le plus important, sinon le seul, canal d'expression qui leur est offert, reste les scènes organisées par le mouvement associatif. Mais là aussi, la formule a montré ses limites.D'un autre côté, «l'exploitation des espaces publics (stades, places et jardins publics) ne se fait plus, alors que l'expérience avait rencontré un franc succès dans les années 1980», affirme un représentant de l'Etablissement arts et cultures de la wilaya d'Alger. De fait, ces même espaces, pourtant «réaménagés et exploités durant le festival panafricain, ont aujourd'hui disparu ou restent inutilisés, à l'image de l'esplanade de la foire d'Alger (Pins maritimes) ou de l'Institut national supérieur de musique (INSM)», aux dires des observateurs de la vie culturelle.
Des initiatives orphelines Au problème des scènes d'expression et de leur exploitation, s'ajoute «l'insuffisance de la programmation (des groupes émergents) qui tue la créativité», selon Chakib Bouzidi, leader du groupe Ifrikya spirit, qui déplore aussi «l'absence de concertation entre les acteurs de la scène musicale et les établissements culturels qui se contentent, dans le meilleur des cas, de fournir une salle de répétition». Des propos que réfute M. Bensaadia, responsable à l'Etablissement art et culture, qui met en cause l'«instabilité des jeunes formations musicales» qui entrave, selon lui, l'accompagnement des nouveaux talents.Pour conjurer le sort et s'exprimer librement, de jeunes artistes ont investi les jardins et les espaces publics, guitares à la main, pour le plaisir de jouer de la musique et partager leur passion avec les passants, une initiative qui aurait pu se solder par la renaissance des scènes de proximité, toutes les salles qui restent quand même disponibles, pour les spectacles de musique en tout cas.A un niveau plus professionnel, le festival «DimaJazz», devenu au fil de dix années d'existence, une institution à Constantine, est confronté chaque année, selon les organisateurs, aux mêmes écueils : la disponibilité des espaces et des équipements, propriétés de la wilaya.Face à cette situation, les jeunes talents se tournent vers la toile et les réseaux sociaux qu'ils investissent en grand nombre et où ils peuvent donner libre cours à leur passion, en attendant un contact direct avec leurs publics. APS
L'exemple de Dimajazz Le festival «Dimajazz», qui célèbre cette année sa dixième édition consécutive, est devenu une véritable institution musicale à Constantine mais n'arrive toujours pas à gagner en stabilité, faute d'espace propre à cette manifestation.Organisé par l'association Limma, elle-même composée de musiciens amateurs, le festival a réussi à attirer durant ses dix années d'existence les plus grands noms de la musique jazz, folk, rock et world music.La notoriété grandissante du festival lui a permis de convier à Constantine des légendes vivantes de la musique telles que Akamoon, N'guyen Le, Boney fields, ou encore Keziah Jones.Cependant, et malgré ce parcours honorable, les organisateurs peinent encore à stabiliser ce rendez-vous, le festival étant, chaque année, ballotté entre le Palais de la culture Malek Haddad et le Théâtre régional de Constantine (TRC).«Nous voudrions fêter comme il se doit notre 10e anniversaire avec le public. Cette année, le festival va durer dix jours afin de célébrer dignement sa dixième année qui coïncide avec le cinquantenaire de l'indépendance et la fête de la musique», a souhaité un des organisateurs du festival.Mais cette année, le festival devra encore se déplacer vers le théâtre et perdre ainsi 200 places et une scène en plein air où s'est tenu, l'année dernière, le festival off (festival gratuit dédié à la nouvelle scène algérienne), et ce, pour un simple problème de piano à déplacer.Le piano du palais de la culture étant irrécupérable, c'est tout le festival qui devra ainsi aller vers... le piano du TRC, et non l'inverse. «Un handicap de plus pour un festival qui grandit, gagne en notoriété et arrive à drainer un public très nombreux d'un peu partout dans le pays», de l'avis des observateurs.