A 62 ans, Mohamed Fellag retourne en classe pour entrer au cercle des poètes disparus. Ce retour en classe, c'est la classe. C'est la grande classe de Fellag. La classe des grands. Mohand Saïd Fellag des Ath Illoul, Mohamed de Ressirir la phénicienne, de Ruzasus la romaine, de la Colline des vents doublement nommée Port Gueydon et Azzeffoun, Moh Rochambeau de Bab-el-Oued fait, cette fois-ci, du cinéma. Non pas qu'il y fasse ses premières classes, non quinze fois non, comme le nombre des films où il a tenu des rôles, des petits, des moins petits et des encore plus importants. Mais, sur ce coup-ci, c'est le grand écart et le grand écran. Mohamed Fellag qui, jadis, dans le théâtral Dernier Chameau, a fait son Cinéma Paradiso, est aujourd'hui Monsieur Lazhar, un enseignant algérien parvenu au Québec. Et il crève l'écran dans le film éponyme du Canadien Philippe Fallardeau, déjà couvert de lauriers dans tant et tant de festivals. A Locarno comme à Namur, Valladolid ou Montréal et qui poursuit sa route vers Hollywood, peut-être même vers l'Oscar du meilleur film de langue autre que l'anglais. Mohamed est donc Bachir et Fellag est Lazhar, car l'artiste a eu la chance d'avoir enfin un rôle qui ne soit pas second ou de composition. Un rôle sur mesure pour habiter un personnage qui lui ressemble. «Pour voir s'il est bon, un acteur regarde si son rôle est épais», a dit un jour Jules Renard. Fellag, l'émigré polymorphe, l'artiste polychrome et l'écrivain polyphonique a toujours une valise dans la tête. C'est une tête dans laquelle il y a un bagage rembourré et plein à craquer de drames de son pays. C'est une valise éventrée, a dit un chroniqueur oranais un jour d'inspiration. Pour être Bachir, Algérien de fêlures et de brisures, qui rencontre des élèves mortifiés par le suicide de leur enseignante de français, Fellag a pensé à Mme Brody, sa maîtresse de Kabylie. Oui, Mohand Saïd, devenu Fellag des livres, Fellag des planches et du cinoche, a certainement pensé aux petites claques que l'affectueuse pédagogue lui donnait derrière la tête. Sans doute, aussi, au troc de livres. Alors, comme un nouveau bonheur livresque, Monsieur Lazhar, le rôle, naturellement, eut soudain pour lui des traits voltairiens. Candide, Voltaire, c'est Mme Brody, c'est finalement la Kabylie. Comique au théâtre, maître d'école à l'écran, Fellag écrit aussi des nouvelles, des romans, des pièces, des sketchs, des scénarios. Il écrit avant, pendant et après. Des mots du jour et d'après. Des mots, encore des mots, toujours des mots, pour ne rien oublier des maux d'hier. Des mots pour se dévoiler ou pour mieux se voiler… de pudeur. Bachir Lazhar du Canada, c'est le maître d'école algérien, ce tendre humaniste qui vient du chaud. C'est un chouia de Fellag, ce sekssu œcuménique, roulé un jour de 1950, dans une taziwa en bois, la tarbuyith berbère, sur la Colline des vents, là-haut, à Azzeffoun. N. K.